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CLOTILDE.

Il n'en faut jamais sortir, et c'est là le vrai et solide mérite.

BLANDINE.

J'en ai une autre idée, et je ne puis aimer que ce qui est au-dessous de moi.

CLOTILDE.

Cette idée est fausse : la religion et la raison1 veulent qu'on respecte l'autorité du prince et toute autre autorité établie pour nous gouverner.

BLANDINE.

Ne convenez-vous pas au moins qu'il y a plus de grandeur à penser ce que je pense?

ROSALIE.

Fausse grandeur sans règle et sans raison, et bien éloignée de la vraie générosité, qui sait se soumettre à tout, quelque élévation qu'elle sente dans son

cœur.

BLANDINE.

Peut-on avoir le cœur élevé et se soumettre?

CLOTILDE.

La véritable élévation est dans les sentiments du cœur, et point du tout dans une révolte contre les règles, les coutumes et les supérieurs; la générosité plaint et soulage les malheureux, et ne blesse per

sonne.

1 Je remarque et j'admire que Mme de Maintenon ne sépare jamais la religion de la raison, et les trouve toujours d'accord.

BLANDINE.

Dès que je sais un homme disgracié, je vais le trouver pour en faire mon ami.

ROSALIE.

Vous dites tout cela pour disputer, il n'est pas possible que vous le pensiez.

DOROTHÉE.

Voudriez-vous qu'on allât insulter à son malheur?

ROSALIE.

Non, je veux qu'on demeure son ami si on l'étoit avant sa disgrâce, qu'on le console; mais je ne veux point qu'on aille le chercher par le seul mérite d'être exilé; il y a plus de contradiction et d'envie dans ce sentiment que de générosité.

CLOTILDE.

Il n'y a rien d'affecté dans la véritable vertu; elle partage les malheurs de ses amis, elle les soulage, elle plaint même ceux qu'elle ne connoît pas, mais elle ne se pique point de faire amitié avec une personne par la seule raison qu'elle est mal à la cour; ces sentiments sont faux et outrés, et jamais la vertu ne choque la raison 1,

BLANDINE.

Nous avons accoutumé de nous rendre à la fin de nos conversations; mais j'avoue, mademoiselle, que vous ne m'avez point persuadée, et que votre sagesse ne s'accommode point avec l'envie que j'ai de faire des choses nouvelles et éclatantes.

1 Voir la note précédente.

ROSALIE.

Elles vous attireront le blâme de tout le monde et bien des inconvénients.

BLANDINE.

Je ne trouve rien de pire que de ne suivre jamais son goût.

CLOTILDE.

Je ne trouve rien de si bon que de n'avoir point de reproches à se faire; mais, mademoiselle, nous espérons que les années et la raison seront plus fortes que nous, et qu'elles vous persuaderont un jour.

CONVERSATION XXXI.

SUR LE JUGEMENT.

SOPHIE.

Comment ne nous a-t-on pas donné une instruction sur le jugement, dont on nous parle sans cesse? ADÈLE.

Je crois en deviner la raison.

LOUISE.

Je ne comprends pas qu'il puisse y en avoir pour ne nous pas éclairer sur un sujet si important et si nécessaire.

ADÈLE.

C'est qu'il est si étendu qu'on ne pourroit se ren

fermer dans le temps qu'on a donné jusqu'ici à ces instructions.

SOPHIE.

Le jugement n'est-il pas plus nécessaire dans la conduite que dans la conversation?

ADÈLE.

Il est nécessaire dans la conduite, pour ne pas faire de sottise; et dans la conversation, pour ne pas en dire.

SOPHIE.

Je comprends qu'on pense et qu'on juge sur ce qu'on a à faire; mais la conversation seroit bien pesante et bien ennuyeuse si on étudioit tout ce qu'on dit.

ADÈLE.

Elle est bien folle et fait bien des indiscrétions quand on ne juge pas de ce qui se peut dire et de ce qui se peut faire.

LOUISE.

Ce jugement ne s'oppose-t-il pas à la vivacité de l'esprit, et ne rend-il pas le commerce trop sérieux ?

ADÈLE.

Il est certain que le jugement fait souvent supprimer des choses qui pourroient divertir; mais ce qui plairoit aux uns fâcheroit quelquefois les autres; ainsi il est toujours meilleur de peser ce qu'on veut dire.

SOPHIE.

Mais nous voyons des personnes vives, agréables, qui ne fâchent point et qui ne pensent rien.

ADÈLE.

Vous le croyez; mais si elles ne disent rien mal à propos, concluez qu'elles pèsent, quoique vous ne vous en aperceviez pas, et qu'elles sont bien attentives pour ne rien dire de mal.

SOPHIE.

J'aimerois mieux me taire que d'avoir ainsi à choisir entre ce qui me viendroit dans l'esprit.

ADÈLE.

C'est un parti que le jugement fait prendre fort souvent, et ce qui a toujours fait dire que les grands parleurs ont peu de jugement.

LOUISE.

Comment peut-on être divertissant et montrer son esprit quand on ne dit mot?

ADÈLE.

Il ne faut pas avoir envie de montrer son esprit, il se montre quand il y en a, et souvent plus en se taisant qu'en parlant. Le jugement n'empêche point qu'on ne soit divertissant; on dit des choses aimables et agréables quand elles viennent à propos, on n'en dit jamais de fàcheuses ni d'indiscrètes, et par là on plaît infiniment.

SOPHIE.

Je croirois bien ennuyer une personne si je ne lui parlois pas.

ADÈLE.

Vous la divertiriez peut-être plus en l'écoutant, car elle veut parler aussi bien que vous.

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