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qu'elle a de mérite! Assurément, si quelqu'un veut être heureux, il l'épousera. »>

Une maîtresse dit à Mme de Maintenon: «Il me semble que voilà ce qui s'appelle une bonne réputation. -Oui, dit Mme de Maintenon, vous voyez ce qui lui en a coûté. Il faut aussi qu'il vous en coûte, mes chers enfants; comptez que personne n'a jamais établi sa réputation en se divertissant; c'est un grand bien, mais il coûte cher. La première chose qu'il faut sacrifier pour sa réputation, c'est le plaisir; on ne sauroit trop vous dire cela, à vous autres qui ne savez pas vous en passer. Vous êtes bonnes à aller dans un carrosse pour vous réjouir et pour tenir compagnie, mais cela ne suffit pas; il faut savoir rendre service, il faut savoir s'ennuyer et se passer de divertissements. On me dit l'autre jour que M11e de... avoit peur de M. de La Lande, et qu'elle avoit de la peine à aller auprès de lui; je lui dis d'un air bien sec : << Mademoiselle, vous n'êtes donc propre qu'à aller à Marly et à partager les plaisirs de vos amis? Il faut apprendre autre chose, il faut savoir les servir et les consoler : allez-vous-en auprès de Mme de La Lande. >> Elle auroit dû me le demander avec empressement, et me prier de la laisser quitter Marly pour l'aller consoler, car étant amies comme elles le sont, elle auroit dû ne la pas quitter et pleurer avec elle, s'ennuyer avec elle; il auroit fallu s'attrister avec elle. Voilà ce qu'on doit faire pour ses amis, sans cela il n'y a point de vraie amitié. Vous savez que je tombe toujours dans le ridicule de me donner pour exemple, mais c'est à mes enfants et pour les ins

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truire. Je me souviens que dans le temps que je n'étois pas même dévote, j'avois une vieille amie de soixante-six ans, qui eut une maladie de trois mois qui la tint toujours au lit. Je demeurai auprès d'elle sans la quitter; je ne sortis pas une seule fois pour m'aller promener, et pourtant c'étoient les trois mois de l'été, et je me souviens même que cela me coûtoit fort. Je n'avois que dix-huit ans : voyez quelle disproportion et quelle contrainte pour une jeune personne! Je demeurois là, auprès de ma vieille amie, à la soulager, à la tenir, à lui voir faire des opérations très-dégoûtantes, et tout cela, il faut l'avouer, ce n'étoit point que je l'aimasse fort, mais par l'envie de faire dire du bien de moi, par le désir de l'honneur et de la réputation. C'est que cela montre mille bonnes choses, un bon cœur, du courage, de la sagesse, qu'on est capable d'amitié et de se passer de plaisirs. Les jeunes personnes ne sauroient avoir trop de soin de leur réputation; vous savez que saint François de Sales veut qu'on ait soin de sa bonne renommée. »

On parla ensuite longtemps des peines du mariage, et surtout de la contrainte où sont les femmes; et Madame dit : «Mon Dieu! quelle vertu il faut qu'elles aient! quand je pense à Mme la duchesse de... car il faut vous livrer tout le monde et se servir de ce qu'on connoît pour vous instruire. Cette dame étoit

1 Mme de Maintenon a dit, maintes fois, que ce désir d'honneur et d'une belle réputation a été le principal mobile de sa conduite pendant sa jeunesse. Voir les Lettres historiques et édifiantes, t. 11,

p. 245 ct 221..

la fille bien-aimée de M. et de Mme la maréchale de... Ils ont fait pour elle de grands efforts en la mariant à un très-grand seigneur et fort riche; elle étoit fort aimable, cependant vous ne sauriez croire ce qu'elle a eu à souffrir. Son mari, qui n'avoit comme elle que quinze ans, commença par prendre de mauvais conseils et par les suivre, et il faut avouer, en passant, que c'est un grand abus que de marier des enfants si jeunes ', et vous devriez désirer toutes d'épouser plutôt des vieillards si vous étiez appelées au mariage. Ce jeune homme crut qu'il étoit du bel air de ne point aimer sa femme et de la laisser là, d'en aimer d'autres qui, même, lui marquoient à elle-même du mépris; il n'étoit presque jamais chez elle; à peine la vouloit-il regarder, et ainsi elle souffrit, non-seulement dans l'esprit par l'humiliation, mais encore dans le cœur par la tendresse qu'elle avoit pour lui, car elle l'aimoit véritablement. Voyez quelle épreuve ! elle l'a soutenue pourtant sans se plaindre; on la voyoit changer, maigrir; on croyoit qu'elle se mouroit; elle eut le courage de se taire, de n'en pas même parler à son père et à sa mère, craignant qu'on ne fit un éclat, étant persuadée que cela ne feroit qu'aigrir son mari, et que ce n'étoit pas par là qu'il reviendroit; en effet, ce n'est pas par les plaintes qu'on les ramène! Elle

