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Enfin, votre intérêt l'oblige à le mander:

Sur l'hymen qui vous trouble elle veut le sonder,
Savoir ses sentiments et lui faire connoître
Quels fâcheux démêlés il pourra faire naître
S'il faut qu'à ce dessein il prête quelque espoir.
Son valet dit qu'il prie, et je n'ai pu le voir;
Mais ce valet m'a dit qu'il s'en alloit descendre.
Sortez donc, je vous prie, et me laissez l'attendre.
DAMIS. Je puis être présent à tout cet entretien.

DORINE. Point. Il faut qu'ils soient seuls.

DAMIS. Je ne lui diraš rien.

DORINE. Vous vous moquez: on sait vos transports ordinaires;
Et c'est le vrai moyen de gâter les affaires.

Sortez.

DAMIS.

Non; je veux voir, sans me mettre en courroux.

DORINE. Que vous êtes fâcheux! Il vient. Retirez-vous.

(Damis va se cacher dans un cabinet qui est au fond du théâtre.)

SCÈNE II.

TARTUFE, DORINE.

TARTUFE, parlant haut à son valet, qui est dans la maison, dès qu'il aperçoit Dorine.

Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,
Et priez que toujours le ciel vous illumine.
Si l'on vient pour me voir, je vais aux prisonniers
Des aumônes que j'ai partager les deniers.

DORINE, à part.

Que d'affectation et de forfanterie!

TARTUFE. Que voulez-vous?

DORINE. Vous dire...

TARTUFE, tirant un mouchoir de sa poche.

Ah! mon dieu! je vous prie,
Avant que de parler prenez-moi ce mouchoir.

DORINE. Comment!
TARTUFE. Couvrez ce sein que je ne saurois voir.
Par de pareils objets les ames sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.

[graphic][subsumed][subsumed]

DORINE. Vous êtes donc bien tendre à la tentation,
Et la chair sur vos sens fait grande impression!
Certes, je ne sais pas quelle chaleur vous monte:
Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte;
Et je vous verrois nu du haut jusques en bas

Que toute votre peau ne me tenteroit pas.
TARTUFE. Mettez dans vos discours un peu de modestie,
Ou je vais sur-le-champ vous quitter la partie.
DORINE. Non, non, c'est moi qui vais vous laisser en repos,
Et je n'ai seulement qu'à vous dire deux mots.
Madame va venir dans cette salle basse,

Et d'un mot d'entretien vous demande la grace.

TARTUFE. Hélas! très volontiers.

DORINE, à part. Comme il se radoucit!

Ma foi! je suis toujours pour ce que j'en ai dit.

TARTUFE. Viendra-t-elle bientôt?

DORINE. Je l'entends, ce me semble.

Oui, c'est elle en personne, et je vous laisse ensemble.

SCÈNE III.

ELMIRE, TARTUFE.

TARTUFE. Que le ciel à jamais, par sa toute bonté,
Et de l'ame et du corps vous donne la santé,

Et bénisse vos jours autant que le desire

Le plus humble de ceux que son amour inspire!

ELMIRE. Je suis fort obligée à ce souhait pieux.

Mais prenons une chaise afin d'être un peu mieux.
TARTUFE, assis. Comment de votre mal vous sentez-vous remise?
ELMIRE, assise. Fort bien; et cette fièvre a bientôt quitté prise.
TARTUFE. Mes prières n'ont pas le mérite qu'il faut
Pour avoir attiré cette grace d'en haut;
Mais je n'ai fait au ciel nulle dévote instance
Qui n'ait eu pour objet votre convalescence.
ELMIRE. Votre zèle pour moi s'est trop inquiété.
TARTUFE. On ne peut trop chérir votre chère santé,

Et pour la rétablir j'aurois donné la mienne.
ELMIRE. C'est pousser bien avant la charité chrétienne,

Et je vous dois beaucoup pour toutes ces bontés.
TARTUFE. Je fais bien moins pour vous que vous ne méritez.
ELMIRE. J'ai voulu vous parler en secret d'une affaire,

Et suis bien aise, ici, qu'aucun ne nous éclaire.
TARTUFE. J'en suis ravi de même; et sans doute il m'est doux,
Madame, de me voir seul à seul avec vous.
C'est une occasion qu'au ciel j'ai demandée,
Sans que jusqu'à cette heure il me l'ait accordée.

