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treroient-elles avec droiture dans cette intention si elles se contentoient de garder extérieurement les règles de Saint-Cyr, sans faire un amas intérieur de religion et de toutes sortes de vertus ?

HORTENSE.

Par tous les exemples que vous proposez, trouve que la droiture et la bonne foi se ressemblent.

FLORIDE.

Comme toutes les vertus vont à la même fin, qui est le véritable bien de l'homme, elles ont entre elles un grand rapport, et il est vrai qu'on a de la peine à distinguer la bonne foi, la droiture et la simplicité.

HORTENSE.

Oh! que je suis aise de vous entendre un peu parler de la simplicité; car, si je l'ose dire, je la confonds un peu avec la sottise.

FLORIDE.

Rien n'en est plus éloigné, et j'ai ouï dire à des personnes expérimentées que les grands esprits et les grands cœurs sont plus capables de simplicité que les autres1.

CLOTILDE.

Mais en quoi faites-vous consister cette simplicité ?

FLORIDE.

A n'être point double, point artificieuse, point

1 Les Dames de Saint-Louis disaient à Louis Racine, en parlant de son père : « II unissoit à un grand génie une grande simplicité. »

remplie de finesses, de desseins, de détours, de jugements sur tout ce que les autres font et disent, à dire simplement ce qu'on pense et croire que les autres font de même, à ne point retourner sur ce qu'on a dit, à ne point chercher un autre sens que celui qui s'est montré naturellement, à ne point examiner ce que nous ne pouvons bien sûrement savoir, et à ne nous point occuper de pensées toujours inutiles et souvent mauvaises.

CLOTILDE.

Je vous dirois encore qu'on n'est point maître de ses pensées.

FLORIDE.

Et je vous répondrai encore qu'avec le secours de Dieu qui ne vous manque jamais, on est maître de tout, qu'on peut retenir ses pensées, les faire changer d'objet, et se simplifier peu à peu en s'occupant de bonnes choses qui puissent tourner notre cœur à toutes les vertus.

CLOTILDE.

Vous ne voulez donc rien laisser pour le plaisir si vous voulez contraindre jusqu'aux pensées?

FLORIDE.

Tout ce que nous disons ne s'oppose point aux plaisirs innocents; et si vous goûtez jamais la paix d'une âme droite, simple et de bonne foi, vous conviendrez qu'elle est plus délicieuse que tous les plaisirs.

CONVERSATION XXXV.

SUR LA BONNE FOI.

ALEXANDRINE.

Nous eùmes l'autre jour une conversation qui nous instruisit sur le courage, et nous en voudrions une aujourd'hui qui nous expliquât ce que c'est que la bonne foi qu'on nous recommande si souvent.

ADÉLAÏDE.

Il me semble que ce mot de bonne foi s'explique par lui-même, et qu'il seroit difficile d'en faire une autre définition.

ALEXANDRINE.

Si vous ne voulez pas en faire la définition, donnez-nous quelques exemples qui nous fassent voir ce que c'est.

ADÉLAÏDE.

Est-il possible, mademoiselle, que vous ne compreniez pas ce que c'est que de faire les choses de bonne foi ou de mauvaise foi ?

CONSTANCE.

Je l'entrevois un peu, mais je ne pourrois le dire.

ADÉLAÏDE.

Cette bonne foi se trouve à tout dans les per

sonnes qui ont le cœur bien fait, et la mauvaise foi

se fait sentir de même.

CONSTANCE.

J'avoue que rien ne m'éclaireroit comme les exemples.

ADÉLAÏDE.

En voulez-vous par rapport à nous ou en général ?

ALEXANDRINE.

J'en voudrois de toutes façons.

ADÉLAÏDE.

Eh bien! mademoiselle, il faut faire ce que vous voulez. On vous charge d'une commission; la personne de mauvaise foi la fait sans se soucier du succès, sans entrer dans ce qu'on lui dit, sans s'y intéresser, et ne songeant qu'à faire au pied de la lettre ce qu'on lui a dit.

CONSTANCE.

Et que fait la personne de bonne foi?

ADÉLAÏDE.

Elle écoute attentivement ce qu'on lui dit, elle veut qu'il réussisse, elle songe au bien de la chose dont on l'a chargée.

ALEXANDRINE.

Ces exemples-là sont trop généraux.

ADÉLAÏDE.

En voici de particuliers. Vous êtes à la porte',

1 La porte intérieure de la maison de Saint-Cyr était gardée par une Dame de Saint-Louis, assistée d'une ou deux demoiselles prises parmi celles qu'on appelait les noires, et d'une sœur con

on vous donne une lettre à rendre à la supérieure dont on attend la réponse; la personne de bonne foi cherche avec soin la supérieure, elle lui rend sa lettre, elle lui dit qu'on attend la réponse, elle retourne prier le messager de ne se pas lasser, elle revient prendre la réponse; en un mot, elle en fait son affaire et désire que la supérieure soit contente, que le messager le soit aussi et que l'affaire dont il est question se fasse. La personne de mauvaise foi cherche la supérieure sans se soucier de la trouver, elle aime autant qu'elle ne fasse pas de réponse que de la faire, elle se met peu en peine que le messager s'en aille et que l'affaire manque. Mme de Maintenon demande son carrosse pour partir; la personne de mauvaise foi le demande ou le fait demander par un autre; elle n'y pense plus, aime autant que le carrosse soit deux heures à venir que de l'avoir à propos; celle qui se donne de bonne foi à ce qu'elle fait demande le carrosse elle-même, elle ne s'en fie à personne, elle s'inquiète s'il ne vient pas, elle presse; en un mot, elle veut qu'il vienne.

CONSTANCE.

Pourvu que je ne sois point grondée, je ne me mets guère en peine du reste.

ADÉLAÏDE.

C'est être de mauvaise foi, c'est n'agir que pour

verse. C'était là qu'arrivaient les lettres et messages pour l'intérieur de la maison.

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