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broke. C'est grand dommage qu'il ait écrit l'histoire! son style est à la vérité charmant; mais je suis forcé de dire qu'il n'a pas le ton convenable. Des épigrammes, des réflexions, des portraits, des altérations de faits. Oh, nous écrivons différemment l'histoire. Nos auteurs ne sacrifient jamais la vérité à la gentillesse. M. de Voltaire n'aurait pas dû cultiver ce genre de littérature. Mais dans les autres parties, il est vraiment supérieur, divin. Vous n'aurez jamais de plus grand philosophe, de plus fin critique, de raisonneur plus agréable. Cet auteur est charmant, charmant! en un mot, c'est un génie universel." "Je suis enchanté," dit M. Bordeu, médecin, renommé par son profond savoir et ses grandes lumières; "je suis vraiment enchanté de voir un Anglais rendre justice à M. de Voltaire d'une manière si honorable pour notre nation; mais, monsieur, en s'adressant à l'Anglais même, permettez-moi de vous dire que M. de Voltaire n'est pas si inégal, si frivole que vous le croyez, dans la partie historique. J'ai vérifié la plupart des faits qu'il rapporte sans preuve et sans citer les sources, et je puis vous assurer que je suis parvenu à découvrir leur vérité, c'est-àdire, à trouver des autorités capables de les appuyer, et qui prouvent du moins que M. de Voltaire ne les a point imaginés. S'il est faible en quelque chose, ce n'est pas, selon moi, dans l'histoire, mais dans ce qui a rapport au physique de l'homme, à la constitution animale de notre espèce; car il donne presque toujours à gauche toutes les fois qu'il raisonne sur ces matières. Mais est-il obligé d'en savoir autant que les physiologistes de profession? il y aurait de la mauvaise humeur à lui reprocher ses méprises à cet égard. Il excelle dans tant d'autres sciences! d'où je conclus que mon observation n'empêche pas que M. de Voltaire ne soit un esprit universel.”

"Quoi! messieurs, lorsque chacun de vous célèbre le génie du favori des muses, je garderais un coupable silence," s'écria un abbé théologien qui aspirait à l'Académie Française ? "non, je veux et je dois lui rendre aussi mon tribut d'admiration. M. de Voltaire, selon moi, réunit en lui seul les lumières et les talents qui ont immortalisé Aristote, Platon, Plutarque, Cicéron, Tacite, Sophocle, Anacréon, Lucrèce, Virgile, Horace, et les deux Pline. Grâces à ses ouvrages, notre langue deviendra classique, comme celle des Grecs et des Romains. Un mérite

qui distingue ce grand homme de tous les philosoph ses prédécesseurs, c'est d'avoir eu le courage et l'adres de déchirer le voile des préjugés religieux. Lucien à c égard n'est qu'un écolier auprès de lui. Personne n mieux manié que lui l'arme du ridicule, et vous savez qu c'est la plus efficace contr les erreurs. Heureux, s'il s'e fût tenu à celle-là, sur le chapitre de la religion! lorsqu' a voulu employer celle du raisonnement, il a malheu reusement donné dans des bévues qui n'ont pas échapp à nos théologiens érudits; ils les lui ont même repro chées amèrement, et je suis obligé de convenir avec eux d'après l'étude particulière que j'ai faite des langues anciennes, que M. de Voltaire n'a pas la moindre connaissance de l'Hébreu, qu'il ne sait point le Grec, et qu'il n'a pas puisé dans les sources ses observations critiques sur Abraham, Moïse, David, Salomon, les prophètes, les lois, et les mœurs hébraïques: je doute même qu'il ait lu les pères de l'église qu'il cite souvent. Mais le moyen qu'un génie si sublime ait pu descendre à des études si sèches, si arides! Ses ennemis diront qu'il n'eût pas dû raisonner sur ce qu'il ne connaissait pas à fond, ou du moins qu'il eût du mieux choisir ses faiseurs d'extraits; mais je leur répondrai que Jupiter a eu ses faiblesses, et que si, pour s'être fait taureau, il n'a point cessé d'être le maître des dieux, M. de Voltaire, pour s'être quelquefois oublié, n'a point cessé d'être Voltaire, c'est-à-dire, le maître des beaux esprits, des savants, des philosophes, des poëtes, des historiens, et des littérateurs de toutes les espèces."

Un poëte comique, un poëte lyrique, un savant érudit, qui se trouvaient aussi dans l'assemblée, allaient parler à leur tour, quand les interlocuteurs se mirent à se regarder et à éclater de rire. Il était temps, car l'homme universel se serait bientôt trouvé réduit à peu de chose.

M. Duclos, qui, par politesse, avait laissé parler les autres, rompit la séance, recommanda qu'il ne fût jamais dit que sa maison eût été profanée par de semblables propos, et qu'il eût ri comme le reste de la compagnie.-SABATIER DE CASTRES.

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LES FEUILLES DE SAULE.

L'AIR était pur; un dernier jour d'automne,
En nous quittant arrachait la couronne
Au front des bois;

Et je voyais, d'une marche suivie,
Fuir le soleil, la saison et ma vie
Tout à la fois.

Près d'un vieux tronc, appuyée en silence,
Je repoussais l'importune présence
Des jours mauvais;

Sur l'onde froide, ou l'herbe encor fleurie,
Tombait sans bruit quelque feuille flétrie,
Et je rêvais! . . .

