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vous n'étant point renfermée dans le cloître de Saint-Cyr.

Vous croyez peut-être, mes chères filles, que vous êtes élevées dans une grande contrainte; en effet, il est impossible qu'il n'y en ait point du tout, mais vous verrez un jour que la contrainte de Saint-Cyr est bien douce en comparaison de celle du monde.

Les fautes, à Saint-Cyr, sont punies par des corrections de mères envers leurs enfants, et celles qu'on fait dans le monde le sont quelquefois par la perte de sa réputation.

Mais la contrainte où vous êtes élevées n'est pas encore assez grande si elle ne vous rend pas assez timides. La timidité, mes chères filles, est votre unique sauve-garde; vous êtes perdues si vous êtes hardies que celles qui seront assez malheureuses pour retourner dans le monde cherchent leur sûreté dans la fuite et dans la solitude.

Montrez-vous le moins que vous pourrez, fuyez plus que la mort le moindre commerce avec les hommes, et que si vous vous y trouvez de nécessité, que ce ne soit jamais qu'en compagnie d'honnêtes femmes; tremblez dans cette occasion, taisez-vous, soyez modestes, ne songez point à montrer de l'esprit ; il y en a plus à se taire à propos qu'à parler, et il se marque plus par la conduite que par la conversation.

Les jeunes personnes se font une honte d'être timides et s'imaginent qu'on leur croira peu d'esprit et qu'on dira qu'elles ne savent pas se démêler dans le monde. La meilleure manière de s'y démêler pour les personnes de notre sexe, c'est d'y être em

barrassées, de le craindre, d'y parler peu et de le quitter le plus tôt qu'on peut. Ne vous fiez point à vos bonnes inclinations, à l'éducation que vous avez reçue, à l'éloignement que vous sentez pour le mal; fuyez, c'est la seule sûreté pour vous. Les femmes qui se déshonorent n'ont point résolu de se déshonorer elles y ont été conduites peu à peu, et ont commencé par des choses qui leur paroissoient in

nocentes.

L'amour du plaisir, l'attachement à sa personne, qu'on veut parer, et l'envie de se distinguer, voilà ce qui perd les femmes ; vous courez risque d'être de ce nombre si vous craignez trop de vous ennuyer, et si vous ne préférez le soin de votre réputation à tous les plaisirs; n'en prenez jamais qu'avec les plus grandes précautions: la meilleure est d'y aller

rarement.

Si vous êtes mariées, soyez, par votre conduite, plus sages que votre mari; il y en a qui portent naturellement leurs femmes à voir le monde, et qui, dans la suite, en sont au désespoir; il y en a d'autres qui montrent leur jalousie à leurs femmes, et ceux-là sont les plus commodes, puisqu'il n'y a qu'à se renfermer pour leur plaire; et c'est ce qui me fait dire d'être plus prudentes qu'eux, et de prendre le parti de la solitude; il y en a peu qui n'en soient ravis, quoiqu'ils nous disent le contraire.

Regardez les hommes en général comme vos plus grands ennemis, puisqu'ils tendent des pièges à votre honneur, en s'insinuant auprès de vous par des compliments, par des services, et que si vous

leur répondez, ils déchireront cruellement votre réputation.

Ne soyez point honteuses d'être simplement vêtues, vous en serez bien plus parées et plus estimées que si vous receviez les moindres présents pour vos ajustements; n'en recevez jamais des hommes sous quelque prétexte que ce soit; on s'insinue par là. Comment, dans la suite, refuserez-vous de parler à un homme de qui vous aurez reçu quelque chose?

Si votre mauvaise fortune vous met hors d'état d'être habillées comme les autres, jetez-vous dans l'extrémité opposée, et vous mettez dans une si grande simplicité qu'on voie que vous ne faites pas toute la dépense que vous pourriez faire, et que vous avez le courage de vous mettre au-dessus des foiblesses de votre sexe, ou du moins de prendre le parti convenable à votre pauvreté. Renoncez à l'envie d'avoir ce qui s'appelle du mérite dans le monde; cette sorte de mérite n'est autre chose qu'un peu d'esprit qui fait connoître ce qu'il faut faire pour s'attirer des louanges, et beaucoup d'orgueil qui nous fait désirer d'être dans l'esprit des hommes audessus des autres.

