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LA DAME.

C'est que le mérite des femmes consiste à savoir se modérer, à ne pas suivre tous leurs goûts, à ne pas s'abandonner aux plaisirs, quoique innocents; et tout cela exige de la contrainte.

EUPHROSINE.

Vous m'étouffez, madame, et je voudrais passer ma vie seule.

LA DAME.

Ce seroit une terrible contrainte, car vous auriez souvent envie de sortir et de voir du monde.

DOROTHÉE.

Vivre dans une famille bien unie, sans mari, sans enfants, seroit plus doux.

LA DAME.

Il faudroit se contraindre pour l'union, et faire la volonté des autres, du moins tour à tour.

EUPHROSINE.

Quand on est vieux, que la réputation est établie, qu'on n'a plus de prétention au monde, n'est-on pas sans contrainte?

LA DAME.

Non, la société en requiert toujours; il faut se contraindre pour ne pas faire souffrir les autres; il faut se taire quand on voudroit parler; il faut parler, quand on voudroit se taire; il faut s'accommoder aux goûts des autres, et en un mot, tout ce qu'on vous a dit des égards, de la politesse, du savoir vivre, de l'occupation des autres, tout cela en bon françois est de savoir se contraindre.

ÉMILIE.

Je ne vois de ressource que dans la piété; n'y vivrois-je pas sans contrainte?

LA DAME.

Non, mais la piété vous la fera aimer, et c'est en effet le seul moyen de trouver sa liberté.

CONVERSATION XXV.

SUR LES AMITIÉS.

MÉLANIE.

Je suis affligée du démêlé qui est arrivé entre Mile A.... et Mile B...., comme si j'y avois un grand intérêt, quoique je les aie peu connues l'une et l'autre.

ALPHONSINE.

Eh! qu'est-ce que cette rupture vous fait ?

MÉLANIE.

Elle me dégoûte de la vie. Quoi! après une amitié de quatre ans, on se brouille et l'on vient à se haïr!

AUGUSTINE.

Une amitié de quatre ans ! il ne faut pas s'étonner quand on cesse de s'aimer au bout de vingt et trente ans, il n'y en a que trop d'exemples.

MÉLANIE.

Vous voulez me désespérer; il faut donc vivre sans amies?

AUGUSTINE.

C'est le parti le plus sage et le plus sûr.

ALPHONSINE.

Notre cœur nous porte à l'amitié et aux attache

ments.

AUGUSTINE.

Les dispositions de notre cœur ne sont pas la raison; il faut le conduire, et tâcher de régler ses mouvements ou du moins les modérer.

ALPHONSINE.

Et tout cela pour vivre sans amitié, sans confiance, avec une indifférence égale pour tout le monde!

MÉLANIE.

C'est renoncer au plus grand plaisir de la vie, au plus honnête, et à celui qui est de tous les temps et de tous les âges.

HENRIETTE.

Oui, mais c'est prévenir les peines que donne l'infidélité de nos amis; c'est éviter le mauvais personnage de s'en plaindre.

ALPHONSINE.

Vous aussi, mademoiselle, voulez-vous vivre sans amis, et être pour vos anciennes connoissances comme pour ceux que vous n'avez jamais vus?

AUGUSTINE.

Non, il faut de l'amitié pour ceux que nous voyons souvent, que nous connoissons le plus, qui nous marquent de l'empressement, qui nous rendent des services, ou qui voudroient nous en rendre; mais

je crois qu'il y a beaucoup d'inconvénients à se livrer tout entière à une amie'.

ALPHONSINE.

C'est dans cet abandon que vous désapprouvez, que je fais consister la douceur de l'amitié; le reste ne peut s'appeler que société.

AUGUSTINE.

Combien faut-il de temps pour connoître assez une personne, pour lui confier tous ses secrets!

HENRIETTE.

Peut-on vivre un moment en repos, quand on a confié un secret important?

MÉLANIE.

Quoi! il n'y a personne sur la terre que vous croyiez fidèle, et dont vous répondissiez ?

HENRIETTE.

A peine répondrai-je de moi-même; nous ne savons guère de quoi nous sommes capables, ni dans quelles occasions nous nous trouverons.

AUGUSTINE.

Il est de la sagesse de profiter de tout ce que nous voyons qu'est-ce qui a brouillé ces deux personnes? on ne me l'a dit que confusément.

1 Augustine joue ici le personnage raisonnable, celui qui fait la leçon aux autres; mais il faut avouer que les maximes que Mme de Maintenon met dans sa bouche sont d'une prudence si excessive qu'elles touchent à la dureté et à l'égoïsme. On a accusé souvent Mme de Maintenon de sécheresse et de défaut de cœur; ees maximes, si elles étaient ailleurs que dans un jeu d'esprit, justifieraient cette accusation; mais ce n'est pas le lieu de discuter cette question, et nous y reviendrons plus opportunément dans la Correspondance générale.

ALPHONSINE.

Mile A.... se trouvant logée fort près de Mile B...., elles se virent, elles se plurent l'une à l'autre, et lièrent fort vite une grande amitié; on les voyoit toujours ensemble, rien n'égaloit leur union, et cet état dura près de quatre ans. Mule A........ se maria; son mari l'emmena dans un autre quartier, et prit bien vite dans le cœur de sa femme la place qu'occupoit Mile B....; tous les secrets furent confiés; il s'y trouva par malheur des circonstances plaisantes, qui tentèrent le mari de les donner au public; Mile B.... désespérée jette feu et flamme contre son amie, et la hait autant qu'elle l'aimoit ; mais à tout cela point de remède.

AUGUSTINE.

Vous en faut-il davantage pour vous rebuter de ces grandes amitiés?

MÉLANIE.

Il faut mieux choisir, et on ne trouve pas toujours une si noire infidélité.

HENRIETTE.

Elles ne sont que trop communes; mais celle-ci est des moins noires; il ne me paroît pas fort étrange qu'une femme qui aime son mari lui dise tout ce qu'elle sait.

AUGUSTINE.

Une autre ne trouvera pas un mari, mais une nouvelle amie, à qui elle dira tout ce que l'ancienne lui aura confié.

MÉLANIE.

Vous soutenez donc qu'il n'y a pas sur terre une

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