Page images
PDF
EPUB

vie de vous le proposer une seconde fois; que si ce sont des personnes perdues de réputation, ou qui soient tant soit peu suspectes, il n'y faut pas aller absolument. >>

Mile de Partenay demanda si ce ne seroit pas une bassesse d'aller dîner et souper chez les uns et les autres. Mme de Maintenon répondit : « C'en seroit une d'en faire habitude; on peut quelquefois aller en visite, dîner chez une personne sans avoir dessein de lui rendre, mais pour l'ordinaire il vaut mieux vivre chez soi à l'étroit et de peu, que de chercher à faire bonne chère chez autrui, J'ai toujours aimé la mère d'une demoiselle de Saint-Cyr, pour la vie qu'elle mène : elle se met au travail de grand matin, y emploie tout le jour, et vit de son épargne pour éviter d'être à charge à personne.

-

«-Est-ce une bassesse de travailler pour gagner quelque chose? dit Mile du Tot. Au contraire, répondit Mme de Maintenon, il y a bien plus de noblesse de vivre de son travail et de ses épargnes que d'être à charge à ses amis. Je vous ai habillé un proverbe, Tant vaut l'homme, tant vaut sa terre1, où l'on voit un homme qui manque de tout, pour avoir abandonné son bien plutôt que de se donner la peine de le faire valoir, et un autre qui vit heureux dans sa famille, parce qu'il prend soin de ses affaires, qu'il vit de peu, ne mangeant que des légumes pour assurer quelques biens à ses enfants; laquelle des deux manières de vie choisiriez-vous,

Voir plus loin ce proverbe.

Cugnac? - C'est, dit la demoiselle, la seconde. Vous avez grande raison, dit Mme de Maintenon; cependant cela n'est pas aussi aisé à faire qu'à dire. Il faut s'accoutumer de bonne heure à l'épargne; je ne dirois pas à des personnes riches: vendez vos ouvrages, mais à celles qui ne le sont pas je leur conseille fort, elles ne sauroient mieux faire. »

Mlle de Segonzague lui demanda comment nous devions nous comporter à l'égard des hommes. « Il faut, dit Mm de Maintenon, les éviter, et ne leur jamais donner lieu à la moindre liberté. Je me trouvai un jour en présence du Roi, avec un grand nombre de dames assises la plupart dans des chaises à dos, parce que Sa Majesté donne beaucoup de liberté aux personnes qui ont l'honneur de la voir souvent. Le Roi étoit encore jeune, et en badinant, il renversoit les chaises de ces dames, et les jetoit à terre, ce qui les mettoit dans d'étranges postures; il vint à une, qui n'étoit pas de plus grande maison que les autres, et dit : « Ah! pour celle-là, je n'oserois. » C'étoit faire en peu de mots l'éloge de cette personne'. Ce n'est pas par un sérieux af

1 On retrouve cette anecdote dans les Mémoires de Mlle d'Aumale. La personne à laquelle Louis XIV donne cette singulière marque de respect est Mme de Maintenon, alors la veuve de Scarron. « Elle fut de tout temps si respectée, dit Mlle d'Aumale, que jamais on n'osa prendre la plus petite liberté avec elle.» Je ne dis rien des jeux étranges de Louis XIV: ils témoignent, comme beaucoup d'autres faits signalés dans les mémoires du temps, ce qu'il y avait encore de grossièreté d'habitudes dans cette société si polie, si élégante, si amoureuse des plaisirs de l'esprit. Ces jeux contrastent d'ailleurs avec la courtoisie extrême que le

fecté qu'on établit sa réputation, mais par des manières réservées à l'égard des hommes, qui n'empêchent pas la gaieté et une noble aisance; car la vraie vertu n'est ni austère, ni gênante, ni farouche. »>

