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* On a beau la prôner, quoi qu'on en puiffe dire,
Souvent de tous nos maux la raison eft le pire.
C'est elle qui farouche au milieu des plaifirs
D'un remords importun vient brider nos défirs.
La fâcheufe a pour nous des rigueurs fans pareilles;
C'eft un Pedant qu'on a fans ceffe à fes oreilles,
Qui toûjours nous gourmande, & loin de nous toucher,
Souvent, comme Joli, perd fon temps à prêcher.
En vain certains réveurs nous l'habillent en Reine,
Veulent fur tous nos fens la rendre Souveraine,
Et s'en formant en terre une Divinité,
Penfent aller par elle à la felicité.

C'eft elle, difent-ils, qui nous montre à bien vivre.
Ces difcours, il eft vrai, font fort beaux dans un livre,
Je les eftime fort: mais je trouve en effet,
Que le plus fou fouvent eft le plus fatisfait.

Helas, petits moutons, que vous étes heureux! Vous paiffez dans nos champs fans fouci, fans alarmes, Auffi-tôt aimez qu'amoureux,

On ne vous force point à répandre des larmes;
Vous ne formez jamais d'inutiles défirs.

Dans vos tranquilles cœurs l'amour fuit la nature,
Sans reffentir fes maux vous avez fes plaisirs,
L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'impofture,
Qui font tant de maux parmi nous,
Ne fe rencontrent point chez vous.
Cependant nous avons la raifon pour partage,
Et vous en ignorez l'ufage.

Innocens animaux, n'en foïez point jaloux,
Ce n'est pas un grand avantage.

Cette fiére raifon dont on fait tant de bruit
Contre les paffions n'eft pas un für remede,
Un peu
de vin la trouble, un enfant la seduit,
Et déchirer un cœur qui l'appelle à son aide,
Eft tout l'effet qu'elle produit.
Toûjours impuiffante & fevere

* MR. DESPREAUX. † MAD. DESHOULIERES.

Elle

Elle s'oppose à tout, & ne furmonte rien,
Sous la garde de vôtre chien

Vous devez beaucoup moins redouter la colere
Des loups cruels & raviffans,

Que fous l'autorité d'une telle chimere
Nous ne devons craindre nos fens.

*T

RONDE A U.

Aifez-vous tendres mouvemens,
Laiffez-moi pour quelques momens:

Tout mon cœur ne fauroit fuffire
Aux tranfports que l'amour m'infpire
Pour le plus parfait des amans.
A quoi fervent ces fentimens ?
Dans mes plus doux emportemens
Ma raifon vient toûjours me dire:
Taifez-vous.

La cruelle depuis deux ans....
Mais, helas! quels redoublemens
Sens-je à mon amoureux martire!
Mon berger paroit, il foûpire;
Le voici, vains raisonnemens,
Taifez-vous.

* MAD. DESHOULIERES.

Les préjugez de l'enfance & de l'éducation étouffent la raifon.

† L'homme a beau fe vanter de fes prerogatives, Il a beau d'un ton de fierté

De Roi des animaux prendre la qualité;
S'il a reçû du Ciel des lumieres plus vives,
Le peu d'ufage qu'il en fait

Le rend de tous le moins parfait.
A 2

† MR. DAVAL.

Que

Que lui fert la raison dont il se glorifie?
En fait-il mieux regler toutes fes actions?
Et voit-on que fon ame en foit moins affervie
Au joug imperieux de mille paffions?
Si durant le cours de fa vie,

Cette droite raison, qu'il fe pique d'avoir, ́
Avoit fur lui quelque pouvoir,

Ah! qu'il feroit digne d'envie!

Mais on ne trouve en lui qu'erreur, qu'aveuglement,
Qu'un ridicule entêtement:

Par un guide infidéle il fe laiffe conduire,
Comme il croit tout fans fondement,
Un rien fuffit pour le feduire,

Et ce qui peut le plus lui nuire
Il le fuit le plus ardemment.

