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pour leur insinuer la sagesse, et tout se sent, dans ces écrits, de la source dont ils viennent. Il faut former la raison des jeunes gens, les dresser aux devoirs de la vie civile, leur apprendre les bienséances que la religion approuve, et tout doit être, comme je le vois dans les écrits que vous m'envoyez, traité selon les lois de la philosophie du monde, mais rectifié par la piété et subordonné aux grandes règles du christianisme '. »

Les Conversations servirent aussi à l'instruction des Dames de Saint-Louis, en leur apprenant ce qu'elles avaient à dire aux demoiselles sur le monde et ses dangers. «Elles ont été faites, dit Mme de Maintenon, pour éclairer nos Dames, qui ne peuvent guère savoir, ayant été élevées à Saint-Cyr, que rien n'est si dangereux que les mauvaises compagnies; qu'on ne peut avoir trop de soin de sa réputation; qu'il ne faut jamais recevoir de présents des hommes; qu'il faut les éviter comme nos plus grands ennemis, etc. 2 »

Les Conversations eurent un très-grand succès à Saint-Cyr et même à la cour. « Le Roi, dit Languet de Gergy, et les princes qui l'accompagnoient dans ses visites à Saint-Cyr goûtèrent beaucoup ces exercices, et Mme de Maintenon en prépara quelques-uns où elle faisoit entendre aux uns et aux autres de bonnes vérités 3. » C'est ce que démontre en effet la Conver

Lettre à Mine de Fontaines, supérieure de la maison de SaintLouis, dans les Lettres sur l'éducation des filles, p. 146. "Lettres sur l'éducation des filles, p. 341.

3 Mémoires manuscrits pour servir à l'histoire de la maison de Saint-Louis, t. 1.

sation sur les Discours populaires 1, celle sur la Faveur, etc. La duchesse de Bourgogne y prit un très-grand plaisir, et plus d'un avis lui fut donné, plus d'un reproche lui fut fait sous le couvert de ces jeux d'esprit ; elle aimait à y faire elle-même son personnage. Quelques Dames imitèrent Mme de Maintenon et composèrent aussi des Conversations, mais elles n'y réussirent pas, sauf Mme de Glapion, « qui a fort approché de son modèle, » dit La Beaumelle. Ces Conversations ont été perdues. Enfin les demoiselles se mirent elles-mêmes de la partie, mais Mme de Maintenon leur défendit ce genre d'écrits : << Arrêtez tout court les Conversations des demoiselles, écrivait-elle à Mme de Berval; elles n'ont pas assez d'expérience pour rien dire de bon ce seroit une perte de temps et de papier qui les exciteroit sur l'esprit et rendroit orgueilleuses celles qui y réussiroient le mieux3. >>

Les Conversations sont l'œuvre la plus parfaite de Mme de Maintenon, encore bien qu'elles aient été écrites sans prétention, au courant de la plume, à mesure qu'un sujet d'instruction se présentait *. Néanmoins quelques-unes n'offrent qu'un médiocre intérêt ou renferment des observations un peu puériles; mais il ne faut pas oublier que les Conversations étaient, outre des instructions morales, des jeux d'esprit, des exercices où l'on apprenait aux demoiselles, même des petites

1 Voir tome I, p. 339 et 468.

Voir les Lettres sur l'éducation, p. 171. 3 Lettres sur l'éducation des filles, p. 178. Voir tome 1, p. 139.

classes, à se tenir en public, à parler, à converser, à discuter. « Je n'ai fait les Conversations, leur disait Mme de Maintenon, que pour vous apprendre à vous entretenir ensemble, à savoir disputer sans vous quereller. Si tout le monde étoit d'abord du même avis, il n'y auroit presque rien à dire. C'est ce qui m'a fait mettre des sentiments si différents surtout dans la Conversation du mensonge. La manière de converser ne s'apprend pas comme des notes, mais l'habitude fait qu'on l'acquiert insensiblement1. »

