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tels et que nous nous divertissons seulement par un effet de notre imagination.

MÉLANIE.

Rien n'est si beau que la vérité ; c'est ce qui fera notre bonheur dans le ciel, et ce qui fait la sûreté de la société sur la terre.

CONVERSATION XIX.

SUR LA BONNE CONDUITE.

VICTOIRE.

Quand on loue une personne d'une bonne conduite, qu'est-ce qu'en entend dire?

ALEXANDRINE.

Qu'une femme est vertueuse, et qu'elle n'a jamais fait parler d'elle.

HENRIETTE.

C'est assurément un endroit essentiel, mais je la bonne conduite s'étend plus loin.

crois que

ALEXANDRINE.

Je voudrois savoir le détail de cette bonne conduite.

HENRIETTE.

La bonne conduite est de remplir ses devoirs, de se régler, de ne tomber en aucun excès.

FAUSTINE.

D'avoir le plus d'égalité qu'on peut dans ses occupations.

VICTOIRE.

Je sais qu'il faut éviter les excès de tout ce qui est mal; mais sur ce qui est indifférent, faut-il de la conduite ?

HENRIETTE.

Il en faut en tout, et comme Mile Faustine l'a dit, il faut que la conduite soit égale autant qu'on le peut.

ALEXANDRINE.

Eh! quel mal y auroit-il, mademoiselle, quand je serois inégale dans mes occupations, et que je travaillerois un jour, et que je jouerois un autre?

HENRIETTE.

On ne juge pas de la conduite sur ce qu'on fait en deux jours; mais si vous travailliez trois mois de suite, et que vous jouassiez trois autres mois, on diroit que vous êtes extrême dans ce que vous faites.

VICTOIRE.

Quoi! il ne me seroit pas permis de voir tous les jours une amie que j'aurois, et de me livrer tout entière à une personne de mérite!

FAUSTINE.

Il y auroit plus de conduite à se modérer un peu ly pour éviter le dégoût, qui pour l'ordinaire suit ces grands empressements.

HENRIETTE.

Il n'y a rien de plus opposé à ce qu'on appelle conduite, que cet esprit d'extrémité.

VICTOIRE.

Vous êtes trop sage, mademoiselle; vous vous contraignez donc en tout?

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FAUSTINE.

y a longtemps que nous sommes convenues que souvent ce qui s'appelle mérite est de savoir se contraindre.

HENRIETTE.

On regagne par le repos et l'honneur d'une bonne conduite ce qu'on souffre par un peu de contrainte.

ALEXANDRINE.

Mais pourquoi voulez-vous qu'on se contraigne dans ce qui n'est pas mal?

HENRIETTE.

C'est que la bonne conduite dont vous voulez parler n'est pas seulement d'éviter le mal, c'est qu'il en faut avoir même dans le bien.

ALEXANDRINE.

Voulez-vous aussi que nous ne priions pas Dieu tant que nous voudrons?

FAUSTINE.

Non, il ne faut pas le prier tout un jour et n'y pas penser le lendemain; il faut finir sa prière pour aller à d'autres devoirs; il faut retrancher sa prière pour ne se pas pousser à bout, et pour être plus en état de prier tous les jours de la vie.

VICTOIRE.

C'est votre raison, mademoiselle, qui nous pousse à bout; on ne peut disconvenir de ce que vous dites, mais la pratique en est tout à fait incommode.

HENRIETTE.

Nos inclinations ne sont pas assez bien arrangées pour que nous n'ayons qu'à les suivre; il faut s'y opposer souvent, les négliger quelquefois, les contraindre toujours, et c'est là cette bonne conduite dont vous avez voulu être instruite.

VICTOIRE.

Revenons à cette amie, à qui vous ne voulez pas qu'on s'abandonne.

HENRIETTE.

Il ne faut jamais s'abandonner, il faut être toujours maîtresse de soi', il faut prévoir l'avenir; cette intime amie vous manquera peut être, elle vous quittera pour une autre, ou vous vous lasserez d'elle, et le vrai moyen de s'en lasser, est cet abandon que vous demandez.

FAUSTINE.

Pendant que vous donnez toutes vos journées et tous vos soins à cette amie, que deviendront vos autres amies, vos proches? reviendrez-vous à eux, les trouverez-vous prêts à vous recevoir, quand cette amie vous aura manqué ou par sa faute, ou par les événements de la vie qui nous séparent souvent?

1 C'est là un trait du caractère de Mme de Maintenon. Voyez ce qu'elle dit à ce sujet dans les Lettres historiques et édifiantes, t. II, p. 74.

ALEXANDRINE.

Voilà bien des ménagements, et vous n'agissez donc jamais naturellement?

HENRIETTE.

Quand nous agirons naturellement, nous ferons fautes sur fautes nous serons un jour engouées d'une chose, et le lendemain d'une autre; nous ferons une amitié, et nous nous en dégoûterons; nous nous brouillerons avec nos amis, nous manquerons à nos devoirs, nous témoignerons nos dégoûts, nous serons prodigues ou avares; nous nous jetterons dans la retraite, et ensuite dans le grand monde; nous serons dévotes trois mois, et puis libertines; un temps dans l'ajustement, un autre dans la négligence outrée; en un mot, nous agirons avec la légèreté de l'esprit humain, qui ne sait ce qu'il veut, et nous serons de ces personnes dont on dit : elle n'a point de conduite, elle ne sait ce qu'elle fait.

VICTOIRE.

Vous ne nous avez rien dit de la conduite sur les affaires.

HENRIETTE.

Elle est pourtant très-nécessaire, et personne ne peut s'en passer, ou l'on est bientôt ruiné.

ALEXANDRINE.

A moins qu'on ne fût très-riche.

HENRIETTE.

Quelque riche qu'on soit, il faut se régler, proportionner sa dépense à son bien, compter sur des besoins qu'on ne prévoit pas en particulier, tâcher

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