Cette idole qu'on se fait de soi-même excite la jalousie de Dieu qui, pour l'ordinaire, la renverse par de grandes humiliations; je voudrois que la charité pût me permettre de vous dire jusqu'où l'orgueil a fait tomber quantité de jeunes personnes qui sembloient aussi bien nées que vous pouviez l'être'.

1 Voir plus loin, l'instruction qui porte le n° 29.

Il n'y a de vrai mérite ni de véritable vertu, mes chères filles, que celle qui est fondée sur la religion, sur la défiance de soi-même, sur la fuite des occasions et sur un recours continuel à Dieu; et, pour la conduite extérieure, on ne peut trop vous dire que le meilleur conseil qu'on peut vous donner est d'aimer la retraite, et de n'en sortir jamais qu'avec des personnes d'une vertu reconnue '.

2.

A UNE DEMOISELLE SORTIE DE SAINT-CYR2.

1693.

J'ai appris par M. de Brizacier3 que vous êtes mariée. J'en ai une grande joie, et prie Dieu de tout mon cœur de vous bénir; il le fera si vous le servez comme vous savez qu'il doit être servi. Vous lui rendrez un compte exact de votre éducation. Il faut que vous soyez l'exemple des femmes de votre province en remplissant tous vos devoirs de femme, de mère et de maîtresse de maison, et par là ceux d'une parfaite chrétienne. Soyez modeste, ména

1 Pour comprendre et apprécier la rigueur de ces conseils et la fuite qu'ils recommandent comme moyen de salut, il faut se rappeler l'éclat qu'avaient eu les aventures de tant de femmes célèbres de cette époque, comme Mme de Longueville, Mme de La Vallière, et tant d'autres. Le monde était encore plein de ces his toires; il s'en souvenait avec trop d'indulgence, et il en parlait avec cette facilité de mœurs et de langage que nous révèlent tous les mémoires du temps, et même les lettres de Mme de Sévigné. 2 Lettres édifiantes, t. IV, lettre 57.

3 L'un des confesseurs extraordinaires de la maison. Voir les Lettres historiques et édifiantes, t. I, p. 54.

gère; il n'est plus question de plaire, il faut épargner pour votre mari et pour vos enfants, s'il plaît à Dieu de vous en donner. Mandez-moi quelle est votre situation, le plan de votre vie, comment voùs êtes pour le spirituel et pour vos occupations; je m'y intéresserai tant que vous ferez bien, et je serai ravie, madame, de savoir de vos nouvelles, étant de tout mon cœur tout à vous.

31. A Mme DE LA LANDE 2.

1695.

Vous voilà, ma chère enfant, dans votre ménage. Je prie le ciel de le bénir et je l'espère fermement. Vivez dans le fond de votre maison, fuyez le monde. Lisez, travaillez, instruisez votre petit domestique, gagnez leurs âmes à la vertu. Attachez-vous à plaire à votre mari et tâchez de ne plaire qu'à lui seul. Offrez à Dieu vos enfants avant et après leur naissance. Édifiez ceux qui vous verront: voyez-en le moins que vous pourrez; que Saint-Cyr et ma maison soient vos plus grands plaisirs. Aimez vos devoirs, si vous

1 J'emprunte cette lettre à la copie qui en fut faite par La Beaumelle sur les manuscrits des Dames de Saint-Cyr, et qui est entre mes mains. Cette copie n'est pas du tout conforme au texte qu'il a arrangé pour le faire imprimer. Voir la préface des Lettres historiques et édifiantes, p. 17.

2 Mlle de Biodos de Castéjà, née en 1672, élevée à Saint-Cyr, avait été attachée durant quelques années à Mme de Maintenon, qui lui fit épouser M. de La Lande en 1695, et la fit nommer sousgouvernante des enfants de France. Elle était très-belle, et aussi distinguée par son esprit que par sa vertu.

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