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droient inutiles tout ce que le Roi a fait pour nous, quelque grand qu'il soit, si elles n'y répondoient de bonne foi.

CONSTANCE.

La bonne foi est-elle aussi nécessaire dans la piété ?

ADÉLAÏDE.

Elle l'est avec ceux qui nous conduisent, parce que ce sont des hommes que nous pourrions tromper; mais nous nous tromperions encore plus qu'eux, car, pour Dieu, on ne le trompe point: il sonde nos cœurs; il les voit tels qu'ils sont, et ne peut souffrir ceux qui sont doubles.

ALEXANDRINE.

Ne naît-on pas de bonne ou de mauvaise foi et peut-on changer son naturel?

ADÉLAÏDE.

Il est certain qu'il y a des naissances plus heureuses les unes que les autres, mais il faut cultiver les bonnes inclinations et tâcher de rectifier les mauvaises; rien n'est impossible à Dieu, et nous pouvons tout avec son secours.

CONSTANCE.

Nous sommes persuadées, mademoiselle, et j'espère qu'on verra parmi nous le fruit de cette conversation.

CONVERSATION XXXVI.

SUR LA RAILLERIE'.

AURÉLIE.

Je craignois fort, mademoiselle, que le petit voyage que j'ai fait à la campagne ne me privât de l'honneur que vous me faites, et je veux profiter aujourd'hui de cette occasion pour vous faire une question que vous pourrez décider mieux que per

sonne.

AGATHINE.

Je ne me sens guère capable de faire des décisions; mais vous n'avez qu'à ordonner, je vous dirai tout ce que je sais.

AURÉLIE.

Je me trouvai l'autre jour dans une compagnie où il y avoit plusieurs personnes d'esprit. On parloit sur la raillerie; il y en avoit qui soutenoient que c'étoit une marque de finesse de l'esprit; que, lorsqu'elle est bien faite et qu'elle ne peut fàcher personne, elle rend la conversation agréable; d'autres prétendoient qu'il ne faut jamais railler; on voulut me faire juge, mais j'avouai que je ne m'en trouvois pas capable.

1 Cette Conversation est citée dans les Lettres sur l'éducation, p. 71.

LOUISE.

Je serois assez de l'avis de celles qui veulent railler; car ce seroit un grand agrément retranché du commerce, de vouloir interdire la raillerie; la société deviendroit bien sérieuse et un peu fade.

AGATHINE.

Mais, mademoiselle, trouvez-vous qu'il soit agréable d'entendre censurer toutes les actions d'une personne, et qu'elle doive prendre plaisir à être le sujet du divertissement de toute la compagnie?

LOUISE.

Ah! mademoiselle, ce n'est pas là ce qu'on appelle raillerie; celle que je conçois n'offense personne, elle doit même plaire à celle à qui elle s'adresse; il ne faut railler que ceux qui entendent raillerie.

AGATHINE.

Voici des personnes de bonne compagnie et qui entreront volontiers dans notre conversation.

VICTOIRE.

Ne venons-nous pas mal à propos, mesdemoiselles? J'ai sujet de le craindre, et vous ne pouvez désirer qui que ce soit, ayant ici tout ce qu'il y a de mieux.

AURÉLIE.

Nous vous y voyons avec joie, et nous ne pouvons mieux vous le marquer qu'en reprenant notre conversation où nous en étions quand vous êtes entrées. Nous en sommes sur la raillerie; les unes la veulent, les autres la blåment, et toutes enfin cherchent à la bien connoître.

ADÉLAÏDE.

Pour moi, je trouve tant de difficultés à railler avec toutes les mesures que je crois qu'il faut garder, que je crois plus sûr et plus facile de ne railler jamais.

LOUISE.

C'est donc par paresse, mademoiselle, que vous ne voulez pas railler; car, si vous vouliez vous en donner la peine, vous le feriez mieux qu'aucune

autre.

ADÉLAÏDE.

Vous avez trop bonne opinion de moi, mademoiselle; il est vrai que je ne trouve pas la raillerie assez nécessaire pour me donner la peine qu'il faut prendre pour se tenir dans les justes bornes où elle doit être renfermée.

MÉLANIE.

Il n'y a guère d'agréments qui ne coûtent quelque peine pour les acquérir.

VICTOIRE.

Quoi! mademoiselle, les agréments ne sont-ils pas naturels?

AGATHINE.

Je crois que ceux du corps sont naturels; mais il n'y en a guère dans l'esprit qui ne soient acquis.

LOUISE.

Je suis si fort de l'avis de mademoiselle, que je crois même que ceux du corps peuvent s'acquérir.

AURÉLIE.

Il y a tant de choses à dire sur ce chapitre, que

nous quitterions la raillerie si nous épuisions ce sujet; il mérite une conversation expresse.

LOUISE.

Vous m'avez fait grand plaisir, mademoiselle, de revenir à notre sujet, car j'aurois bien envie que la raillerie fût autorisée dans une compagnie comme celle-ci.

VICTOIRE.

Mais, mademoiselle, ne savez-vous pas tous les grands malheurs qui sont arrivés par la raillerie?

LOUISE.

J'en sais plusieurs exemples; mais il y en auroit moins si on ne railloit jamais que les personnes qui veulent être raillées, qui est la première condition que j'y ai mise.

MÉLANIE.

Connoissez-vous Mme....., qui raille indifféremment tout le monde avec beaucoup d'esprit, quoique sa figure soit ridicule ? Ce n'est pas assurément à elle à railler.

LOUISE,

Si elle raille la première de ses défauts, elle peut bien railler les autres. Il n'y a point de si dangereuses personnes sur la raillerie que celles qui s'y livrent elles-mêmes.

ADÉLAÏDE.

Oui, car on ne sauroit leur rien dire que ce qu'elles disent les premières.

AGATHINE.

Vous retombez toujours dans cette sorte de rail

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