Mile des Miers demanda si une fille pouvoit écrire sans le dire à sa mère: «Non, répondit Mme de Maintenon, une fille ne doit jamais rien faire sans la permission de sa mère, ou des personnes de qui elle dépend; c'est le vrai moyen de ne jamais faire de sottises; il n'y a aucune raison de se cacher quand on n'a pas envie de faire le mal. » Une maîtresse demanda ce qu'il faudroit faire si on recevoit des lettres de personnes inconnues, surtout de quelque homme. Me d'Escoublant répondit qu'il faudroit la brûler après l'avoir lue. Mme de Maintenon prit la parole et dit : « Cela ne suffiroit pas, il ne faudroit pas même la lire, mais la porter à sa mère ou aux personnes qui en tiennent lieu, et dire : << Voilà une lettre dont je ne connois ni le cachet ni l'écriture: ayez la bonté de la lire et de voir de quoi il s'agit; pour moi je ne le veux point savoir, à moins que vous ne le jugiez à propos. » C'est un affront à une fille de recevoir des lettres des hommes qu'elle ne connoît point, parce qu'ils ne s'adressent qu'aux filles et aux femmes dont ils croient être bien reçus, et il faut pour cela y avoir donné quelque lieu; on ne doit écrire à aucun homme,

roi témoignait à toutes les femmes. « Jamais, dit Saint-Simon, il n'a passé devant la moindre coiffe sans soulever son chapeau, je dis aux femmes de chambre et qu'il connoissoit pour telles. >> 1 Elle devint religieuse de Saint-Louis.

excepté à ses proches, si ce n'est pour quelque affaire de famille ou autre chose bien nécessaire. »

Mile de Mornay dit qu'on s'éloignoit du sujet de la bonne gloire qui avoit commencé la matière de la conversation; mais Mme de Maintenon trouva que cela y avoit rapport, et dit qu'il n'y avoit rien de si glorieux et de si honorable que de bien établir sa réputation; puis elle demanda à Mile de Verdille : « Croyez-vous que l'humilité consiste à en aimer la perte? » Elle répondit que non. « Vous avez grande raison, répondit Mme de Maintenon, il faut au contraire en être bien jalouse. » Une maîtresse dit qu'elle avoit toujours confondu la bonne gloire, la libéralité et la générosité. Mme de Maintenon répondit : « Ces qualités ont en effet de la ressem blance, mais la générosité a quelque chose de plus grand que la libéralité, et est bien au-dessus; on aime naturellement à donner, peu de gens ont des inclinations contraires, mais il ne se trouve guère de personnes vraiment généreuses; celles qui le sont surpassent toujours ce qu'on attend d'elles : elles ont l'âme grande et une étendue de cœur qui les fait estimer de tout le monde; c'est une des plus grandes louanges qui se puisse donner à une personne, et une des plus belles qualités qu'elle puisse avoir; elle rend incapable d'intérêt et fait réussir en ce qu'on entreprend, parce qu'elle donne le courage de surmonter les obstacles qui empêchent d'arriver à sa fin; avec elle, on est incapable de toutes bassesses; on est libéral, on a de la gloire, j'entends de la bonne gloire. La mauvaise gloire est

le contraire de ce que je vous ai dit de la bonne : c'en est une fort sotte de parler toujours de ses parents, de sa noblesse et de tout ce qui nous regarde les personnes sujettes à ce défaut se rendent insupportables dans la société aussi bien que celles qui y vivent sans attention et sans considération pour les autres. On reconnoît ordinairement dans le monde la noblesse à son honnêteté, et même à son humilité, à son attention à faire plaisir, à soulager, à éviter de donner de la peine, à rendre service. Retenez et comprenez bien, mes enfants, que les véritables nobles ne sont point portés à s'élever ni à mépriser personne; et que les manières hautes, fières et dédaigneuses sentent les petites gens. Sur quoi Jeanne, cette bonne vigneronne que j'ai chez moi, et que j'aime tant pour son sens et pour sa raison, dit quelquefois : « Oh! nous autres, pauvres gens, quand nous avons quelques honneurs, on ne peut plus nous approcher. » Adieu, mes enfants, ayons beaucoup de bonne gloire et jamais de mauvaise, ni d'orgueil. »

[blocks in formation]

On pria Madame de parler sur la bonne et la mauvaise gloire. Elle dit que la bonne gloire est de

1 Recueil d'instructions, p. 8.-Le commencement ressemble

« PreviousContinue »