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entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là.

Et l'homme, quelque heureux qu'il soit, s'il n'est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l'ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement il n'y a point de joie, avec le divertissement il n'y a point de tristesse. Et c'est aussi ce qui forme le bonheur des personnes de grande condition qu'ils ont un nombre 247 + de personnes qui les divertissent et qu'ils ont le pouvoir de se maintenir en cet état.

Prenez-y garde. Qu'est-ce autre chose d'être surintendant, chancelier, premier président, sinon d'être en une condition où l'on a dès le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux-mêmes? Et quand ils sont dans la disgrâce et qu'on les envoie à leurs maisons des champs, où ils ne manquent ni de biens, ni de domestiques pour les assister dans leurs besoins, ils ne laissent pas d'être misérables et abandonnés, parce que personne ne les empêche de songer à eux.

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III. La dignité royale n'est-elle pas assez grande d'elle- 446 même pour celui qui la possède, pour le rendre heureux par la seule vue de ce qu'il est? Faudra-t-il le divertir de cette pensée comme les gens du commun? Je vois bien que c'est rendre un homme heureux, de le divertir de la vue de ses misères domestiques

pour remplir toute sa pensée du soin de bien danser. Mais en sera-t-il de même d'un roi, et sera-t-il plus heureux en s'attachant à ces vains amusements qu'à la vue de sa grandeur? Et quel objet plus satisfaisant pourrait-on donner à son esprit ? Ne serait-ce donc pas faire tort à sa joie, d'occuper son âme à penser à ajuster ses pas à la cadence d'un air, ou à placer adroitement une balle', au lieu de le laisser jouir en repos de la contemplation de la gloire majestueuse qui l'environne? Qu'on en fasse l'épreuve qu'on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnie, penser à lui tout à loisir, et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères. Aussi on évite cela soigneusement, et il ne manque jamais d'y avoir auprès des personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent à faire succéder le divertissement à leurs affaires, et qui observent tout le temps de leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu'il n'y ait point de vide; c'està-dire qu'ils sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu'il sera misérable, tout roi qu'il est, s'il y pense.

*Je ne parle point en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens, mais seulement comme rois.

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IV. Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la mi- 121

Il y a barre dans le MS. Du reste, ce passage n'est pas écrit de la main de Pascal.

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sère, l'ignorance se sont avisés, pour se rendre heureux, de ne point y penser.

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Nonobstant ces misères, il veut être heureux et ne veut être qu'heureux et ne peut ne vouloir pas l'être; mais comment s'y prendra-t-il? Il faudrait pour bien faire qu'il se rendît immortel; mais ne le pouvant il s'est avisé de s'empêcher d'y penser.

* Divertissement.

V. La mort est plus aisée à supporter sans y penser, 142 que la pensée de la mort sans péril.

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* Divertissement.

VI. Si l'homme était heureux, il le serait d'autant plus qu'il serait moins diverti, comme les saints et Dieu.

Oui; mais n'est-ce pas être heureux que de pouvoir être réjoui par le divertissement? Non, car il vient d'ailleurs et de dehors et ainsi il est dépendant et partant sujet à être troublé par mille accidents qui font les afflictions inévitables'.

* Misère.

VII. * La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c'est la plus grande de nos misères.

81 Car c'est cela qui nous empêche principalement de

Cette pensée ne se retrouve que dans les copies.

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songer à nous, et qui nous fait perdre insensiblement. Sans cela nous serions dans l'ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen plus solide d'en sortir. Mais le divertissement nous amuse, et nous fait arriver insensiblement à la mort.

Les misères de la vie humaine ont fondé tout 27 cela. Comme ils ont vu cela, ils ont pris le divertisse

ment.

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VIII. Condition de l'homme inconstance, ennui, 79 inquiétude.

IX. Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain 25 lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l'avenir? Mais ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d'ennui; ils sentent alors leur néant sans le connaître car c'est bien être malheureux que d'être dans une tristesse insupportable aussitôt qu'on est réduit à se considérer, et à n'en être point diverti.

X. Les hommes s'occupent à suivre une balle et 25 un lièvre; c'est le plaisir même des rois.

'Arnauld, dans la copie du Fonds de St.-Germain a ajouté leurs, ce qui a fait la leçon des éditions :... « Otez-leur leurs divertissements... >>

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Pensées.

IX.* In omnibus requiem quæsivi.

Si notre condition était véritablement heureuse, il 415 ne nous faudrait pas divertir d'y penser pour nous rendre heureux 2.

* Ennui.

XI. Rien n'est si insupportable à l'homme que 47 d'être dans un plein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fonds de son âme, l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.

L'ennui qu'on a de quitter les occupations où 469 l'on s'est attaché. Un homme vit avec plaisir en son ménage; qu'il voye une femme qui lui plaise; qu'il joue 5 ou 6 jours avec plaisir le voilà misérable s'il retourne à sa première occupation. Rien n'est plus ordinaire que cela.

Page 73 du MS, on trouve la même pensée exprimée ainsi : « Si notre condition était véritablement heureuse, il ne faudrait pas nous divertir d'y penser. »

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