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'élus et les chefs qui gouvernent la police, c'est-àdire qui gouvernent les villes et tiennent la main contre le désordre; il y aussi, pour la sûreté des biens, des notaires qui se mêlent de placer l'argent et de le faire valoir.

ALPHONSINE.

Il y a des procureurs qui font les écritures nécessaires pour faire connoître aux juges les raisons de nos procès.

CONSTANCE.

Des avocats qui plaident les causes.

ALPHONSINE.

Des conseillers et des présidents qui les jugent.

EUGÉNIE.

Et tous ceux que vous venez de nommer sont plus ou moins par degrés?

CONSTANCE.

Oui, le procureur est moins que l'avocat, l'avocat moins que le conseiller, le conseiller au-dessous du président, et ainsi du reste.

EUGÉNIE.

Je ne crois pas tant de degrés dans la noblesse; et pour moi, je compte que, dès qu'on peut prouver qu'on est né gentilhomme, le plus ou le moins ne fait plus rien.

ALPHONSINE.

Il y a des degrés dans la noblesse : les unes sont plus anciennes, les autres ont été soutenues par de grands biens, les autres illustrées par des dignités, les autres par les alliances, et ce sont là les rangs différents.

EUGÉNIE.

Toutes ces distinctions-là n'empêchent pas que le plus noble ne soit celui dont la noblesse est la plus ancienne.

ALPHONSINE.

Cela est vrai au pied de la lettre ; mais il est pourtant vrai aussi qu'il faut céder au rang, et que ce gentilhomme qui fera des preuves de cinq cents ans, doit appeler un maréchal de France monseigneur1, quoique d'une naissance moins ancienne que lui.

LUCILE.

J'ai une grande peine à céder à tout ce que fait la fortune.

CONSTANCE.

La fortune a souvent grande part à ces élévations; la volonté des rois y en a aussi; ils veulent récompenser le mérite, donner de l'émulation, marquer leur amitié; et quand on est sage, on cède à toutes ces raisons et aux usages établis.

EUGÉNIE.

Il faut bien céder à la force; mais vous m'avouerez que cela n'est pas agréable.

ALPHONSINE.

Tout le monde perd au désordre; si vous ne voulez pas vous soumettre à ceux qui sont au-dessus de vous, ceux qui seront au-dessous feront de même pour vous: votre inférieur se soulèvera, vous dispu

1 Louis XIV eut beaucoup de peine à faire donner ce titre aux maréchaux de France par les autres seigneurs. Voir les Lettres de Bussy-Rabutin à Mme de Sévigné.

tera la porte, la place à l'église, et jusqu'au paysan de votre village vous manquera de respect.

CONSTANCE.

Si on étoit seule obligée de céder, il y auroit plus de peine; mais vous cédez au grand seigneur de votre province; il faut qu'il cède à un homme titré, que l'homme titré cède au prince, que ce prince cède à un plus grand prince que lui, que ce plus grand prince cède au Roi, et enfin que le Roi cède à la raison, aux lois, aux coutumes, et surtout qu'il soit soumis à la volonté de Dieu.

EUGÉNIE.

Quelle différence y a-t-il entre les princes?

ALPHONSINE.

Comme dans la noblesse, les maisons plus anciennes, et aussi la souveraineté un souverain, quoique issu d'une maison moins illustre, ne cède pas à un prince qui n'est que cadet; ils évitent autant qu'ils peuvent de se trouver ensemble.

PLACIDE.

Eh! si les rois se trouvoient ensemble, comment feroient-ils?

ALPHONSINE.

Ils ne se commettroient pas sans être convenus de ce qui s'appelle le cérémonial, c'est-à-dire la manière dont ils se traitent.

CONSTANCE.

Il y a, dans les rois comme dans les princes, des degrés différents, par la grandeur, par l'étendue, par la puissance des royaumes.

ALPHONSINE.

Le roi de Portugal ne disputera pas au roi d'Espagne.

CONSTANCE.

Ni le roi de Danemark au roi de France.

PLACIDE.

Qui sont les plus grands rois ou royaumes?

ALPHONSINE.

La France, l'Espagne et l'Angleterre.

PLACIDE.

Et dans ces trois-là, quel est le premier?

CONSTANCE.

Ils se disputent; mais nous avons vu notre Roi donner la main au roi d'Espagne, et nous le voyons tous les jours mettre le roi d'Angleterre au-dessus de lui1.

PLACIDE.

Est-ce qu'il les reconnoît plus grands que lui?

ALPHONSINE.

Non, c'est qu'il est chez lui, et qu'il leur fait les honneurs comme les particuliers se les font les uns

aux autres.

PLACIDE.

Mais en effet quel est le plus grand?

ALPHONSINE.

Il est certain que, sans nulle prévention, la plus grande maison que l'on connoisse est celle de Bourbon, qui nous gouverne présentement.

1 Ce roi d'Espagne ne peut être que Philippe V, et ce roi d'Angleterre que Jacques II.

CONVERSATION XXX.

SUR LA GÉNÉROSITÉ.

ROSALIE.

Je suis ravie de ce que nous nous trouvons toutes cinq ensemble pour avoir de ces conversations dont je trouve que nous tirons toujours quelque utilité.

CLOTILDE.

Nous aurions grand tort si nous ne profitions des soins qu'on a pour nous en nous appliquant à ce qu'on nous apprend.

CLARISSE.

Et en le pratiquant dans les occasions qui se pré

sentent.

DOROTHÉE.

Il me semble que nous savons bien des choses que nous ne pouvons pratiquer, et qu'il y a des vertus qui ne sont propres qu'aux grands.

Comme quoi?

ROSALIE.

DOROTHÉE.

Par exemple la générosité; comment serons-nous généreuses, nous qui, bien loin de donner, avons besoin qu'on nous donne?

CLOTILDE.

Ce n'est point la fortune qui règle nos inclina

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