1 Mme de Maintenon s'est rendue coupable plusieurs fois de cct abus, car elle maria, à quatorze ou quinze ans, sa nièce ou cousine Mile de Villette qui devint Mine de Caylus, son autre nièce Mile d'Aubigné, sa cousine Mlle de Saint-Hermine, une enfant qu'elle éleva avec tant de soin, Jeannette de Pincré, etc.

étouffa donc tout cela, ne se servit que de la patience et de la douceur. Cette conduite l'a charmé, et l'a fait rentrer en son devoir, et enfin ils sont très-bien ensemble; mais ce petit martyre a duré près de vingt ans! - Hélas! dit une maîtresse, nous pouvons bien dire que nous ne souffrons rien de comparable à cela, nous autres religieuses. Assurément, reprit Madame, et nous n'avons pas tort quand nous disons à ces demoiselles que le mariage a de grandes peines. Saint Paul en avertit les chrétiens de son temps et leur dit que les personnes mariées souffriront les afflictions de la chair. Encore, poursuivit-elle, si tous les maris étoient comme celui dont nous venons de parler, car il n'étoit pas chez lui, au moins sa femme étoit libre dans sa chambre, mais il s'en faut bien. Ils viennent et reviennent plus d'une fois dans la journée, en faisant toujours sentir qu'ils sont les maîtres; ils entrent en faisant un bruit désespéré, souvent avec je ne sais combien d'autres hommes; il vous amènent des chiens qui gâtent tout; il faut que la pauvre femme le souffre: elle n'est pas la maîtresse de fermer une fenêtre ; si son mari revient tard, il faut qu'elle l'attende pour se coucher; il la fait dîner quand il lui plaît ; en un mot, elle n'est comptée pour rien.» — On lui demanda si les femmes ne doivent jamais se plaindre: « C'est le mieux, répondit Madame; car, à quoi servent les plaintes? A refroidir encore davantage, et à empêcher la réunion des esprits. Les parents d'une femme veulent apporter du remède à ce qu'on leur a dit; ils parlent, ou font parler à un mari, qui n'en

fait que pis ensuite; il donnent quelquefois de mauvais conseils; ils sont souvent cause que la dissension et l'aigreur continuent; au lieu que si on n'avoit rien dit, la paix seroit venue avec le temps. Mais, Madame, lui dit-on, est-ce qu'une femme ne peut pas dire ses peines à son père et à sa mère ?

Oui, répondit Madame, si c'est pour prendre quelque bon conseil, mais jamais seulement pour se plaindre: il faut avoir assez de vertu et de sagesse pour passer entre Dieu et soi ce qu'on peut dérober à la connoissance des autres. Il faut même bien prendre garde à ceci, car il y a tel père et telle mère qui ne seroient guère propres à vous donner un bon conseil; mais quand c'est une mère sage ou même un bon directeur, il n'y a point de mal à dire ce qu'on souffre, pourvu, encore une fois, que ce ne soit pas seulement pour se plaindre. Je connois, ajouta Madame, un homme à la cour qui dit souvent au Roi, . car c'est un de ses domestiques, qu'il n'a jamais pu savoir ce qui faisoit peine à sa femme, parce que, dit-il, « je ne lui propose jamais rien qu'elle ne l'accepte de bon cœur et qu'il ne paroisse même que ce soit sa pensée, et qu'elle me l'alloit proposer. Je dis que je veux aller à la campagne; elle me dit : Ah! que cela sera bien, il fait très-beau.- Si j'ajoute : Menons mon fils.— J'en serai ravie, dit-elle, cela m'occupera. -Si, un peu après, je lui dis : Non, ne le menons pas. Je crois en effet que vous avez raison, il vous embarrasseroit peut-être et ainsi de tout. Je ne lui connois point de volonté. » Cependant, poursuivit Mme de Maintenon, je connois

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