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Mme la duchesse de Bourgogne de cet oubli : elle en voulut rire, mais il lui dit qu'il ne pouvoit plaisanter d'une pareille chose. Je suis persuadée que cette pauvre femme n'étoit guère contente de voir que, pendant qu'elle se tuoit de travailler, on la laissoit mourir de faim. Si ce manque d'attention, qui pouvoit être pardonnable à une jeune princesse de seize ans, a été relevé par le Roi avec le sérieux que je viens de dire, combien le seroit-il moins à des filles comme vous qui auront besoin toute leur vie de faire attention aux autres? J'espère, mes enfants, que vous profiterez de cette instruction comme des autres. Il est presque impossible de résister à la raison qui est si belle et toujours la même ; ainsi on ne vous dira rien de nouveau, et on ne cessera de vous parler des mêmes choses; pour moi, tant que je vous visiterai, je ne vous parlerai que de raison, parce qu'il y a des personnes qui, quoiqu'elles l'aiment beaucoup, manquent d'expérience pour la bien connoître et qui, dès que l'on vient à la leur développer, sont ravies de voir clairement ce qu'elles ne faisoient qu'entrevoir. >>

13. — A UNE DEMOISELLE SORTIE DE SAINT-CYR,

A L'OCCASION DE SON ÉTABLISSEMENT '.

1er janvier 1705.

Je suis ravie, ma chère fille, de l'établissement qui se présente pour vous; il n'y a rien que je ne

1 Lettres édifiantes, t. V, p. 49.

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voulusse faire pour y contribuer. Vous aurez bien difficilement une place de régale1, et Mme de Fontaines suivra cette affaire jusqu'à ce que vous en ayez l'expédition. La seconde chose que vous me proposez n'est pas si aisée, m'étant fait une loi de ne jamais demander de bénéfice, parce qu'on charge sa conscience de maux qui en peuvent arriver; mais si monseigneur l'évêque d'Uzès en donnoit un pour l'amour de moi à un digne sujet, je lui serois bien obligée, ne pouvant avoir un plus grand plaisir que de marquer à la famille où vous allez entrer, l'amitié que j'ai pour vous. J'espère que M. de Basville3, qui m'a toujours fait l'honneur d'être de mes amis, vous accordera partout sa protection. Si vous répondez à l'éducation de Saint-Cyr, vous porterez de grands trésors à monsieur votre mari, puisque vous serez pieuse, complaisante, douce, modeste, retirée, appliquée à vos devoirs, et imitant le plus que vous pourrez la femme forte dont nous avons tant parlé ensemble; je vous le souhaite, ma chère fille, et que vous me croyiez à vous de tout mon cœur.

1 Les places de régale étaient les places dans les couvents de fondation royale, et dont la nomination appartenait au roi. Louis XIV avait décidé que ces places seraient données aux demoiselles de Saint-Cyr. Il est probable que la demoiselle dont il est ici question demandait une place de régale pour quelque sœur ou parente.

2 Mme de Fontaines était alors supérieure de la maison de SaintLouis.

3 Intendant du Languedoc, qui avait connu Mme de Maintenon dans son veuvage, alors qu'elle fréquentait les hôtels de Richelieu et d'Albret.

16. A Mile D'OSMOND1,

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LORSQU'ELLE EUT ÉPOUSÉ M. LE MARQUIS D'HAVRINCOURT 2.

Ce 24 février 1705.

Vous n'avez à présent que deux choses à faire, madame, servir Dieu et contenter votre mari. Ayez pour lui toutes les complaisances qu'il exigera; entrez dans toutes ses fantaisies autant que cela n'offensera pas Dieu; s'il est jaloux, renfermez-vous, ne voyez personne; si au contraire il veut que vous soyez dans le grand monde, mettez-vous-y en vous retirant toujours autant que la modestie le demande. Vous allez être gouvernante, c'est-à-dire la première personne de la ville; faites-y tout le bien que Dieu demandera de vous; donnez-y bon exemple. Qu'il y ait toujours quelque sage et honnête femme en votre

