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comment il en use; quand il est malade, il se traite en malade. >>>

Une maîtresse dit à Madame que nous pensions que l'obéissance n'étoit que pour les religieuses.« Mes enfants, reprit Madame, il faut que vous ayez perdu l'esprit pour avoir de telles idées. Je vous dis que vous obéirez toujours et que l'obéissance des gens du monde est bien plus difficile que celle des religieuses. Si vous y cherchiez de la douceur, je vous dirois : entrez dans un couvent, car entre la tyrannie d'un mari et celle d'une supérieure, nommons cela ainsi, il y a une différence infinie. On sait à peu près en entrant en religion ce qu'on peut exiger de vous; on voit les règles, on s'essaye pendant le noviciat, et par conséquent on peut prendre ses mesures; il n'en est pas de même pour le mariage: il n'y a point de noviciat qui y dispose, et il seroit difficile de prévoir jusqu'où un mari peut porter le commandement. Il s'en trouve très-peu de bons; sur cent je n'en ai jamais connu deux, et quand je dirois un, je n'exagèrerois point'. Il faut supporter d'eux bien des bizarreries et se soumettre à des choses presque impossibles. Je ne vous dis tout cela

1 On ne saurait dissimuler que, dans ses instructions sur ce sujet, Mme de Maintenon manque souvent de mesure et de vérité. Elle a toute sa vie, et dans des circonstances différentes, témoigné sa répugnance pour le mariage. Cela tenait sans doute aux deux mariages extraordinaires qu'elle avait faits: si elle se fût marée à vingt ans avec un homme jeune, qu'elle eût aimé et dont elle eût eu des enfants, il est probable qu'elle aurait pensé et parlé autrement. Nous reviendrons sur ce sujet dans la Correspondance générale.

que pour vous parler toujours selon la vérité; car quel intérêt ai-je que vous soyez religieuses? Čela ne me fait rien. Je conviendrai avec vous que les personnes du monde ne sont point obligées à garder des vœux: la pauvreté, par exemple, ne leur est pas ordonnée; vous pourrez posséder du bien en propre et en amasser pour vos enfants; Dieu défend à la vérité à tout le monde l'attachement aux biens; mais il ne commande pas également à tous de s'en dépouiller ni de les mettre en commun. Dieu ne vous demandera pas non plus de garder la chasteté ou la continence, puisqu'on ne se marie que pour avoir des enfants; mais pour ce qui regarde l'obéissance, Dieu vous ordonne de la rendre à votre mari, et ils exigent ordinairement ce devoir des femmes d'une manière plus sévère que ne feroit une supérieure. »

12. A MHe D'OSMOND1.

A Marly, ce 28 février 1702.

Je suis ravie de votre établissement, mademoiselle; et j'espère que votre sœur 2 ne perdra rien en vous donnant tout ce qu'elle avoit. Celui qui vous

1 Il y avait à Saint-Cyr deux demoiselles d'Osmond, toutes deux aussi remarquables par leur vertu que par leur beauté, et qui furent successivement attachées à Mme de Maintenon, comme secrétaires. L'aînée, dont il est ici question, épousa M. de Bouvet, marquis de Louvigny.

2 Depuis, Mine la marquise d’Havrincourt (Voir les lettres suivantes).

épouse est bien estimable; il préfère votre vertu aux richesses qu'il auroit pu trouver. Et vous, vous préférez la sienne aux biens que vous allez partager avec lui. Avec de tels sentiments, un mariage ne peut qu'être heureux; Dieu bénira deux époux dont la piété est le lien. Je ne cesserai jamais de vous aimer, et de me souvenir que je suis aimée de vous. Je n'ai point pris mademoiselle votre sœur pour la garder auprès de moi, comme vous le pensez; elle va retourner à Saint-Cyr où sa capacité l'a mise à la tête d'une classe. Je l'en tirerai de temps en temps pour la délasser d'un personnage si sérieux. Mme la duchesse de Bourgogne l'aime fort; et ce voyage-ci, j'en ai été fort contente. Adieu, soyez l'exemple de votre province; qu'on voie que vous avez été élevée à Saint-Cyr; et croyez que je vous aimerai toute ma vie 1.

