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vrai ni bien qu'en partie, et mêlé de mal et de faux '.

XIX. Ce qui m'étonne le plus est de voir que tout le 81 monde n'est pas étonné de sa faiblesse. On agit sérieusement, et chacun suit sa condition non pas parce qu'il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est, mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure, et par une plaisante humilité on croit que c'est sa faute, et non pas celle de l'art qu'on se vante toujours d'avoir. Mais il est bon qu'il y ait tant de ces gens-là au monde, qui ne soient pas pyrrhoniens, pour la gloire du pyrrhonisme, afin de montrer que l'homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu'il est capable de croire qu'il n'est pas dans cette faiblesse naturelle et inévitable, et de croire qu'il est au contraire dans la sagesse naturelle.

* Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en a qui ne sont point pyrrhoniens: si tous l'étaient, ils auraient tort.

Cette secte se fortifie par ses ennemis plus que $3 par ses amis; car la faiblesse de l'homme paraît bien davantage en ceux qui ne la connaissent pas qu'en ceux qui la connaissent.

XX. Il se peut faire qu'il y ait de vraies démonstra- 140 tions; mais cela n'est pas certain. Ainsi cela ne montre

Cette pensée est, dans le MS., écrite parmi des notes sur les jésuites et sur les miracles.

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autre chose sinon qu'il n'est pas certain que tout soit incertain à la gloire du pyrrhonisme. (Barré.)

XXI. * Pyrr. '.

L'extrême esprit est accusé de folie, comme l'ex- 109 trême défaut. Rien que la médiocrité n'est bon. C'est la pluralité qui a établi cela, et qui mord quiconque s'en échappe par quelque bout que ce soit. Je ne m'y obstinerai pas; je consens bien qu'on m'y mette, et me refuse d'être au bas bout, non pas parce qu'il est bas, mais parce qu'il est bout, car je refuserais de même qu'on me mît au haut. C'est sortir de l'humanité que de sortir du milieu la grandeur de l'âme humaine consiste à savoir s'y tenir; tant s'en faut que la grandeur soit à en sortir, qu'elle est à n'en point sortir.

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Nous avons une impuissance de prouver, invincible 489 à tout le dogmatisme.

Nous avons une idée de la vérité, invincible à tout le pyrrhonisme.

XXIII.

Mon Dieu, que ce sont de sots discours! 447 Dieu aurait-il fait le monde pour le damner? Demanderait-il tant, de gens si faibles? etc. Pyrrhonisme est

le remède à ce mal et rabattra cette vanité.

Sans doute Pyrrhonisme.

* Conversation.

Grands mots à la religion. Je le nie.
* Conversation.

Le pyrrhonisme sert à la religion.

XXIV. Le pyrrhonisme est le vrai; car, après tout, 263 les hommes, avant Jésus-Christ, ne savaient où ils en étaient, ni s'ils étaient grands ou petits. Et ceux qui ont dit l'un ou l'autre n'en savaient rien, et devinaient sans raison et par hasard; et même ils erraient toujours en excluant l'un ou l'autre.

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XXV. Rien n'est plus étrange, dans la nature de 145 l'homme que les contrariétés qu'on y découvre à l'égard de toutes choses. Il est fait pour connaître la vérité; il la désire ardemment, il la cherche; et cependant, quand il tâche de la saisir, il s'éblouit et se confond de telle sorte, qu'il donne sujet de lui en disputer la possession. C'est ce qui a fait naître les deux sectes de pyrrhoniens et de dogmatistes, dont les uns ont voulu ravir à l'homme toute connaissance de la vérité, et les autres tâchent de la lui assurer; mais chacun avec des raisons si peu vraisemblables, qu'elles augmentent la confusion et l'embarras de l'homme, lorsqu'il n'a point d'autre lumière que celle qu'il trouve dans sa nature 1.

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Les principales forces des pyrrhoniens, je laisse les 257 moindres, sont que nous n'avons aucune certitude de

Cet alinéa ne se trouve ni dans le MS., ni dans la copie.

la vérité de ces principes hors la foi et la révélation, sinon en (ce) que nous les sentons naturellement en nous. Or ce sentiment naturel n'est pas une preuve convaincante de leur vérité, puisque n'y ayant point de certitude hors la foi si l'homme est créé par un Dieu bon, par un démon méchant, ou à l'aventure, il est en doute si ces principes nous sont donnés ou véritables, ou faux, ou incertains, selon notre origine. De plus, que personne n'a d'assurance, hors de la foi, s'il veille ou s'il dort, vu que durant le sommeil on croit veiller aussi fermement que nous faisons on croit voir les espaces, les figures, les mouvements; on sent couler le temps, on le mesure, et enfin on agit de même qu'éveillé. De sorte que la moitié de la vie se passant en sommeil, par notre propre aveu ou quoi qu'il nous en paraisse, nous n'avons aucune idée du vrai, tous nos sentiments étant alors des illusions. Qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n'est pas un autre sommeil un peu différent du premier, dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir?

Et qui doute que si on rêvait en compagnie et que par hasard les songes s'accordassent, ce qui est assez ordinaire, et qu'on veillât en solitude, on ne crût les choses renversées. Enfin, comme on rêve souvent qu'on rêve, entassant un songe sur l'autre, il se peut aussi bien faire que cette vie n'est elle-même qu'un songe, sur lequel les autres sont entés, dont nous nous éveillons à la mort, pendant laquelle nous avons aussi peu les principes du vrai et du bien que pendant le sommeil naturel ces différentes pensées qui nous y

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agitent n'étant peut-être que des illusions pareilles à l'écoulement du temps, et aux vaines fantaisies de nos

songes'. (Barré.)

Voilà les principales forces de part et d'autre. Je laisse les moindres, comme les discours que font les pyrrhoniens contre les impressions de la coutume, de l'éducation, des mœurs, des pays, et les autres choses semblables qui, quoiqu'elles entraînent la plus grande partie des hommes communs qui ne dogmatisent que sur ces vains fondements, sont renversées par le moindre souffle des pyrrhoniens. On n'a qu'à voir leurs livres, si l'on n'en est pas assez persuadé : on le deviendra bien vite et peut-être trop.

Je m'arrête à l'unique fort des dogmatistes, qui est qu'en parlant de bonne foi et sincèrement, on ne peut douter des principes naturels.

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' Page 381 du MS., on trouve encore les réflexions suivantes :

<< Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecte- 384 rait autant que les objets que nous voyons tous les jours; et si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu'il est roi, je crois qu'il serait presque aussi heureux qu'un roi qui rê, verait toutes les nuits, douze heures durant, qu'il serait artisan.

« Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des ennemis et agités par ces fantômes pénibles, et qu'on passât tous les jours en diverses occupations, comme quand on fait voyage, on souffrirait presque autant que si cela était véritable, et on appréhenderait le dormir comme on appréhende le réveil quand on craint d'entrer dans de tels malheurs, en effet. Et, en effet, il ferait à peu près les mêmes maux que la réalité. Mais parce que les songes sont tous différents et qu'un même se diversifie, ce qu'on y voit affecte bien moins que ce qu'on voit en veillant, à cause de la continuité qui n'est pourtant pas si continue et égale qu'elle ne change aussi, mais moins brusquement, si ce n'est rarement, comme quand on voyage; et alors on dit : Il me semble que je rêve; car la vie est un songe un peu moins inconstant. >>

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