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LA JUSTICE.

Vous avez bien des affaires.

LA TEMPÉRANCE.

Mon caractère ne me permet pas d'en être fatiguée, j'agis doucement et paisiblement.

LA FORCE.

Tout cela conclut que nous avons besoin de vous; et n'avez-vous besoin de personne ?

LA TEMPÉRANCE.

Non, je me suffis à moi-même.

LA FORCE.

Ne peut-on pas être trop modéré?

LA TEMPÉRANCE.

Ce ne seroit plus modération, car elle ne souffre ni le trop ni le trop peu.

LA PRUDENCE.

Vous me dégoûtez de mon état, et j'envie le

vôtre.

LA TEMPÉRANCE.

C'est que vous aviez trop bonne opinion de vous; cependant vous êtes toutes très-estimables; y a-t-il rien de plus beau que la Justice? toujours fondée sur la vérité, incapable de prévention, incorruptible, désintéressée, se jugeant elle-même malgré son amour-propre.

LA JUSTICE.

Avec tout cela vous dites que je suis haïe.

LA TEMPÉRANCE.

C'est que vous ne flattez pas, et on veut être flatté.

LA FORCE.

Et pour moi je gâterois tout sans vous.

LA TEMPÉRANCE.

Oui, mais vous faites merveille avec moi, vous animez toutes les vertus, vous poursuivez vos entreprises jusqu'à la fin, et vous ne vous lassez jamais.

LA PRUDENCE.

Et je ne fais qu'hésiter.

LA TEMPÉRANCE.

Vous savez choisir les temps, vous êtes accommodante, vous prévoyez les inconvénients, vous prenez des mesures, et vous êtes absolument nécessaire, pourvu que je vous garantisse de l'extrémité.

LA FORCE.

Vous voulez nous consoler, mais enfin notre personnage est inférieur au vôtre.

LA TEMPÉRANCE.

Que serai-je sans vous ? employée seulement et souvent inutilement à m'opposer aux excès et aux passions des hommes; mon bel endroit est d'être nécessaire pour modérer les vertus.

LA FORCE.

Sommes-nous des vertus, si nous avons besoin de Vous pour éviter quelque extrémité? la vertu tient

le milieu.

LA TEMPÉRANce.

C'est moi qui fais connoître ce milieu; je ne dis pas que vous fissiez de grands maux, mais vous pourriez aller trop loin.

LA JUSTICE.

Je pourrois être trop juste.

LA TEMPÉRANCE.

Non, mais juger trop souvent, être par là à la charge de tout le monde; la Force jointe à la sécheresse de la Justice, la rendroit encore plus fâcheuse.

LA PRUDENCE.

Je pourrois y remédier.

LA TEMPÉRANCE.

Vous les embarrasseriez souvent. Nous avons besoin les unes des autres, vivons bien ensemble et sans jalousie, unissons-nous contre la corruption du monde, plus forte que toutes les vertus, si la grâce ne venoit à leur secours.

CONVERSATION XV.

SUB LES INCONVÉNIENTS DU MARIAGE.

CLOTILDE.

Je suis bien aise de me trouver avec vous, mesdemoiselles, et quand je vous aurais choisies, je n'aurois pas mieux fait que ce que le hasard vient de faire.

ATHÉNAÏS.

Vous nous paroissez si rêveuse depuis quelque temps, que nous avons voulu vous distraire, et c'est là ce qui nous amène.

CÉCILE.

Il est vrai que votre humeur paroît toute chan

gée.

CLOTILDE.

Je ne le suis pas pour vous, mais j'avoue qu'à mesure que le temps de sortir d'ici approche, je suis fort occupée du parti que je prendrai.

MÉLANIE.

A chaque jour suffit son mal; pourquoi s'inquiéter?

CLOTILDE.

A chaque jour suffit son mal pour s'en troubler, mais il est très-bon de penser à ce qu'on veut faire.

ROSALIE.

Il n'y a point de parti qui n'ait ses inconvénients.

ALEXANDRINE.

Il faut les peser, il est toujours bon de prévoir.

CLOTILDE.

C'est justement ce que je voudrois faire.

MÉLANIE.

Celui de la religion' est le plus dangereux, et je ne comprends pas comment on a la hardiesse de s'enfermer pour le reste de ses jours.

ALEXANDRINE.

N'appelez-vous pas s'enfermer de se marier? Faut-il moins de hardiesse pour ce parti que pour l'autre?

1 C'est-à-dire de la vie religieuse.

CLOTILDE.

Celui-là me fait trembler, quand je songe qu'on se donne à un maître sans le connoître.

MÉLANIE.

Connoissez-vous mieux la supérieure à qui vous allez vous obliger d'obéir?

CÉCILE.

Et qui peut être très-déraisonnable.

ALEXANDRINE.

Le mari peut l'être aussi, il n'a nulle règle qui le conduise; on est exposée à toutes ses extravagances1.

CLOTILDE.

On sait dans un couvent ce qu'on vous demandera, et s'il y a des personnes à qui il faut obéir, il y en a aussi qui sont dans les mêmes intérêts que vous, et qui ne souffrent pas qu'on demande autre chose que ce qui est réglé.

ROSALIE.

Ne me parlez point de règle, et de sacrifier sa liberté.

ALEXANDRINE.

Ne la sacrifiez-vous point avec un mari?

MÉLANIE.

Il y en a de doux, de complaisants que vous aimez et qui vous aiment.

CLOTILDE.

Il y en a sans doute, mais vous ne serez peut-être

Voir la note de la page 32.

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