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qu'il imagine, mais non pas à l'essence de la loi : elle est toute ramassée en soi; elle est loi, et rien. davantage. Qui voudra en examiner le motif le trouvera si faible et si léger, que, s'il n'est accoutumé à contempler les prodiges de l'imagination humaine, il admirera qu'un siècle lui ait tant acquis de pompe et de révérence. L'art de fronder (et) bouleverser les États, est d'ébranler les coutumes établies, en sondant jusque dans leur source, pour marquer leur défaut de justice. Il faut, dit-on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l'État qu'une coutume injuste a abolies c'est un jeu sûr pour tout perdre; rien ne sera juste à cette balance. Cependant le peuple prête aisément l'oreille à ces discours. Ils secouent le joug dès qu'ils le reconnaissent; et les grands en profitent à sa ruine et à celle de ces curieux examinateurs des coutumes reçues 2. Mais, par un défaut contraire, les hommes croient quelquefois pouvoir faire avec justice tout ce qui n'est pas sans exemple. C'est pourquoi le plus sage des législateurs disait que, pour le bien des hommes, il faut souvent les piper; et un autre, bon politique Cum veritatem quâ liberetur ignoret, expedit quod fallatur 3. Il ne faut pas qu'il sente la vérité

'D'abord : « défaut d'autorité et de justice. »>

...

2 D'abord : « examinateurs du fonds des coutumes reçues et des lois fondamentales d'autrefois. »

Cette citation est empruntée au passage suivant de Montaigne, liv. II. ch. XII : « L'homme forge mille plaisantes sociétés entre Dieu «<et lui..... Voici l'excuse que nous donnent sur la considération de «< ce sujet, Scevola grand pontife et Varron grand théologien en leur << temps: Qu'il est besoin que le peuple ignore beaucoup de choses << vraies et en croye beaucoup de fausses. Quum veritatem, quâ « liberetur, inquirat, 'credatur ei expedire quod fallitur. » — - C'est

de l'usurpation: elle a été introduite autrefois sans raison; elle est devenue raisonnable; il faut la faire regarder comme authentique, éternelle, et en cacher le commencement, si on ne veut qu'elle ne prenne bientôt fin.

V. Veri juris. Nous n'en n'avons plus : si nous en 406 avions, nous ne prendrions pas pour règles de justice de suivre les mœurs de son pays.

* C'est là que ne pouvant trouver le juste, on a trouvé le fort, etc.

* VI. J'ai passé longtemps de ma vie en croyant qu'il y avait une justice, et en cela je ne me trompais pas; car il y en a une selon que Dieu nous l'a voulu rẻvéler. Mais je ne le prenais pas ainsi, et c'est en quoi je me trompais; car je croyais que notre justice était essentiellement juste et que j'avais de quoi la connaître et en juger. (Barrė.)

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Mais je me suis trouvé tant de fois en faute de jugement droit, qu'enfin je suis entré en défiance de moi et puis des autres. J'ai vu tous les pays et hommes changeants; et ainsi après bien des changements de jugement touchant la véritable justice, j'ai connu que notre nature n'était qu'un continuel changement et je n'ai plus changé depuis; et si je changeais je confirmerais mon opinion. (Barré.)

dans St Augustin (De civitate Dei, liv. IV, c. 31) que se trouve le passage suivant de Varron, auquel Montaigne fait allusion: « Multa esse vera quæ non modo Vulgo scire non sit utile, sed etiam, tametsi falsa, aliter existimare Populum expediat. » Terentius Varro, De cultu Deorum.

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*Le pyrrhonien Arcésilas qui redevint dogma

tique. (Barré.)

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VII. * Injustice.

Ils n'ont pas trouvé d'autre moyen de satisfaire 67 la concupiscence sans faire tort aux autres.

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Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne 70 sont pas justes; car il n'obéit qu'à cause qu'il les croit justes. C'est pourquoi il lui faut dire en même temps qu'il y faut obéir parce qu'elles sont lois, comme il faut obéir aux supérieurs, non parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs. Par là voilà toute sédition prévenue, si on peut faire entendre cela; et ce que c'est proprement que la définition de la justice.

101 IX. Montagne a tort la coutume ne doit être suivie 154 que parce qu'elle est coutume, et non parce qu'elle soit raisonnable ou juste. Mais le peuple la suit par cette seule raison qu'il la croit juste; sinon il ne la suivrait plus quoiqu'elle fût coutume, car on ne veut être assujetti qu'à la raison ou à la justice. La coutume sans cela passerait pour tyrannie; mais l'empire de la raison et de la justice n'est non plus tyrannique que celui de la délectation. Ce sont les principes naturels à l'homme.

94 Il serait donc bon qu'on obéît aux lois et coutumes parce qu'elles sont lois; qu'il sût qu'il n'y en a

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aucune vraie et juste à introduire; que nous n'y connaissons rien, et qu'ainsi il faut seulement suivre les reçues par ce moyen on ne les quitterait jamais. Mais le peuple n'est pas susceptible de cette doctrine, et ainsi comme il croit que la vérité se peut trouver et qu'elle est dans les lois et coutumes, il les croit et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité (et non de leur seule autorité sans vérité). Ainsi il y obéit, mais il est sujet à se révolter dès qu'on lui montre qu'elles ne valent rien; ce qui se peut faire voir de toutes en les regardant d'un certain côté.

X. * La nature de l'homme est tout nature: omne ani- 47 mal 2.

* Il n'y a rien qu'on ne rende naturel; il n'y a naturel qu'on ne fasse perdre.

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La vraie nature étant perdue, tout devient sa nature. * Comme le véritable bien étant perdu, tout devient son véritable bien ".

Qu'est-ce que nos principes naturels, sinon nos 163 principes accoutumés? Et dans les enfants ceux qu'ils ont reçus de la coutume de leurs pères, comme la chasse dans les animaux ?

Une différente coutume en donnera d'autres principes naturels. Cela se voit par expérience; et s'il y en

Sans doute, le peuple.

2 On trouve encore dans la Copie la ligne suivante : « L'homme est proprement, omne animal. »

3 Dans la Copie.

a d'ineffaçables à la coutume, il y en a aussi de la coutume contre la nature ineffaçables à la nature et à une seconde coutume: cela dépend de la disposition.

66 Les pères craignent que l'amour naturel des enfants 495 ne s'efface. Quelle est donc cette nature sujette à être effacée? La coutume est une seconde nature qui détruit la première. Pourquoi la coutume n'est-elle pas naturelle? J'ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu'une première coutume, comme la coutume est une seconde nature.

92 XI. La justice est ce qui est établi; et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu'elles sont établies'.

XII.* Injustice.

*La juridiction ne se donne pas pour (le) juridiciant, 73 mais pour le juridicié. Il est dangereux de le dire au peuple. Mais le peuple a trop de croyance en vous; cela ne lui nuira pas et peut vous servir. Il faut donc le publier pasce oves meas, non tuas. Vous me devez pâture.

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* Comme la mode fait l'agrément 2, aussi fait-elle 73 la justice.

Cette pensée n'est que dans la Copie.

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2 Pascal a dit ailleurs : «< Il y a un siècle pour les blondes, un « autre pour les brunes... La mode même et les pays règlent souvent « ce que l'on appelle beauté.. » Discours sur les passions de l'amour. Voy. vol. Ier, pag. 109.

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