Ce germe precieux, cette plante divine,
Qui dans lui feulement trouve à prendre racine;
Ce celefte raïon qui paroît émaner

D'une fuprémne intelligence,

Cette raifon enfin, qui de le

gouverner

Devroit feule avoir la puiffance,

Helas! il la rejette; & depuis fon enfance
Jufqu'à ce que les ans l'entraînent au tombeau,
Il aime à fe nourrir d'erreur & d'ignorance,
Et de
peur de voir clair, il éteint ce flambeau.

Mais ne peut-il point pour excufe
Alleguer l'éducation?

S'il bronche à chaque pas, fi dans tout il s'abuse,
Au lieu des veritez que fon efprit refuse

S'il fe repaît de fiction,

Cette premiere impreffion

Qu'on lui donne de chaque chofe

De toutes les erreurs n'eft-elle point la cause?

Helas! il n'en faut point douter.

De

De bon fens, de raifon l'homme étoit né capable;
Mais comment fans miracle eût-il pû refifter
Aux préjugez dont on l'accable?

Quand fon ame encor neuve à la cire eft femblable,
Comment pourroit-il éviter

De l'erreur qu'on y veut jetter
Le caractere ineffaçable?

Dès qu'une fois l'erreur dans fes filets le tient,
La Raifon ne peut plus chaffer cette rivale :
On la chaffe elle-mêine, & fur elle on obtient
Une victoire à l'homme entierement fatale.

La nourrice commence, & s'oppofe au progrès
De cette divine lumiere;

Et des hommes gagez exprès
L'étouffent enfin toute entiere.
Ainfi l'on devient homme fait,
Que l'erreur n'en eft que plus forte:
On l'a fucée avec le lait,

L'age n'en détruit point l'effet,

Et l'enfant fur l'homme l'emporte.'

La Raifon eft fouvent inutile à l'homme

Qu'eft elle fouvent la foible raison,
Qu'un bien inutile, un funefte Don?

† Dans ces premiers tems, qui fuivent l'enfance,
A peine luit-elle à fa connoiffance,
Que des paffions la noire vapeur
Lui vient infecter l'efprit & le cœur.
Alors plein d'orgueil, d'audace & de joïe,
A fes paffions il fe livre en proïe;
La bile qui fume & le fang qui bout
Sans difcernement l'emportent à tout.
La fage raison, cette illuftre guide,
Qui du haut de l'ame à nos fens préfide,

A 3

L'ABBE' REGNIER.

† Ces vers font d'une nouvelle mesure.

Que

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Que fait-elle alors, & de quel fecours
Eft-elle à fes maux qui croiffent toûjours ?
Leger, inquiet, rempli de lui-même,
Toujours inégal & toûjours extréme,
A bride abbatue il court aux plaisirs,
Il forme à la fois cent & cent defirs;
Et par un caprice, une folle envie,

- Il prodigue tout, biens, honneur & vie;
Sans que la Raifon qui le voit perir,
Faffe aucun effort pour le fecourir.

Homme, vante moins ta raison,"

Voi l'inutilité de ce préfent célefte,

Pour qui tu dois, dit-on, méprifer tout le refte..
Auffi folle que toi, dans ta jeune faison,
Elle eft chancellante, imbecile.

Dans l'âge où tout t'appelle à des plaifirs divers,
Vile efclave des fens, elle t'eft inutile,
Quand le fort t'a laiffé conter cinquante hivers,
Elle n'eft qu'en chagrins fertile,

Et quand tu vieillis, tu la perds.
* MAD. DESHOULIERES..

Non feulement la Raifon eft fouvent inutile, mais même nuifible.

Encor, fi jamais dans l'homme indocile.

La foible raifon n'étoit qu'inutile,

On auroit fujet de moins déplorer

Le peu de fecours qu'on l'en voit tirer :
Mais combien de fois de fes maux complice
L'a-t-elle jetté dans le precipice?
Pareille à ces feux dont l'éclat ne luit,
Que pour égarer quiconque les fuit.
De là germe en l'homme & jette racine
Ce qu'on y fema de fauffe doctrine:

L'ABBE REGNIER.

De

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