Page images
PDF
EPUB

Ces fragments sur la Grandeur et la Misère, qui achèvent et en quelque sorte résument la peinture de la condition de l'homme, avaient dans la pensée de l'auteur un rapport intime avec les fragments qu'il a écrits sur les opinions des philosophes. Les uns et les autres devalent servir de transition à l'exposition de la religion chrétienne, et c'est pourquoi nous les réunissons dans un même chapitre, à la fin de la Ire Partie de l'ouvrage apologétique de Pascal.'

Dans le plan de Pascal, en effet, c'est par la connaissance approfondie de soi-même qu'on arrive à la connaissance de la vraie religion. Après avoir présenté tout ce qui peut faire connaître l'homme, Pascal se proposait d'interroger les systèmes des philosophes pour savoir s'il y avait dans aucun de ces systèmes de quoi satisfaire les besoins du cœur de l'homme, apaiser les désirs de vérité et de bonheur qu'il porte en lui, et surtout de quoi rendre raison du double caractère de grandeur et de misère qui est inhérent à sa condition présente. Or, après avoir inutilement interrogé les philosophes, Pascal s'adresse à la religion chrétienne; il y rencontre la réalité des biens dont il n'a reçu ailleurs que la promesse; et il trouve l'explication de cette double nature de l'homme dans le péché originel.

Après les opinions des philosophes, Pascal se proposait aussi (Voy. Conversations, vol. Ier, pag. 374) d'examiner les diverses religions; mais cette partie de son plan n'a pas été remplie. Il n'a laissé que quelques fragments sur Mahomet, et comme ces fragments ont pour objet de montrer la différence qu'il y a entre le prophète des Musulmans et le divin fondateur du christianisme, nous les donnons à la fin du chapitre qui a pour titre : De Jésus-Christ.

P. F.

GRANDEUR ET MISÈRE

DE L'HOMME.

être.

[ocr errors]

I. Description de l'homme.

Dépendance, désir d'indépendance, besoin.

[ocr errors][merged small]
[ocr errors][ocr errors]

L'homme n'agit point par la raison qui fait son 277

293 Guerre intestine de l'homme entre la raison et les

passions.

S'il n'avait que la raison sans passions....

S'il n'avait que les passions sans raison....

Mais ayant l'un et l'autre, il ne peut être sans guerre, ne pouvant avoir paix avec l'un qu'ayant guerre avec l'autre. Aussi il est toujours divisé et contraire à lui-même.

* Job et Salomon.

III. * Misère.

13

21

289

Misère.

Salomon et Job ont le mieux connu et le mieux 77 parlé de la misère de l'homme l'un le plus heureux

et l'autre le plus malheureux; l'un connaissant la vanité des plaisirs par expérience, l'autre la réalité des

maux.

272

Écoulement.

C'est une chose horrible, de sentir écouler tout 229 ce qu'on possède.

IV. * Injustice. Que la présomption soit jointe à la 49 misère, c'est une extrême injustice.

49

49

V. Grandeur de l'homme.

Nous avons une si grande idée de l'âme de l'homme 75 que nous ne pouvons souffrir d'en être méprisés, et de n'être pas dans l'estime d'une âme; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime.

La plus grande bassesse de l'homme est la recherche de la gloire, mais c'est cela même qui est la plus grande marque de son excellence; car, quelque possession qu'il ait sur la terre, quelque santé et commodité essentielle qu'il ait, il n'est pas satisfait s'il n'est dans l'estime des hommes. Il estime si grande la raison de l'homme, que, quelque avantage qu'il ait sur la terre, s'il n'est placé avantageusement aussi dans la raison de l'homme, il n'est pas content. C'est la plus belle place du monde rien ne peut le détourner de ce désir; et c'est la qualité la plus ineffaçable du cœur de l'homme.

Et ceux qui méprisent le plus les hommes, et qui les égalent aux bêtes, encore veulent-ils en être admirés et crus, et se contredisent à eux-mêmes par leur propre sentiment: leur nature, qui est plus forte que tout, les convainquant de la grandeur de l'homme plus fortement que la raison ne les convainc de leur bassesse 1.

182

VI. Cette duplicité de l'homme est si visible, qu'il y 47 en a qui ont pensé que nous avions deux âmes: un sujet simple leur paraissant incapable de telles et si soudaines variétés, d'une présomption démesurée à un horrible abattement de cœur.

55 VII. Malgré la vue de toutes nos misères qui nous 47 touchent, qui nous tiennent à la gorge 2, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève.

VIII. La grandeur de l'homme.

*La grandeur de l'homme est si visible qu'elle se 157 tire même de sa misère. Car ce qui est nature aux animaux, nous l'appelons misère en l'homme, par où nous reconnaissons que la nature étant aujourd'hui pareille à celle des animaux, il est déchu d'une meilleure nature qui lui était propre autrefois.

Ce fragment ne se trouve que dans la copie.'

* Qui nous tiennent à la gorge, est une expression empruntée à Montaigne.

11.

6

48

48

48

Car qui se trouve malheureux de n'être pas roi, sinon un roi dépossédé? Trouvait-on Paul-Émile malheureux de n'être plus consul? Au contraire, tout le monde trouvait qu'il était heureux de l'avoir été, parce que sa condition n'était pas de l'être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n'être plus roi, parce que sa condition était de l'être toujours, qu'on trouvait étrange de ce qu'il supportait la vie'. Qui se trouve malheureux de n'avoir qu'une bouche? et qui ne se trouvera malheureux de n'avoir qu'un œil? On ne s'est peut-être jamais avisé de s'affliger de n'avoir pas trois yeux; mais on est inconsolable de n'en point avoir.

[ocr errors]

IX. On n'est pas misérable sans sentiment. Une maison ruinée ne l'est pas. Il n'y a que l'homme de misérable. Ego vir videns 2.

La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se 165 connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable.

C'est donc être misérable que de (se) connaître misérable; mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable.

Toutes ces misères-là même prouvent sa grandeur. 394 Ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé.

1 Page 83 du MS. se trouve la note suivante : « Persée roi de Macédoine. Paul-Émile en reprochait à Persée de ce qu'il ne se tuait pas.»> 2 Ne se trouve que dans la copie.

« PreviousContinue »