A part ces Conversations enfantines ou peu intéressantes, on peut dire que les autres sont des chefsd'œuvre de bon sens, de grâce et d'esprit. Nulle part la raison, cette raison que Mme de Maintenon définit en des termes dignes de Platon ', ne parle un langage plus agréable, plus séduisant, plus imprévu; le style est aussi net, aussi précis, aussi ferme que dans les lettres, mais avec plus d'ornements et moins de négligences; les définitions sont si ingénieuses, si naturelles, si concises, si justes qu'elles semblent moulées dans les mots qui les expriment. Quelques-unes renferment des traits nombreux applicables au caractère et à la vie de Mme de Maintenon, d'intéressants détails de mœurs, des circonstances historiques, etc. Quelques autres semblent, par le bon goût du sujet, la vivacité, la délicatesse des pensées et même la subtilité du dialogue, des réminiscences de la jeunesse de Mme de Maintenon, de ces entretiens des hôtels

1 Recueil manuscrit d'instructions, p. 127.

2 Voir tome 1, p. 225.

d'Albret et de Richelieu où elle brillait par son esprit dans la société des La Fayette, des Sévigné, des La Rochefoucauld et des Coulanges. En effet, ces distinctions si fines, si exquises, sur l'esprit et le bon esprit, sur la bonne et la mauvaise gloire, sur la tempérance et la prudence, sur l'émulation et l'envie, etc.; ces discussions si sages et si animées sur les amitiés, le danger des occasions, les inconvénients du mariage, etc., devaient être les sujets ordinaires des conversations de la société polie du XVIIe siècle, si amoureuse de ces tournois d'esprit; et l'on ne saurait douter que les Conversations écrites par Mme de Maintenon pour les demoiselles de SaintCyr n'en reproduisent le fond et la pensée générale.

Les Proverbes ont été composés par Mme de Maintenon dans le même but et pour le même objet que les Conversations: instruire les demoiselles de SaintCyr en les divertissant. «En les voyant près d'échapper à sa tendre et vigilante sollicitude, dit M. de Monmerqué, elle voulut leur dépeindre à l'avance et sous son véritable jour, ce monde qui les réclamait, mais où la légèreté de l'âge, plutôt que les efforts intéressés du vice, allait conspirer contre le repos de leur avenir. De là tant de Proverbes pleins de raison et de vérité, tant d'ingénieuses applications d'adages, dont la trivialité même atteste un sens large et profond. »

Cependant les Proverbes sont généralement inférieurs en mérite aux Conversations: ils ont été faits sans doute pour instruire les demoiselles, mais plus encore pour les habituer à parler, à entendre les

divers langages de la société, pour leur donner une idée des travers et des habitudes du monde, enfin, et surtout pour les amuser. La moralité de quelquesuns n'est pas facile à saisir; les traits de mœurs contenus dans ces petites scènes sont souvent plus curieux qu'utiles; quelques-uns enfin, sont d'une naïveté trop puérile; mais presque tous sont vivement dialogués ; les caractères s'y présentent, s'y dessinent nettement en quelques lignes; l'intérêt dramatique, malgré l'exiguïté de l'espace et du sujet, ne faiblit pas; enfin, on imagine facilement le plaisir que devaient avoir les demoiselles de Saint-Cyr à représenter des jeunes filles coquettes, des mamans grondeuses, de beaux gentilshommes, des servantes ou des valets bavards; on imagine surtout les joyeux éclats de rire de l'innocent auditoire en écoutant les bons mots des proverbes : Rien de plus orgueilleux qu'un gueux revêtu; Bon cheval de trompette ne s'effraye pas du bruit; Les femmes font et défont les maisons, etc.

Les Avis, Lettres, Entretiens, qui forment la première partie de ces deux volumes, sont inédits, sauf quatre ou cinq lettres publiées par La Beaumelle. Je les ai tirés des manuscrits déjà cités dans les Lettres et entretiens sur l'éducation, ainsi que dans les Lettres historiques et édifiantes; je renvoie donc pour l'explication de ces manuscrits aux préfaces de ces 4 volumes.

Les Conversations ont été publiées pour la première fois en 1757, sous le titre de Loisirs de Mme de Maintenon. L'éditeur ne s'est pas nommé, et dit tenir son manuscrit des Dames de Saint-Cyr. Cette publication

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