Enfin, votre intérêt l'oblige à le mander: Sur l'hymen qui vous trouble elle veut le sonder, DORINE. Point. Il faut qu'ils soient seuls. DAMIS. Je ne lui diraš rien. DORINE. Vous vous moquez: on sait vos transports ordinaires; Sortez. DAMIS. Non; je veux voir, sans me mettre en courroux. DORINE. Que vous êtes fâcheux! Il vient. Retirez-vous. (Damis va se cacher dans un cabinet qui est au fond du théâtre.) SCÈNE II. TARTUFE, DORINE. TARTUFE, parlant haut à son valet, qui est dans la maison, dès qu'il aperçoit Dorine. Laurent, serrez ma haire avec ma discipline, DORINE, à part. Que d'affectation et de forfanterie! TARTUFE. Que voulez-vous? DORINE. Vous dire... TARTUFE, tirant un mouchoir de sa poche. Ah! mon dieu! je vous prie, DORINE. Comment! DORINE. Vous êtes donc bien tendre à la tentation, Que toute votre peau ne me tenteroit pas. Et d'un mot d'entretien vous demande la grace. TARTUFE. Hélas! très volontiers. DORINE, à part. Comme il se radoucit! Ma foi! je suis toujours pour ce que j'en ai dit. TARTUFE. Viendra-t-elle bientôt? DORINE. Je l'entends, ce me semble. Oui, c'est elle en personne, et je vous laisse ensemble. SCÈNE III. ELMIRE, TARTUFE. TARTUFE. Que le ciel à jamais, par sa toute bonté, Et bénisse vos jours autant que le desire Le plus humble de ceux que son amour inspire! ELMIRE. Je suis fort obligée à ce souhait pieux. Mais prenons une chaise afin d'être un peu mieux. Et pour la rétablir j'aurois donné la mienne. Et je vous dois beaucoup pour toutes ces bontés. Et suis bien aise, ici, qu'aucun ne nous éclaire. ELMIRE. Pour moi, ce que je veux, c'est un mot d'entretien (Damis, sans se montrer, entr'ouvre la porte du cabinet dans lequel il s'étoit retiré pour entendre la conversation.) TARTUFE. Et je ne veux aussi, pour grace singulière, Que montrer à vos yeux mon ame tout entière, Des visites qu'ici reçoivent vos attraits Mais plutôt d'un transport de zèle qui m'entraîne, ELMIRE. Je le prends bien aussi, Et crois que mon salut vous donne ce souci. TARTUFE, prenant la main d'Elmire et lui serrant les doigts. ELMIRE. Ouf! vous me serrez trop. TARTUFE. C'est par excès de zèle. (Il met la main sur les genoux d'Elmire.) ELMIRE. Que fait là votre main? TARTUFE. Je tâte votre habit: l'étoffe en est moelleuse. ELMIRE. Ah! de grace, laissez, je suis fort chatouilleuse. (Elmire recule son fauteuil et Tartufe se rapproche d'elle.) TARTUFE, maniant le fichu d'Elmire. Mon dieu! que de ce point l'ouvrage est merveilleux! On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux: Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire. ELMIRE. Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire. On tient que mon mari veut dégager sa foi, Et vous donner sa fille. Est-il vrai? dites-moi. TARTUFE. Il m'en a dit deux mots: mais, madame, à vrai dire, Et je vois autre part les merveilleux attraits ELMIRE. C'est que vous n'aimez rien des choses de la terre. TARTUFE. L'amour qui nous attache aux beautés éternelles Nos sens facilement peuvent être charmés Il a sur votre face épanché des beautés Dont les yeux sont surpris et les cœurs transportés; Et je n'ai pu vous voir, parfaite créature, Sans admirer en vous l'auteur de la nature, Et d'une ardente amour sentir mon cœur atteint Au plus beau des portraits où lui-même il s'est peint. Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut, Et c'est ce qui m'y fait abandonner mon cœur. Et je vais être enfin, par votre seul arrêt, ELMIRE. La déclaration est tout-à-fait galante; Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante. |