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Revenez à votre conversation, mesdemoiselles; il ne faut pas vous contraindre.

CÉLESTINE.

Nous serions ravies de jouer, si vous l'aimez mieux.

FAUSTINE.

Ah! mademoiselle, il vaut mieux raisonner; mais je voudrois bien savoir comment on accommode cette envie de nous rendre raisonnables avec cette défense d'exciter notre esprit et notre curiosité.

ÉLÉONORE.

Vous ne voyez donc point de différence entre l'esprit et la raison?

SOPHIE.

Croyez-vous ces distinctions - là bien divertis

santes?

OLYMPE.

Elles sont au moins très-utiles.

CÉLESTINE.

Achevez, mademoiselle, de nous éclairer sur cette

différence.

ÉLÉONORE.

Je crois que l'esprit est une lumière vive, brillante, qui paroît, qui divertit les autres et soi-même, mais qui ne nous rend pas plus sages et plus heu

reuses.

OLYMPE.

Et la raison?

CÉLESTINE.

C'est ce qui règle notre conduite, qui nous rend aimables pour les autres, qui nous fait voir les choses comme elles sont, qui résiste aux passions, aux préventions, qui nous fait surmonter nos foiblesses et souffrir celles des autres. Mais Mile Brigitte ne veutelle point entrer dans notre conversation et nous dire son sentiment?

BRIGITTE (boudeuse).

Je n'aime pas à parler, mademoiselle; n'êtes-vous pas assez sans moi?

ÉLÉONORE.

Nous ne pouvons vous compter pour rien, et vous seriez, si vous le vouliez, bien capable de causer

avec nous.

BRIGITTE.

Vous me feriez plaisir de me laisser en repos.

FAUSTINE.

Ces demoiselles nous veulent rendre de beaux

esprits.

CÉLESTINE.

Non, mais des filles raisonnables.

OLYMPE.

Tout le monde n'a pas votre mérite, mademoiselle,

ÉLÉONORE.

Nous ne le croyons pas; mais pourquoi nous amuser à dire des choses inutiles, au lieu de nous instruire les unes avec les autres?

OLYMPE.

Je ne comprends pas comment on peut entendre des choses raisonnables sans en être touchée; il n'y a rien que je ne quittasse pour cela,

CÉLESTINE.

On est bien près de la raison quand on aime à en entendre parler, et ce goût ne peut venir que d'un fond de raison.

FAUSTINE.

Nous n'en avons donc point?

ÉLÉONORE.

Vous en auriez si vous vouliez, mais c'est que vous n'êtes pas en humeur de parler; jouons, je vous en prie.

FAUSTINE.

Je ne saurois jouer aujourd'hui, tout me déplaît.

OLYMPIADE.

Et ces demoiselles sont prêtes à tout, à causer, à jouer, à faire la volonté des autres : si c'est là la raison, il faut avouer qu'elle est bien aimable.

CÉLESTINE.

Elle l'est sans doute, et nous fait accommoder à tout sans vouloir rien trop fortement, toujours prête à céder, même dans les choses où on a raison.

FAUSTINE.

Ah! mademoiselle, il faut que la raison l'emporte, puisqu'elle est si belle, et elle ne doit pas céder.

ÉLÉONORE.

La raison ne veut rien emporter, mais il est bien vrai qu'elle a une grande force et qu'elle se fait sentir, malgré qu'on en ait.

SOPHIE.

Que je suis lasse d'entendre parler!

OLYMPE.

Je ne le saurois croire; vous dites cela pour nous faire disputer.

FAUSTINE.

Quand nous aurons bien parlé là-dessus, que nous en reviendra-t-il?

ÉLÉONORE.

Nous en serons assurément plus raisonnables, qui est ce que nous avons à désirer. Mais est-il possible que nous finissions notre conversation sans que Mile Brigitte ait voulu y entrer?

BRIGITTE.

Vous m'en voulez, mademoiselle; je ne vous demande que de me laisser.

OLYMPE.

Nous ne vous rebuterons point, et vous pourrez bien après tout cela être plus raisonnable que nous quelque jour.

CONVERSATION XVIII.

SUR LE MENSONGE.

CORNÉLIE.

Je suis ravie de vous trouver, mesdemoiselles, pour vous faire mes plaintes de ce que Mme de Filancourt s'accommode du commerce d'une personne qui ne sauroit s'empêcher de mentir.

FAUSTINE.

Vous voulez parler de Mme de Ferlemont; il est vrai qu'elle s'en est fait une habitude.

CORNÉLIE.

Mais, mademoiselle, je me consolerois sur ce qui la regarde, pourvu que mes amies la chassassent de leur société, comme il a fallu qu'elle quittât ellemême son pays, parce qu'on ne l'écoutoit plus.

ALEXANDRINE.

J'aimerois assez à m'en divertir pour une heure.

FAUSTINE.

Je ne pourrois jamais me divertir d'une personne que je ne pourrois croire.

ALEXANDRINE.

La conversation ne doit pas toujours rouler sur des choses assez sérieuses, pour qu'il y faille apporter tant de foi?

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