13.

· INSTRUCTION AUX DEMOISELLES DE LA CLASSE BLEUE 2.

(Combien il faut prendre sur soi pour acquérir une bonne réputation. Sur les peines du mariage, et comment il faut les supporter.)

1702.

Madame dit un jour, à l'occasion de M. de La Lalande, qui venoit de mourir: «Vous ne sauriez croire,

1 Je n'ai trouvé cette lettre que dans la collection de La Beaumelle. Je n'ai aucune raison de croire qu'elle ne soit pas authentique, mais elle est certainement arrangée.

2 Recueil d'instructions, etc., p. 523. —Lettres édifiantes,

mes chers enfants, tout le bien que l'on dit de Mme de La Lande ', et combien elle a été louée à Marly, d'où je viens; le Roi lui-même en a fait un très-grand éloge. Vous voyez par là que ce qui fait louer une personne n'est pas d'avoir de beaux habits, et bien des rubans sur la tête; que ce n'est point non plus d'être fort riche, ou d'avoir un grand esprit. Mme de La Lande est une simple demoiselle de Saint-Cyr, qui a épousé un gentilhomme qui n'étoit point riche, et elle n'est point d'un rang assez distingué pour que le Roi veuille bien parler d'elle comme il le fait; d'où vient donc cela? De son mérite et de sa bonne conduite; c'est une femme qui depuis six ou sept ans qu'elle est mariée, a toujours souffert, car elle a mené une vie fort triste, ayant épousé une homme d'une dévotion fort sévère et fort mélancolique, en un mot d'une dévotion qui n'étoit pas réglée par l'esprit de saint François de Sales; c'étoit un nouveau converti il ne vouloit pas qu'elle prit les plaisirs les plus innocents, craignant qu'il n'y eût du mal; il étoit fort retiré et la tenoit très-renfermée. Elle s'est accommodée à tout cela, a tourné sa dévotion selon le goût de son mari, ne sortant jamais d'une chambre deux fois grande comme les cellules de vos maîtresses; voilà comme elle a passé les quatre premières années de son mariage. Ensuite son mari est devenu malade, elle l'a servi sans le quitter, principalement depuis deux ans qu'il est empiré; il y a quatre mois qu'elle ne

1 Voir les lettres précédentes, p. 6 et suiv.

:

s'est couchée parce qu'il ne pouvoit se passer d'elle. Quelquefois il la renvoyoit par de petites bizarreries dont les malades ne sont pas exempts, puis si elle tournoit la tête, il se plaignoit qu'elle l'abandonnoit. Il falloit qu'elle fût toujours là à l'entendre faire des cris épouvantables, à sentir une odeur à aire crever; car un de mes gens que j'y voulois envoyer l'autre jour, et qui est plein d'affection, me dit: Madame, jusqu'ici j'y ai été deux fois le jour, mais, en vérité, je n'y puis plus aller, je m'en trouve mal, on n'y peut durer par la mauvaise odeur. Il ne vouloit pas, le pauvre homme, qu'on ouvrit un volet, craignant que cela ne lui fit mal, ce qui pouvoit bien être vrai. Voilà l'état où étoit Mme de La Lande: il n'est pas, comme vous voyez, fort agréable; cependant elle ne s'en est jamais plainte à personne, pas même à moi; non, elle ne m'a jamais dit qu'elle souffrit rien, quoiqu'elle me l'eût bien pu dire; elle a pris tout cela sur elle, s'est renfermée encore toute jeune et bien faite de sa personne, et s'est passée de toutes sortes de plaisirs, car depuis qu'elle est mariée elle n'en a jamais eu d'autre que de venir quelquefois ici avec moi; voilà ses grands divertissements. Si Mme de La Lande ne s'étoit pas bien conduite, qu'elle n'eût été occupée qu'à se divertir, qu'elle eût laissé là son mari, on ne parleroit pas d'elle comme on le fait à présent; mais comme on sait la vie qu'elle a menée du vivant de son mari, on l'estime, on la choie, et il n'en faut pas davantage pour la faire admirer, et pour faire dire à tout le monde : Mon Dieu! que cette femme-là est estimable,

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