Au saule antique incliné sur ma tête
Ma main enlève, indolente et distraite,
Un vert rameau;

Puis j'effeuillai sa dépouille légère,
Suivant des yeux sa course passagère
Sur le ruisseau.

De mes ennuis jeu bizarre et futile!
J'interrogeais chaque débris fragile
Sur l'avenir;

Voyons, disais-je à la feuille entraînée,
Ce qu'à ton sort ma fortune enchaînée
Va devenir?

Un seul instant je l'avais vue à peine,
Comme un esquif que la vague promène,
Voguer en paix:

Soudain le flot la rejette au rivage;
Ce léger choc décida son naufrage
Je l'attendais!

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Je fie à l'onde une feuille nouvelle,
Cherchant le sort que pour mon luth fidèle
J'osai prévoir;

Mais vainement j'espérais un miracle,
Un vent léger emporta mon oracle
Et mon espoir.

Sur cette rive où ma fortune expire,
Où mon talent sur l'aile du Zéphire
S'est envolé,

Vais-je exposer sur l'élément perfide

Un vœu plus cher ?... Non, non, ma main timide
A reculé.

Mon faible cœur, en blâmant sa faiblesse,
Ne put bannir une sombre tristesse,
Un vague effroi :

Un cœur malade est crédule aux présages;
Ils amassaient de menaçants nuages
Autour de moi.

Le vert rameau de mes mains glisse à terre:
Je m'éloignai pensive et solitaire,

Non sans effort;

Et dans la nuit mes songes fantastiques
Autour du saule aux feuilles prophétiques
Erraient encor.

MADAME TASTU.

ÉPISODE DE PAUL ET VIRGINIE.*

Le bon naturel de ces enfants se développait de jour en jour. Un dimanche, au lever de l'aurore, leurs mères étant allées à la première messe à l'église des Pamplemousses, une négresse marronne se présenta sous les bananiers qui entouraient leur habitation. Elle était décharnée comme un squelette, et n'avait pour vêtement qu'un lambeau de serpillière autour des reins. Elle se jeta aux pieds de Virginie qui préparait le déjeuner de la famille, et lui dit: "Ma jeune demoiselle, ayez pitié d'une pauvre esclave fugitive, il y a un mois que j'erre dans ces montagnes, demi-morte de faim, souvent poursuivie par des chasseurs et par leurs chiens. Je fuis mon maître, qui est un riche habitant de la Rivière-Noire. Il m'a traitée comme vous le voyez." En même temps, elle lui montra son corps sillonné de cicatrices profondes,

* Children of two women of unequal birth and education, but equally poor and unfortunate, who live together in the Isle of France.

par les coups de fouet qu'elle en avait reçus. Elle ajouta: "Je voulais aller me noyer; mais sachant que vous demeuriez ici, j'ai dit: Puisqu'il y a encore de bons blancs dans ce pays, il ne faut pas encore mourir." Virginie, tout émue, lui répondit: "Rassurez-vous, infortunée créature! Mangez, mangez;" et elle lui donna le déjeuner de la maison, qu'elle avait apprêté. L'esclave, en peu de moments, le dévora tout entier. Virginie, la voyant rassasiée, lui dit: "Pauvre misérable! j'ai envie d'aller demander votre grâce à votre maître: en vous voyant, il sera touché de pitié. Voulez-vous me conduire chez lui ?" "Ange de Dieu, repartit la négresse, je vous suivrai partout où vous voudrez." Virginie appela son frère, et le pria de l'accompagner. L'esclave marronne les conduisit par des sentiers, au milieu des bois, à travers de hautes montagnes, qu'ils grimpèrent avec bien de la peine, et de larges rivières qu'ils passèrent à gué. Enfin, vers le milieu du jour, ils arrivèrent au bas d'un morne, sur les bords de la Rivière-Noire. Ils aperçurent là une maison bien bâtie, des plantations considérables, et un grand nombre d'esclaves occupés à toutes sortes de travaux. Leur maître se promenait au milieu d'eux une pipe à la bouche et un rotin à la main. C'était un grand homme sec, olivâtre, aux yeux enfoncés et aux sourcils noirs et joints. Virginie, tout émue, tenant Paul par le bras, s'approcha de l'habitant, et le pria, pour l'amour de Dieu, de pardonner à son esclave, qui était à quelques pas de là derrière eux. D'abord l'habitant ne fit pas grand compte de ces deux enfants pauvrement vêtus, mais quand il eut remarqué la taille élégante de Virginie, sa belle tête blonde sous une capote bleue, et qu'il eut entendu le doux son de sa voix qui tremblait, ainsi que tout son corps, en lui demandant grâce, il ôta sa pipe de sa bouche, et, levant son rotin vers le ciel, il jura par un affreux serment, qu'il pardonnait à son esclave, non pas pour l'amour de Dieu, mais pour l'amour d'elle.

Virginie aussitôt fit signe à l'esclave de s'avancer vers son maître: puis elle s'enfuit, et Paul courut après elle. Ils remontèrent ensemble le revers du morne par où ils étaient descendus, et, parvenus à son sommet, ils s'assirent sous un arbre, accablés de lassitude, de faim et de soif. Ils avaient fait à jeun plus de cinq lieues depuis le lever du soleil. Paul dit à Virginie: "Ma sœur, il est

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