Page images
PDF
EPUB

qu'à lui offrir toutes nos contraintes, qu'à nous attacher à lui, et l'avoir pour objet dans toutes nos actions.

IRÈNE.

Vous appelez cela liberté ?

ALPHONSINE.

Oui, mademoiselle, et vous en conviendrez. Si vous voulez en essayer, vous ne serez jamais en peine, comme vous l'êtes, sur l'opinion des hommes. Vous serez sûre d'avoir plu à Dieu quand vous aurez bien fait. Si les hommes sont contents de vous, à la bonne heure, vous en serez bien aise; s'ils ne le sont pas, vous en serez consolée, et vous serez assurée d'avoir des louanges qui dureront toujours; il vous sera même permis de vous aimer par rapport à lui, de vous conserver, de vous réjouir, et vous serez sûre de n'aller jamais trop loin quand vous agirez avec cette dépendance.

IRÈNE.

Vous avez cru ne pouvoir me persuader qu'en m'accordant un peu d'amour pour moi-même; mais en vérité, mesdemoiselles, je suis charmée de tout ce que vous venez de dire et je ne veux jamais l'oublier.

CONVERSATION XXXIII.

SUR LE TRAVAIL.

CORNÉLIE.

Quoi! mademoiselle, vous travaillez un jour de récréation?

CLÉMENTINE.

Mes maîtresses me l'ont permis.

ODILLE.

Je vous plains fort d'être privée du plaisir de la récréation et de la promenade.

HORTENSE.

Et moi au contraire j'envie la liberté qu'a mademoiselle de travailler tout le jour.

CORNÉLIE.

Vous jugez des autres par vous-même, mademoiselle, qui aimez le travail; mais je crois que mademoiselle auroit été à la récréation, si elle avoit suivi son inclination.

CLÉMENTINE.

J'aime à la vérité à me divertir, mais je trouve plus de plaisir à travailler qu'à jouer.

ODILLE.

Et quel plaisir peut-on prendre à travailler?

CLÉMENTINE.

Celui de faire quelque chose, de ne point perdre

son temps, de m'accoutumer à me passer des divertissements, et de n'avoir rien à me reprocher.

CORNÉLIE.

Il est vrai que m'étant livrée au dessein de faire tout céder à mon plaisir, et de m'en donner comme on dit à cœur joie, je trouvai bien à décompter quand il fallut m'accommoder au goût de mes compagnes, qui étoit fort différent du mien.

ODILLE.

Et moi, je m'attirai là une réprimande de mes maitresses, qui me causa plus de chagrin que tous nos jeux ne m'avoient fait de plaisir.

CLÉMENTINE.

Et moi, je ne trouvai aucun de ces mécomptes dans mon travail.

AURÉLIE.

Mais aussi n'y trouvâtes-vous aucun plaisir?

CLÉMENTINE.

J'eus celui de voir mon ouvrage fort avancé, je surpassai l'attente de mes maîtresses, je m'attirai leurs louanges, et elles me proposèrent pour exemple à mes compagnes; j'acquiers l'habitude de travailler avec adresse et avec diligence, ce qui m'épargnera bien des réprimandes à Saint-Cyr, et qui me sera une grande ressource en quelque lieu que je puisse me trouver.

AURÉLIE.

Voilà bien des avantages qui se trouvent dans l'amour du travail auxquels je n'avois jamais pensé.

HORTENSE.

Le goût seul du travail est par lui-même un véri

table trésor, il calme les passions, il occupe l'esprit, il bannit l'oisiveté qui est la mère de tous les vices. CLÉMENTINE.

Il est vrai que depuis que j'aime l'ouvrage, je n'ai presque plus rien à me reprocher, que mes maîtresses sont très-contentes de moi, au lieu qu'auparavant elles me reprenoient presque à toutes les heures du jour.

CAMILLE.

Ajoutez encore, mademoiselle, à la louange du travail, qu'il fait passer le temps utilement et agréablement, et ne laisse pas le temps de s'ennuyer.

CÉCILE.

Il est surtout nécessaire à notre sexe; et j'ai ouï dire à des personnes d'esprit et d'une piété distinguée qu'il faut nécessairement qu'une fille soit ou laborieuse ou coquette'.

AURÉLIE.

Et pourquoi, mademoiselle?

CÉCILE.

C'est qu'il faut nécessairement avoir quelque goût; on ne peut vivre sans plaisir, et dès qu'on n'en trouve point dans une occupation utile, il est naturel d'en chercher ailleurs, et l'on n'en trouve que de trèsdangereuses.

HORTENSE.

En effet que peut faire une personne de notre sexe qui ne peut demeurer chez elle, ni trouver son plaisir dans les devoirs de son ménage? il ne lui reste

1 Voir les Entretiens sur l'éducation, p. 97.

I.

3333

plus qu'à le chercher dans le jeu, les compagnies, les spectacles; y a-t-il rien de si dangereux nonseulement pour la piété, mais même pour la réputation?

ODILLE.

Je conviens, mademoiselle, du danger de ces sortes de plaisirs, et je prétends bien m'adonner au travail, quand je ne serai plus en âge de goûter les jeux innocents des enfants; mais en attendant, je ne me propose que de me bien divertir, et je laisse les occupations plus sérieuses pour un âge où il me conviendra d'être raisonnable.

HORTENSE.

Eh quoi! mademoiselle, peut-on être trop tôt raisonnable? et consentiriez-vous qu'on vous traitât en enfant de dix ou douze ans? vous seriez la ménagère chez vous, et l'on vous confieroit le soin de vos

sœurs.

CAMILLE.

Ajoutez, mademoiselle, qu'on ne peut commencer trop tôt à prendre de bonnes habitudes, et que nous n'aurons de goût et de facilité au travail qu'autant que nous nous y serons accoutumées dès notre jeunesse.

AURÉLIE.

Comme je pourrai bien au sortir d'ici me trouver dans la nécessité de m'aider de mon travail, je suis bien aise de m'y former de bonne heure.

HORTENSE.

Quand nous ne serions pas pauvres, la seule qualité de chrétiennes doit nous engager au travail.

« PreviousContinue »