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est très-inexacte et très-incomplète. D'abord il y manque quinze conversations; ensuite le texte a subi de nombreuses et importantes transformations qui donnent lieu à une remarque très-curieuse : c'est que les mœurs et les idées de la France s'étaient tellement modifiées depuis la mort de Mme de Maintenon, c'est-à-dire en moins de 40 ans, que, pour faire accepter la lecture des Conversations par le public de l'époque, l'éditeur a fait dans cet ouvrage des coupures, des altérations de style et de pensées, enfin des mutilations tout à fait semblables à celles qu'on pourrait y faire aujourd'hui, si l'on voulait accommoder cette lecture à nos mœurs nouvelles. Ainsi on a retranché tout ce qui est relatif à l'état de la société, à son partage en classes diverses, à la cour, à la noblesse, à ses priviléges. Les mots, gens de considérations, personnes de distinction, remplacent ceux de gentilshommes, gens de qualité; aux mots de misérables et de petites gens, on substitue gens de condition peu élevée et personnes sans éducation; le nom même de la maison de Bourbon disparaît. Enfin un dernier exemple démontre, ce me semble, combien, dès la moitié du dix-huitième siècle, les idées qui devaient triompher en 1789 avaient déjà fait de progrès. Mme de Maintenon dit (t. I, p. 208, Conversation VI, sur le courage): «Peu de soldats se dispensent d'aller au combat; mais les uns y courent avec ardeur et les autres n'y vont qu'à coups de bâton.» L'édition de 1757 remplace ce dernier mot par : forcément. Ce petit changement me paraît avoir une grande portée. On sait que, dans l'ancien régime, les soldats, enrôlés à prix d'ar

gent, étaient en grande partie des mauvais sujets, et la lie de la population. La canne ou le bâton était employé avec eux comme instrument de discipline, et les officiers ne craignaient pas de s'en servir pour contraindre les poltrons à aller au combat. Mais il faut croire que, dès 1757, cela n'était plus complétement vrai, et qu'on n'aurait pu dire, sans exciter des murmures, sans déplaire au public, que des soldats français pouvaient être menés au combat à coups de bâton. Les soldats, quoique sortis de la même source, et enrôlés de la même façon, commençaient à gagner, dans l'opinion de la nation, tout ce que commençaient à perdre les officiers, et c'est ce que témoignent en effet toutes les guerres de Louis XV, et principalement la guerre de Sept ans.

J'ai indiqué quelques-uns de ces changements, quelques-uns de ces retranchements par des notes, mais je n'ai indiqué que les plus graves. Il suffit, pour le reste, d'avertir le lecteur que le texte des anciennes éditions des Conversations est à peu près autant altéré que celui des Lettres publiées par La Beaumelle.

Une deuxième édition des Conversations a été publiée en 1808; elle est entièrement conforme à la première. Une troisième a été publiée en 1828 par M. de Monmerqué, en 2 vol. in-18. Le premier renferme les Conversations déjà connues; le deuxième les Conversations inédites, au nombre de quinze, et qui sont tirées d'un beau manuscrit de Mule d'Aumale, écrit de sa main et relié à ses armes. Par un oubli que l'illustre érudit avoue sans peine, et qu'il me me charge aujourd'hui de réparer, il négligea de

comparer le texte des Conversations publiées en 1757 et en 1808 avec celui du manuscrit de Mlle d'Aumale; et dans cette troisième édition, ces Conversations sont restées ce qu'elles étaient dans les deux premières, c'est-à-dire inexactes et incomplètes. Il n'en est pas de même des quinze Conversations empruntées directement au manuscrit de Mile d'Aumale.

Les Proverbes ont été publiés pour la première fois, en 1829, par M. de Monmerqué, d'après le manuscrit déjà cité de M1le d'Aumale (1 vol. in-18; Paris, Blaise). On lit dans la Préface, et nous ne saurions mieux faire que de répéter ces sages paroles d'un savant, notre maître et notre ami: «On offre ce livre aux hommes vrais amis de l'enfance; aux institutrices jalouses d'assurer son bonheur; aux jeunes personnes dont il deviendra la sauvegarde par les conseils qu'elles y puiseront. Mme de Maintenon, en fondant Saint-Cyr, n'était utile qu'à quelques familles ; ses ouvrages sont une école ouverte à tout le monde, et nous avons droit de nous féliciter d'en publier un de plus. >>

Je dois à la bienveillante amitié de M. de Monmerqué la communication du manuscrit de Mlle d'Aumale, et c'est grâce à ce manuscrit que je puis donner enfin une édition exacte et complète de cette partie importante des oeuvres de Mme de Maintenon.

TH. LAVALLÉE.

DE MNE DE MAINTENON

AUX DEMOISELLES

POUR LEUR CONDUITE DANS LE MONDE

PREMIÈRE PARTIE

AVIS, LETTRES ET ENTRETIENS

1.-AVIS AUX DEMOISELLES,

QUI DOIVENT RETOURNER DANS LE MONDE'.

1692.

On tâche, dans l'éducation qu'on vous donne à Saint-Cyr, de vous faire de vraies chrétiennes, et c'est la seule fin de l'institut de cette maison, et l'intention du Roi qui l'a fondée.

Mais le grand nombre de filles à peu près du même âge et de même naissance fait encore qu'elles vivent entre elles dans une grande liberté, et qu'elles ne se forment point assez dans les égards qu'on se doit les uns aux autres dans le commerce du monde et même dans les couvents; c'est ce qui m'oblige de vous dire quelque chose de ce que mon expérience peut m'avoir appris, et que je désire de tout mon cœur qui puisse vous être utile, ma tendresse pour 1 Lettres édifiantes, t. V, p. 545.

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