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l'ose dire, opiniâtre plutôt que de vous rendre, et votre première éducation vous servira fort à propos d'un prétexte honorable pour vous dispenser de faire comme les autres.

Il reste encore un devoir important, mais bien peu connu dans le monde, quoiqu'il soit absolument nécessaire, c'est ce que tout chrétien doit à son Roi et à ceux à qui il fait part de son autorité qui est celle de Dieu même et qu'il faut respecter, quelque soit celui qui en est revêtu. Heureusement pour nous, ma chère fille, le prince que nous tenons de la magnificence de Dieu est tel que nous le pouvons souhaiter; mais quand il n'auroit ni religion, ni bonté, ni justice, vous n'en seriez pas moins obligée d'obéir à ses lois en tout ce qui ne s'oppose point à celles de Dieu; ainsi, loin de vous plaindre et de murmurer des secours que la guerre l'oblige à tirer de ses peuples, vous devez porter les autres à s'y rendre de bon cœur, parce que le besoin général de l'État est celui de chaque particulier, qui ne peuvent être en sûreté dans leurs maisons si on ne les garde de leurs ennemis, et on ne peut les en garder sans avoir de quoi faire subsister les troupes nécessaires à ce dessein, à quoi il est très-juste que chacun contribue, puisque chacun y est intéressé. On convient assez volontiers de ce raisonnement, on le fait même aux autres dans l'occasion, mais quand il est question d'en venir à la pratique, personne ne veut

1 Cette belle définition, qui semble empruntée à Bossuet, exprime parfaitement l'espèce d'admiration et d'enthousiasme que Louis XIV inspirait à ses sujets.

porter la charge, et on n'épargne rien pour en exempter ses terres, ce qui est une grande injustice, parce qu'en cherchant à se soulager on en accable d'autres, le marché étant pour ainsi dire fait, et la somme, qui en doit revenir au Roi, réglée', au lieu que chacun souffriroit moins si tout le monde consentoit de souffrir un peu, et vouloit porter une partie de la charge; mais on veut trouver des raisons et des impossibilités qui ne sont que des prétextes suggérés par l'intérêt et par l'injustice très-commune dans le monde, et dont même souvent on se fait honneur; par exemple, sur les douanes, les droits d'entrées et autres, on se vante de savoir mille moyens de s'échapper et de tromper habilement2, ce qui pourtant me paroît une injustice et une désobéissance aux lois de l'État. Le monde n'en raisonne point ainsi, et on vous trouvera plus que scrupuleuse d'y regarder de si près; cependant, ma chère fille, ce n'est point un conseil ni une œuvre de surérogation; c'est une obligation précise pour toutes sortes de personnes; mais combien de gens n'ont pas eu l'avantage d'être instruits de leurs devoirs comme vous, et qui ne péchent que par ignorance! Votre exemple plus que vos paroles doit les éclairer et les redresser; s'il se présentoit quelques occasions

1 On sait que les principaux impôts étaient affermés à une société de financiers qu'on appelait fermiers généraux, qui en versaient le montant à l'avance dans les caisses du roi, et en effectuaient ensuite la perception.

2 Sur ce point, comme sur tant d'autres, nos mœurs n'ont point changé,

d'en parler, ne les perdez pas; dites franchement ce que vous avez appris ici à ce sujet, et faites volontiers part aux autres des maximes droites et solides. qu'on vous y a données '.

Parlez peu et écoutez beaucoup, jusqu'à ce que vous soyez un peu formée sur chaque chose; vous éviterez par là bien des railleries que les filles de couvent s'attirent par leur innocence. Ne paroissez étonnée de rien; ne demandez guère ce que vous ignorez qu'à madame votre mère, parce qu'il seroit à craindre que vos questions ne fussent pas reçues des autres d'une manière favorable pour vous, et une mère se compte obligée d'instruire ses enfants sur tout; ne dites point à ce qui vous sera nouveau que vous l'ignorez, il faut apprendre mille choses comme si on les avoit déjà sues.

Ménagez, épargnez, pour ne pas prévenir d'abord contre vous et de peur qu'on ne vous croie dépensière; laissez à madame votre mère le soin de penser à vous faire de petits présents; ne l'importunez point par des demandes pour votre habillement ou pour votre plaisir.

Ne croyez point qu'on vous approuve parce qu'on ne vous dit mot; vous seriez longtemps à charge sans en être avertie; il n'y a presque qu'à Saint-Cyr qu'on reçoit des avis à chaque chose que l'on fait de mal, encore je vous avouerai qu'il y a bien des occasions où nous ne parlons point parce que le fait nous

1 On voit quelle sorte d'éducation politique les demoiselles recevaient à Saint-Cyr.

regarde, au lieu que dans le monde on se plaint des personnes à tous autres qu'à elles-mêmes, à moins d'une amitié plus solide et d'un intérêt plus sincère qu'il ne s'en trouve aujourd'hui.

19.

A UNE DEMOISELLE SORTIE DE SAINT-CYR'.

1706.

Il est vrai, ma chère fille, que je vous aime mieux dans votre famille que dans une communauté : leur misère vous fera souffrir, mais il est juste que vous la partagiez, que vous la soulagiez et que vous la consoliez autant que vous le pourrez; ce seront là vos bonnes œuvres et vos pratiques de vertu. Souvenez-vous de votre éducation, et songez à servir Dieu, ma chère enfant, puisque nous ne vivons que pour lui. Vous ne m'importunez point de m'écrire: je serai bien aise de savoir de vos nouvelles, et je voudrois de tout mon cœur pouvoir vous rendre heureuse; mais vous avez vu de près que la grandeur ne peut pas autant que le croient ceux qui la voient de loin: il n'y a que Dieu assez puissant pour nous enrichir tous. Adieu, je vous embrasse de tout

mon cœur.

Lettres édifiantes, t. III, 1. 79.

20.

- INSTRUCTION AUX DEMOISELLES DE LA CLASSE :

BLEUE1,

SUR LA BONNE GLOIRE.

1706.

Un jour que nous priâmes Madame de nous parler de la bonne gloire, elle nous dit : « Je crois que la bonne gloire consiste à aimer son honneur et à ne jamais faire de bassesses. Puis elle demanda à MHe Dubois ce que c'étoit que de faire des bassesses? -Elle répondit que ce seroit, par exemple, de manquer au secret ou de voler. Il est vrai, dit Mme de Maintenon, que tout vice est une bassesse, et ceux que vous nommez sont des plus grands; mais je veux quelque chose de plus particulier : c'en seroit une, par exemple, de recevoir des présents; il vaut mieux se passer de tout que d'en prendre jamais que de ses plus proches parents, comme un père, une mère, une sœur, une tante; ces personneslà sont sûres. Il est difficile de vous donner des règles générales, c'est selon les familles; car il y a quelquefois des oncles assez libertins pour vous railler sur la dévotion, et vous dire : Quoi! être toujours au coin d'une église? toujours dire son chapelet, toujours prier? il vaut bien mieux voir telles et telles compagnies. Si elles sont dangereuses, il faut chercher quelques raisons pour s'en dispenser, ou y prendre si peu de part, qu'ils n'aient pas d'en

Lettres édifiantes, t. V, p. 501.

Recueil d'instructions,

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