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Et d'aucun foin jaloux n'a l'efprit combattu,
Parce qu'elle lui dit que c'eft pour fa vertu.

L'un fait beaucoup de bruit qui ne lui fert de gueres;
L'autre en toute douceur laiffe aller les affaires,
Et voïant arriver chez lui le Damoifeau,
Prend fort honêtement fes gans & fon-manteau.
L'une de fon galant, en adroite femelle,
Fait fauffe confidence à fon époux fidéle,
Qui dort en fûreté fur un pareil appas,

Et le plaint, ce galant, des foins qu'il ne perd pas.
L'autre, pour fe purger de fa magnificence,
Dit qu'elle gagne au jeu l'argent qu'elle dépense;
Et le mari benêt, fans fonger à quel jeu,

Sur les gains qu'elle fait, rend des graces à Dieu.

LA

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Defcription de la Cour.
LA Cour eft un climat, où jamais il ne luit,

Où l'erreur entretient une éternelle nuit :

Et tout ce qu'on y voit de trompeuse lumiere
Refléchi du dehors d'une creuse matiere
Impofe aux yeux, non moins qu'il impofe aux efprits
De fon luftre abufez auffi-tôt que furpris.
Auffi rien n'y paroît en fa propre figure;
On n'y reconnoît point les traits de la nature;
Tout s'y meut par reffort, tout s'y fait avec art;
Jufqu'aux yeux, jufqu'aux voix, tout eft gâté de fard;
Et par un fcandaleux, quoi que public ufage,
Pour cent mafques à peine on y voit un vifage.
Les vieillards ont les leurs comme les jeunes gens:
Et les petits s'en font, comme s'en font les Grands.
Les traits en font changeans, les mines differentes ;
Les couleurs de faux jours fauffement apparentes;
Et felon les deffeins, les tems, & les fujets,
Ils font noirs où ferains, ils font triftes ou gais.
Les feintes amitiez, & les fauffes tendreffes,
La louange ajoûtée aux malignes careffes,
Les petits foins rendus avec empreffement,
L'indigne flaterie, & le trompeur ferment,
Et femblables couleurs à force plâtre unies
Et d'un luftre apparent par la rufe vernies,
Sont les materiaux dont à la Cour fe font
Ces mafques de l'efprit, de la bouche & du front.

H5

LE P. LE MOINE

Dans

Dans les affreux déferts, où la brûlante Afrique
Nourrit de fes lions la race famelique,

Où l'efprit des Dragons corrompt l'air & le jour,
Vit-on plus en peril qu'on ne vit à la Cour?
Au moins dans ces déferts le lion sanguinaire,
Ne fait point de l'agneau la douceur contrefaire :
Le tygre tavelé n'imite point la voix

Du cerf au front branchu qui brame dans les bois :
Et jamais on n'y vit la panthere inhumaine
Prendre de la brebis la figure & la laine.
Mais à la Cour des Rois le lion fait l'agneau,
Le tygre prend du cerf & la voix & la peau,
Le vautour déguifé d'ongle, de bec, & d'aile,
Fait tantôt le pigeon, tantôt la tourterelle,
Et le griffon fanglant du butin qu'il a pris,
S'effuie & contrefait l'oifeau de Paradis.
Dans ce déguisement, quelle fagesse humaine,
Si Dieu ne la conduit, ne fe trouvera vaine?
Qui fe pourra fauver des ongles & des dents
De ces agneaux lions & tygres au dedans;
De ces griffons parez de plumes empruntées,
Déguifez de façons & de moeurs imitées ?
Auffi, comme en un bois affiegé de voleurs,
On n'entend à la Cour que bruits & que clameurs,
Soit de gens dépouillez, foit de gens qui dépouïllent,
Et fans pitié du fang des dépouillez fe fouillent.
On n'y voit que butin funefte & déchiré,
Envié par les uns, par les autres pleuré :

Que débris, qu'en tombant les innocens fourniffent
Aux plus ambitieux des méchans qui bâtiffent.

SONNE T.

* Servir le Souverain, ou fe donner un Maître; Dépendre abfolument des volontez d'autrui ; Demeurer en des lieux où l'on ne voudroit être; Pour un peu de plaifir fouffrir beaucoup d'ennuis

MR. DE ST, MARTIN.

No

Ne témoigner jamais ce qu'en fon cœur on pense;
Suivre les favoris fans pourtant les aimer;
S'appauvrir en effet, s'enrichir d'efperance;
Louër tout ce qu'on voit, mais ne rien eftimer;

Entretenir un Grand d'un difcours qui le flate;
Rire de voir un chien careffer une chatte;
Manger toûjours fort tard, changer la nuit au jour

N'avoir pas un ami, bien que chacun on baife;
Etre toûjours debout; & jamais à fon aife;
Fait voir en abregé comme on vit à la Cour.

* La Cour eft un païs de plaisirs & de peines
D'incertaines douceurs, d'amertumes certaines
Là les vrais maux & les faux biens

Sont unis de fecrets liens:

On ne peut là cueillir que fur des précipices
La trompeufe moiffon des frivoles délices:
On ne peut là monter qu'en décendant:
On n'y peut gagner qu'en perdant.
Pour y jouir de la fumée,

Que donne à fes fuivans la vaine renommée;
Pour y faire un moment de lueur & de bruit,
Il faut fuer le jour, il faut trembler la nuit :
Pour attirer fur foi les yeux de la Fortune
Amante aux fots comme aux fages commune,
Il faut ramper devant elle à genoux;
Il faut baifer fes piez, & ploïer fous fes coups.
Sous l'émail le plus gai des plaines les plus vertes
Des herbes malignes couvertes

De leurs contagieux poifons

Corrompent les préfens des plus belles faifons:
Et fouvent où l'on croit cueillir une Anemone;
Où l'on croit prendre un fruit dans le fein de Pomone,
On met la main fur des ferpens

Qui fous les fleurs en cachette rampans
H 6.

Sans

1

LE P. LE MOINE,

Sans délai font païer avecque leur morsure
D'un fupplice réel un plaifir en figure.

Bien que les Courtisans paroiffent jouir d'un grand ben
heur, ils font en effet plus malheureux que le
refte des hommes.

* Qui peut dire les foins cuifans.
Qui travaillent les Courtisans,
Et quel noir chagrin les dévore,
Il peut dire combien de pleurs
L'Aurore verfe fur les fleurs
Quand le jour comence d'éclorre;
Il peut conter les feux des Cieux,
Les fables du rivage More,

Les vertus de la Reine, & fes faits glorieux..

De mille défirs agitez

Du bonheur d'autrui tourmentez,
Jamais contens de la Fortune,
Ils n'ont fur les effets divers
De fes faveurs, de fes revers,
Ni fageffe, ni force aucune;
Et quand le Soleil fort des flots,
Et quand il fait place à la Lune
Leur efprit inquiet n'a jamais de repos.
* L'ABBE' REGNIER.

La Cour vaine & trompeufe a toûjours ajoûté
L'infame fervitude à l'infidélité :

Et là fans refpecter les têtes couronnées,
Toutes têtes font d'or ou de fer enchaînées.
Ces prifonniers errans, ces malheureux forçats,
Qui les chaînes aux piez, & les rames aux bras,
Sont toûjours en prifon, & toûjours en voïage,.
Sous les coups du Comite, & fous ceux de l'orage,
Ont un joug plus leger, & des fers moins pefans,
Que ceux que la Fortune attache aux Courtifans.

LE P. LE MOINE

La

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