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AUGUSTINE.

Il est vrai, et je crois qu'elle l'est aussi de la patience.

ALEXANDRINE.

Voilà une conversation qui nous peut être fort utile.

ANASTASIE.

Oui, si elle nous fait entreprendre la pratique des vertus dont nous venons de parler.

CONVERSATION XXXIX.

SUR L'ÉDUCATION DE SAINT-CYR.

ÉLÉONORE.

Je suis charmée, mesdemoiselles, des Conversations qu'on nous a données pour nous divertir, et jamais on ne pouvoit trouver une invention plus agréable et plus utile en même temps.

FLORIDE.

Il est vrai, mademoiselle, que tous les jeux qu'on pouvoit nous permettre nous donneroient moins de plaisir.

OLYMPIADE.

Parlez pour vous, mademoiselle, car pour moi je ne saurois comprendre qu'une instruction soit un plaisir.

DOROTHÉE.

Il n'est pas possible, mademoiselle, que vous pensiez ce que vous dites.

CLÉMENTINE.

Vous êtes bien malheureuse, mademoiselle, si vous ne pouvez vous instruire qu'en vous ennuyant.

OLYMPIADE.

Trouvez-vous, mademoiselle, qu'on doive rire au sermon ou au catéchisme ?

ÉLÉONORE.

Non, mademoiselle, mais je crois qu'on peut avoir du plaisir sans rire.

OLYMPIADE.

Le rire me paroît ce qu'il y a de meilleur.

EUPHROSINE.

Mais, mademoiselle, le bonheur d'une personne que vous aimeriez ne vous feroit-il pas plaisir, et en ririez vous?

DOROTHÉE.

Et si elle vous devoit son bonheur, n'auriez vous pas le cœur rempli de joie sans avoir envie de rire ?

OLYMPIADE.

Je ne démêle pas trop bien ce que je pense làdessus : ce que vous dites me raviroit; je sens bien que je n'en rirois pas, cependant j'avoue que je ne suis jamais si aise que quand je ris.

EUPHROSINE.

Le rire vient de quelque chose qui nous surprend, et qui nous paroît plaisant ou ridicule, mais il y a des choses qui nous font encore plus de plaisir.

OLYMPIADE.

Mais quand je conviendrois de ce que vous dites, où sont donc ces grands plaisirs que vous trouvez dans les Conversations que l'on nous fait faire depuis quelque temps?

FLORIDE.

En peut-on trouver de plus grands? nous représentons, on nous écoute, nous disons des choses pleines d'esprit et de vérité.

EUPHROSINE.

Notre esprit s'éclaire sur des choses que nous n'aurions peut-être jamais connues, ou du moins, il nous en auroit coûté une longue expérience. ÉLÉONORE.

Non-seulement notre esprit s'éclaire, mais notre cœur se forme à toutes sortes de vertus.

OLYMPIADE.

Vos plaisirs sont bien sérieux, mesdemoiselles.

EUPHROSINE.

Ils n'en sont pas moins grands.

OLYMPIADE.

Mais est-il possible que vous ne trouviez pas qu'il soit plus divertissant de sauter, de jouer à toutes sortes de jeux, que d'examiner ce que c'est que l'indiscrétion, quelle différence il y a d'un bon esprit et d'un bel esprit, et une infinité d'autres choses que l'on nous apprend?

EUPHROSINE.

Il faut danser, sauter et courir pour se bien réjouir et pour faire des exercices aussi nécessaires à la santé qu'à notre plaisir, mais quand on veut jouer

à des jeux plus tranquilles, ne trouvez-vous pas qu'il soit plus agréable de faire ensemble des conversations qui, en nous faisant disputer, nous donnent des vues droites sur chaque chose?

DOROTHÉE.

Mademoiselle aimeroit peut-être mieux représenter la Belle Germaine?

CLÉMENTINE.

Ou bien chanter: A qui est ce chariot qui passe el qui repasse?

OLYMPIADE.

Ne vous en moquez point, mademoiselle; je ne suis pas seule de mon goût, ces jeux-là sont en usage depuis qu'il y a des enfants au monde ; et on ne s'est point imaginé, pour les réjouir, de leur faire faire des définitions'.

ÉLÉONORE.

Mais présentement, mademoiselle, ne vous divertissez-vous pas à soutenir une mauvaise cause avec tant d'esprit ?

OLYMPIADE.

Je me divertis assez en effet de vous voir toutes contre moi, mais je vous avoue que je suis blessée du désir continuel de s'instruire qui règne ici.

DOROTHÉE.

Ce que vous dites là, mademoiselle, est d'une étrange opposition au bien.

1 L'éducation sérieuse et sensée qu'on donnait à Saint-Cyr était en effet une innovation très-grande, car dans toutes les maisons où l'on élevait des filles, l'instruction était nulle ou pleine de puérilités.

OLYMPIADE.

C'est la nature, mademoiselle.

DOROTHÉE.

Et parce que c'est la corruption de la nature, fautil s'y abandonner, et ne pas profiter des soins extraordinaires qu'on prend ici pour nous ?

OLYMPIADE.

Eh! mademoiselle, l'éducation de Saint-Cyr n'est pas exempte de critique.

ÉLÉONORE.

Seroit-il possible, mademoiselle? il me semble que tout le monde l'admire et doit l'admirer.

OLYMPIADE.

On prétend que l'on veut nous rendre trop habiles et que nous en serons moins heureuses.

EUPHROSINE.

Pour moi je ne croirai jamais qu'en nous instruisant de notre religion, et en nous donnant de la raison, on nous rende malheureuses.

OLYMPIADE.

Nous aurons peut-être trop d'esprit pour les gens avec qui nous aurons à vivre.

ÉLÉONORE.

Il me semble qu'on songe plus à nous donner de la raison qu'à exciter notre esprit.

EUPHROSINE.

Plus nous serons chrétiennes et raisonnables, et plus nous saurons nous accommoder de la fortune qu'il plaira à Dieu de nous envoyer.

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