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raisons qu'ils ont de douter de la religion: ils diront des choses si faibles et si basses, qu'ils vous persuaderont du contraire. C'était ce que leur disait un jour fort à propos une personne: Si vous continuez à discourir de la sorte, leur disait-il, en vérité vous me convertirez. Et il avait raison; car qui n'aurait horreur de se voir dans des sentiments où l'on a pour compagnons des personnes si méprisables?

Ainsi ceux qui ne font que feindre ces sentiments seraient bien malheureux de contraindre leur naturel pour se rendre les plus impertinents des hommes. S'ils sont fâchés dans le fond de leur cœur de n'avoir pas plus de lumière, qu'ils ne le dissimulent pas : cette déclaration ne sera point honteuse. Il n'y a de honte qu'à n'en point avoir. Rien n'accuse davantage une extrême faiblesse d'esprit que de ne pas connaître quel est le malheur d'un homme sans Dieu; rien ne marque davantage une mauvaise disposition du cœur que de ne pas souhaiter la vérité des promesses éternelles; rien n'est plus lâche que de faire le brave 159 contre Dieu. Qu'ils laissent donc ces impiétés à ceux

qui sont assez mal nés pour en être véritablement capables; qu'ils soient au moins honnêtes gens, s'ils ne peuvent être chrétiens et qu'ils reconnaissent enfin qu'il n'y a que deux sortes de personnes qu'on puisse appeler raisonnables ou ceux qui servent Dieu de tout leur cœur parce qu'ils le connaissent, ou ceux qui le cherchent de tout leur cœur parce qu'ils ne le connaissent pas.

Mais pour ceux qui vivent sans le connaître et sans le chercher, ils se jugent eux-mêmes si peu dignes de

leur soin, qu'ils ne sont pas dignes du soin des autres; et il faut avoir toute la charité de la religion. qu'ils méprisent pour ne les pas mépriser jusqu'à les abandonner dans leur folie. Mais parce que cette religion nous oblige de les regarder toujours, tant qu'ils seront en cette vie, comme capables de la grâce qui peut les éclairer; et de croire qu'ils peuvent être dans peu de temps plus remplis de foi que nous ne sommes et que nous pouvons au contraire tomber dans l'aveuglement où ils sont; il faut faire pour eux ce que nous voudrions qu'on fit pour nous si nous étions à leur place, et les appeler à avoir pitié d'eux-mêmes et à faire au moins quelques pas pour tenter s'ils ne trouveront pas de lumières. Qu'ils donnent à cette lecture quelques-unes de ces heures qu'ils emploient si inutilement ailleurs quelque aversion qu'ils y apportent, peut-être rencontreront-ils quelque chose ou du moins ils n'y perdront pas beaucoup. Mais pour ceux qui y apporteront une sincérité parfaite et un véritable désir de rencontrer la vérité, j'espère qu'ils y auront satisfaction et qu'ils seront convaincus des preuves d'une religion si divine que j'ai ramassées ici et dans lesquelles j'ai suivi à peu près cet ordre '.

'Pascal n'a pas rédigé cette dernière partie de sa préface, ou du moins on ne rencontre dans les MSS. que quelques notes isolées et incomplètes. Nous les avons réunies à la fin de ce volume sous ce titre : Ordre, que Pascal lui-même leur a donné en plusieurs endroits.

Après ce fragment, vient immédiatement dans la copie un autre fragment qui n'est point une suite du premier, mais qui en est bien évidemment une variante. Pascal avait ainsi refait la première partie de sa préface, jusqu'à l'alinéa où il fait parler l'incrédule lui-même, et qui

VARIANTE

DE LA PREFACE GENERALE.

*Avant que d'entrer dans les preuves de la religion chrétienne, je trouve nécessaire de représenter l'injustice des hommes qui vivent dans l'indifférence de chercher la vérité d'une chose qui leur est si importante et qui les touche de si près.

*De tous leurs égarements c'est sans doute celui qui - les convainc le plus de folie et d'aveuglement et dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premières vues du sens commun et par les sentiments de la nature. Car il est indubitable que le temps de cette vie n'est qu'un instant; que l'état de la mort est éternel, de quelque nature qu'il puisse être, et qu'ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l'état de cette éternité, qu'il est impossible de faire une démarche avee sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet.

commence par ces mots : « Je ne sais..... Ces derniers mots, qui terminent cette rédaction nouvelle, montrent que Pascal aurait conservé telle qu'elle est la fin de cette préface.

Nous donnons la seconde rédaction de Pascal en laissant au lecteur à conjecturer quelle est celle que le grand écrivain aurait définitivement adoptée : son choix était demeuré indécis, puisqu'il n'avait barré aucun de ces deux fragments.

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Il n'y a rien de plus visible que cela, et qu'ainsi selon les principes de la raison, la conduite des hommes est tout à fait déraisonnable, s'ils ne prennent une autre voie. Que l'on juge donc là-dessus de ceux qui vivent sans songer à cette dernière fin de la vie, qui se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs sans réflexion et sans inquiétude et, comme s'ils pouvaient anéantir l'éternité en en détournant leur pensée, né pensent à se rendre heureux que dans cet instant seulement.

Cependant cette éternité subsiste et la mort qui la doit ouvrir et qui les menace à toute heure les doit mettre infailliblement dans peu de temps dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou malheureux sans qu'ils sachent laquelle de ces éternités leur est à jamais préparée.

Voilà un doute d'une terrible conséquence. Ils sont dans le péril de l'éternité de misères et sur cela comme si la chose n'en valait pas la peine, ils négligent d'examiner si c'est de ces opinions que le peuple reçoit avec une facilité trop crédule ou de celles qui étant obscures d'elles-mêmes ont un fondement très-solide quoique caché. Ainsi ils ne savent s'il y a vérité ou fausseté dans la chose, ni s'il y a force ou faiblesse dans les preuves. Ils les ont devant les yeux; ils refusent d'y regarder et dans cette ignorance ils prennent le parti de faire tout ce qu'il faut pour tomber dans ce malheur au cas qu'il soit, d'attendre à en faire l'épreuve à la mort, d'être cependant fort satisfaits en cet état, d'en faire profession et enfin d'en faire vanité. Peut-on penser sé

rieusement à l'importance de cette affaire sans avoir horreur d'une conduite si extravagante? 434 Ge repos, dans cette ignorance, est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie, en la leur représentant à eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie. Car voici comment raisonnent les hommes, quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont, et sans rechercher d'éclaircissement:

« Je ne sais, disent-ils..... »

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NOTES

ÉCRITES POUR LA PRÉFACE GÉNÉRALE *.

Si l'on ne se connaît plein de superbe, 'd'ambition, 63 de concupiscence, de faiblesse, de misère et d'injustice, on est bien aveugle. Et si en le connaissant on ne désire d'en être délivré, que peut-on dire d'un homme.....?

Que peut-on donc avoir que de l'estime pour une religion qui connaît si bien les défauts de l'homme, et que du désir pour la vérité d'une religion qui y promet des remèdes si souhaitables?

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2 Plusieurs de ces notes sont barrées dans le MS., parce que probablement Pascal les effaçait au fur et à mesure qu'il les faisait entrer dans sa rédaction définitive.

Les éditions ajoutent les mots : « si peu raisonnable, » qui ne sont pas dans le MS.

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