1 Mlle d'Osmond avait servi pendant deux ans de secrétaire à Mme de Maintenon. A la demande de la duchesse de Bourgogne dont elle était très-goûtée, le Roi lui donna une dot de 100,000 livres et la maria au marquis d'Havrincourt, gouverneur de Hesdin, colonel du régiment d'Artois-dragons. La Beaumelle a inséré dans sa collection (t. II, p. 137, de l'édition de 1757) les conseils remarquables que Mme de Maintenon adressa en cette occasion à Mlle d'Osmond; mais comme de coutume il les a arrangés, augmentés, mutilés. Les deux textes se trouvent mis en regard l'un de l'autre dans l'Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, p. 5 de la préface. A la suite de ces conseils, il met cette note:

L'original de cette règle de conduite est entre les mains de Mme la marquise d'Havrincourt qui la relit encore tous les matins. C'est à ces conseils, exactement suivis, qu'elle doit cette haute piété qui édifie toute sa province, une maison bien affermie et une famille florissante, quoique nombreuse. »

2 Lettres édifiantes, t. V, 1. 60.

compagnie; représentez à votre mari que vous êtes encore trop jeune pour vous livrer au monde, sans qu'il y ait quelqu'un de raisonnable témoin de votre conduite il vous en saura très-bon gré quel qu'il soit. Fuyez les mauvaises compagnies, rien n'est si dangereux. Aimez la présence de votre mari, ne vous cachez jamais de lui. Sachez vous retenir sur le jeu que je crois que vous ne haïssez pas vous voyez les malheurs que l'amour du jeu attire. Aimez l'ouvrage, soyez toujours occupée; aimez à être seule, à rentrer en vous-même et à faire souvent des réflexions sur votre conduite. Ne soyez point haute, soyez polie, faites-vous aimer de votre domestique, soyez-y ferme et bonne. Ne donnez jamais dans l'excès des modes, suivez-les de loin et autant que la bienséance le requiert sans les outrer; ne tatez jamais de la louange, qu'on dise de vous que vous êtes magnifique dans vos habits; je serois bien fâchée d'entendre dire cela de vous; soyez vêtue proprement, sans affectation, et devenez ménagère.

Vous avez été élevée dans la plus pure doctrine, et savez fort bien votre religion, vous avez même de la piété; ayez horreur de toute nouveauté sur cet article; ne décidez jamais de rien, quoique vous en sachiez plus que les autres; ne parlez sur cela que quand on vous demandera votre sentiment, que vous direz avec modestie et retenue; ne critiquez jamais la conduite de personne, quelque mauvaise qu'elle soit. Je ne vous dirai rien sur vos devoirs de bonne Françoise envers le Roi; vous lui avez de trop

grandes obligations pour vous départir jamais du respect et de l'amour que ses sujets lui doivent, et vous en particulier êtes bien obligée de prier Dieu toute votre vie pour sa sacrée personne, et pour la famille royale. Ne souffrez jamais, autant que cela dépendra de vous, qu'on en parle d'une manière trop libre; on se donne une grande liberté de parler dêş défauts des princes: cela ne vaut rien; gardez-vous-en, vous qui les connoissez mieux que personne. Enfin, ma chère fille, soyez une bonne chrétienne, une bonne femme et une bonne mère, remplissez bien tous vos devoirs, établissez bien votre réputation, et priez pour moi.

17.

A Mme D'HAVRINCOURT 1.

A Saint-Cyr, ce 6 août 1705.

Depuis que M. d'Havrincourt et vous m'avez écrit, il ne s'est point passé de jour que je n'aie eu envie de vous faire réponse; mais vous connoissez assez la vie que je fais pour n'être pas surprise que je n'en aie point eu le loisir; je ne suis pas même bien assurée de finir ce que je commence; cependant je voudrois vous entretenir longtemps, car je suis fort contente de votre lettre, parce que vous entrez en détail, et qu'il y a peu de compliments. Je suis ravie de vous savoir auprès de votre belle-mère; je suis prévenue d'une grande estime pour elle, et je

1 Lettres édifiantes, t. V, l. 75.

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