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DE SAINT-PETERSBOURG,

OU ENTRETIENS

SUR LE GOUVERNEMENT TEMPOREL

DE LA PROVIDENCE.

SEPTIEME ENTRETIEN.

LE CHEVALIER.

POUR OUR cette fois, monsieur le sénateur, j'espère que vous dégagerez votre parole, et que vous nous lirez quelque chose sur la guerre.

LE SÉNATEUR,

Je suis tout prêt: car c'est un sujet que j'ai beaucoup médité. Depuis que je pense, je pense à la guerre; ce terrible sujet s'empare de toute

mon attention, et jamais je ne l'ai assez approfondi.

Le premier mal que je vous en dirai vous étonnera sans doute; mais pour moi c'est une vérité incontestable : « L'homme étant donné avec sa raison, ses sentimens et ses affections, il n'y a pas moyen d'expliquer comment la guerre est possible humainement. » C'est mon avis très-réfléchi. La Bruyère décrit quelque part cette grande extravagance humaine avec l'énergie que vous lui connoissez. Il y a bien des années que je l'ai lu, ce morceau; cependant je me le rappelle parfaitement : il insiste beaucoup sur la folie de la guerre; mais, plus elle est folle, moins elle est explicable.

LE CHEVALIER.

Il me semble cependant qu'on pourroit dire, avant d'aller plus loin: que les rois vous commandent, et qu'il faut marcher.

Oh!

LE SÉNATEUR.

pas du tout, mon cher chevalier, je vous en assure. Toutes les fois qu'un homme

qui n'est

y

pas absolument un sot, vous présente une question comme très-problématique après avoir suffisamment songé, défiez-vous de ces solutions subites qui s'offrent à l'esprit de celui qui s'en est ou légèrement, ou point du tout occupé : ce sont ordinairement de simples aperçus sans consistance, qui n'expliquent rien, et ne tiennent pas devant la réflexion. Les souveraius ne commandent efficacement et d'une manière durable que dans le cercle des choses avouées par l'opinion; et ce cercle, ce n'est pas eux qui le tracent. Il y a dans tous les pays des choses bien moins révoltantes que la guerre, et qu'un souverain ne se permettroit jamais d'ordonner. Souvenez-vous d'une plaisanterie que vous me fîtes un jour sur une nation qui a une académie des sciences, un observatoire astronomique et un calendrier faux. Vous m'ajoutiez, en prenant votre sérieux, ce que vous aviez entendu dire à un homme d'état de ce pays: qu'il ne serait nas sûr du tout de vouloir innover sur ce point; et que sous le dernier gouvernement, si distingué par ses idées libérales (comme on dit aujourd'hui), on n'avait jamais osé entre

prendre ce changement. Vous me deman lâtes même ce que j'en pensois. Quoi qu'il en soit, vous voyez qu'il y a des sujets bien moins es

sentiels que la guerre, sur lesquels l'autorité

sent qu'elle ne doit point se compromettre; et prenez garde, je vous prie, qu'il ne s'agit pas d'expliquer la possibilité, mais la facilité de la guerre. Pour couper des barbes, pour, raccourcir des habits, Pierre 1er eut besoin de toute la force de son invincible caractère: pour amener d'innombrables légions sur le champ de bataille, même à l'époque où il était battu pour apprendre à battre, il n'eut besoin, comme tous les autres souverains, que de parler. Il y a cependant dans l'homme, malgré son immense dégradation, un élément d'amour qui le porte vers ses semblables: la compassion lui est aussi naturelle que la respiration. Par quelle magie inconcevable est-il toujours prêt, au premier coup de tambour, à se dépouiller de ce caractère sacré pour s'en aller sans résistance, souvent même avec une certaine allégresse, qui a aussi son caractère particulier, mettre en pièces, sur le champ de bataille, son frère qui

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