ELMIRE. Pour moi, ce que je veux, c'est un mot d'entretien
Où tout votre cœur s'ouvre et ne me cache rien.

(Damis, sans se montrer, entr'ouvre la porte du cabinet dans lequel il s'étoit retiré pour entendre la conversation.)

TARTUFE. Et je ne veux aussi, pour grace singulière,

Que montrer à vos yeux mon ame tout entière,
Et vous faire serment que les bruits que j'ai faits

Des visites qu'ici reçoivent vos attraits
Ne sont pas envers vous l'effet d'aucune haine,

Mais plutôt d'un transport de zèle qui m'entraîne,
Et d'un pur mouvement...

ELMIRE. Je le prends bien aussi,

Et crois que mon salut vous donne ce souci.

TARTUFE, prenant la main d'Elmire et lui serrant les doigts.
Oui, madame, sans doute; et ma ferveur est telle...

ELMIRE. Ouf! vous me serrez trop.

TARTUFE. C'est par excès de zèle.
De vous faire aucun mal je n'eus jamais dessein,
Et j'aurois bien plutôt...

(Il met la main sur les genoux d'Elmire.) ELMIRE. Que fait là votre main? TARTUFE. Je tâte votre habit: l'étoffe en est moelleuse.

ELMIRE. Ah! de grace, laissez, je suis fort chatouilleuse. (Elmire recule son fauteuil et Tartufe se rapproche d'elle.) TARTUFE, maniant le fichu d'Elmire.

Mon dieu! que de ce point l'ouvrage est merveilleux!

[graphic]

On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux: Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire. ELMIRE. Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.

On tient que mon mari veut dégager sa foi,

Et vous donner sa fille. Est-il vrai? dites-moi.

TARTUFE. Il m'en a dit deux mots: mais, madame, à vrai dire,
Ce n'est pas le bonheur après quoi je soupire;

Et je vois autre part les merveilleux attraits
De la félicité qui fait tous mes souhaits.

ELMIRE. C'est que vous n'aimez rien des choses de la terre.
TARTUFE. Mon sein n'enferme pas un cœur qui soit de pierre.
ELMIRE. Pour moi, je crois qu'au ciel tendent tous vos soupirs,
Et que rien ici-bas n'arrête vos desirs.

TARTUFE. L'amour qui nous attache aux beautés éternelles
N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles:

Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvrages parfaits que le ciel a formés.
Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles:
Mais il étale en vous ses plus rares merveilles;

Il a sur votre face épanché des beautés

Dont les yeux sont surpris et les cœurs transportés;

Et je n'ai pu vous voir, parfaite créature,

Sans admirer en vous l'auteur de la nature,

Et d'une ardente amour sentir mon cœur atteint

Au plus beau des portraits où lui-même il s'est peint.
D'abord j'appréhendai que cette ardeur secrète
Ne fût du noir esprit une surprise adroite;

Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut,
Vous croyant un obstacle à faire mon salut.
Mais enfin je connus, ô beauté tout aimable!
Que cette passion peut n'être point coupable,
Que je puis l'ajuster avecque la pudeur;

Et c'est ce qui m'y fait abandonner mon cœur.
Ce m'est, je le confesse, une audace bien grande
Que d'oser de ce cœur vous adresser l'offrande;
Mais j'attends en mes vœux tout de votre bonté,
Et rien des vains efforts de mon infirmité.
En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude;
De vous dépend ma peine ou ma béatitude;

Et je vais être enfin, par votre seul arrêt,
Heureux, si vous voulez, malheureux, s'il vous plaît.

ELMIRE. La déclaration est tout-à-fait galante;

Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.

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