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DISPROPORTION DE L'HOMME.

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Disproportion de l'homme. * H. — 1.

I. * Voilà où nous mènent les connaissances naturel- 347. les. Si celles-là ne sont véritables, il n'y a point de vérité dans l'homme; et si elles le sont, il y trouve un grand sujet d'humiliation, forcé à s'abaisser d'une ou d'autre manière; et puisqu'il ne peut subsister sans les croire je souhaite avant que d'entrer dans de plus grandes recherches de la nature, qu'il la considère une fois sérieusement et à loisir, qu'il se regarde aussi soimême et juge s'il a quelque proportion avec elle par la comparaison qu'il fera de ces deux objets 2. (Barré.) 44 Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté; qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent; qu'il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers; que la terre lui paraisse comme un point, au prix du vaste tour que cet astre décrit 3; et 45 qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'un point très-délicat à l'égard de celui que les astres, qui roulent dans le firmament, embrassent. Mais

Il y avait d'abord : « Incapacité. »

'Ce passage est entièrement barré dans le MS.; de plus les deux dernières lignes après le mot soi-même sont effacées et au-dessus Pascal a écrit ce commencement de phrase : « et connaissant quelle proportion il y a..... » qu'il a interrompu pour barrer tout le paragraphe.

'Il y avait d'abord: «que le vaste tour qu'elle décrit, lui fasse

si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre : elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible 2 n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature ". Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie, dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que l'homme étant revenu à soi, considère ce qu'il 548 est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.

regarder la terre comme un point. » En effaçant cette phrase, Pascal a-t-il voulu ne pas exprimer d'opinion sur le système de Copernic et de Galilée? Cela est certain, et cet astre se rapporte au soleil et non à la terre. Il est remarquable que Pascal a toujours évité d'engager son opinion sur ce système, non qu'il craignît l'Inquisition comme le dit légèrement Condorcet, mais parce que sa conviction n'était pas formée.

' Il y avait d'abord : « de concevoir des immensités d'espaces, que la nature d'en fournir. »>

2 Pascal a écrit d'abord : « n'est qu'un atôme dans l'immensité, » puis dans l'amplitude. »

"Il y a dans la première édition et dans les suivantes : « Tout ce que nous voyons du monde.» Cette correction est écrite de la main d'Arnauld dans la copie du Fonds de Saint-Germain, page 91.

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Cette admirable comparaison que Voltaire attribue à Timée de Locres, se retrouve aussi dans Gerson.

5 Dans la copie de Saint-Germain, Arnauld a substitué de sa main les mots ce monde visible au mot l'univers.

Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini?

Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours; il pensera peutêtre que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je 46 veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non-seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atôme '. Qu'il y voie une infinité d'univers dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné; et trouvant encore dans les autres

On lit dans les éditions atôme imperceptible, au lieu de raccourci d'atôme; et à ce propos M. Cousin dit dans son Rapport, etc., pag. 126: « Combien de fois n'a-t-on pas cité avec admiration cette expression déjà si belle : « dans l'enceinte de cet atôme impercepti«<ble? » Que dire de celle-ci qui est la véritable leçon de Pascal : << dans << l'enceinte de ce raccourci d'abîme. >>

Cette dernière leçon ne se trouve que dans les deux copies : il y a dans le MS. une expression qui a bien plus d'énergie et surtout de justesse, celle de « raccourci d'atôme. » Le mot atôme, dont une erreur de copiste a fait abîme, est lisiblement écrit dans le MS. autographe,

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la même chose, sans fin et sans repos, † qu'il se perde 334 dans ces merveilles aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver?

Qui se considérera de la sorte s'effrayera de soimême, et se considérant soutenu dans la massè que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles; et je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.

Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant : un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré et l'infini où il est englouti.

Que fera-t-il donc, sinon d'apercevoir quelque apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin '. Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnantes démarches? L'auteur de ces merveilles les comprend; tout autre ne le peut faire.

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Montaigne a dit, liv. II, ch. xII : « Les extrémités de notre perquisition tombent toutes en éblouissement, etc. »>

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Manque d'avoir contemplé ces infinis, les hommes 52 se sont portés témérairement à la recherche de la nature, comme s'ils avaient quelque proportion avec elle.

C'est une chose étrange qu'ils ont voulu comprendre les principes des choses et de là arriver jusqu'à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu'on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature.

68 Quand on est instruit, on comprend que la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de sa double infinité. C'est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l'étendue de leurs recherches; car qui doute que la géométrie, par exemple, a une infinité d'infinités de propositions à exposer? Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes; car qui ne voit que ceux qu'on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d'eux-mêmes, et qu'ils sont appuyés sur d'autres qui en ayant d'autres pour appui ne souffrent jamais de dernier?

* Mais nous faisons des derniers qui paraissent à la raison comme on fait dans les choses matérielles où nous appelons un point indivisible celui au delà duquel nos sens n'aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment et par sa nature.

'Les précédents éditeurs et les deux copies lisent : « Elle sera aussi infinie... » Les deux mots elles et infinies sont visiblement au pluriel dans le MS., et par conséquent on doit les faire rapporter à sciences; de plus, il y a sont et non sera dans le MS.

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