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ADÉLAÏDE.

Leurs voisins les protégent, si elles savent s'attirer de la considération.

ODILLE.

Tout cela conclut que nous sommes bien malheu

reuses.

HORTENSE.

Oui, quand nous ne sommes pas raisonnables, que nous voulons des choses impossibles, que nous ne savons pas nous accommoder de notre état, et vivre dans une dépendance, dont nous venons de voir qu'on ne peut se passer.

CONVERSATION XIII.

SUR LA SOCIÉTÉ.

VICTOIRE.

Une personne parlant d'une autre disoit qu'elle étoit sociable; je n'entends pas bien ce que ce mot signifie.

ALEXANDRINE.

J'aimerois mieux dire propre à la société, et c'est une grande louange.

HENRIETTE.

Expliquez-nous cette louange, je vous prie.

ALEXANDRINE.

Une

personne

aimable dans la société est une

personne qui en fait souvent le plaisir et qui ne la trouble jamais.

VICTOIRE.

J'ai besoin d'être instruite en détail. Qu'est-ce qui rend aimable dans la société, et comment est-ce qu'on la trouble?

FAUSTINE.

Je crois que ce qui rend aimable et qui fait le plaisir dans la société, c'est d'avoir de l'esprit.

ALEXANDRINE.

Il faut plus que de l'esprit; on pourroit en avoir, et n'être pas propre au commerce'.

VICTOIRE.

Comment l'entendez-vous? peut-on plaire sans

esprit ?

ALEXANDRINE.

Oui, on pourroit être commode, et si on ne faisoit pas le plaisir de la compagnie, au moins n'en feroit-on jamais la peine.

FAUSTINE.

Pour peindre une personne propre à la société, nous dirions bien des choses qui conviennent à une bonne humeur.

VICTOIRE.

Il n'importe, pourvu que nous nous instruisions.

ALEXANDRINE.

Pour être propre à la société, il faut de la complaisance, de la douceur, de la politesse.

1 C'est-à-dire à la société.

HENRIETTE.

Quoi! nous jeter dans des compliments continuels!

ÉMILIE.

Vous croyez que la politesse consiste en compliments?

Je l'ai toujours cru.

VICTOIRE.

ALEXANDRINE.

Non, mademoiselle, la grande politesse est de ménager en tout et partout les gens avec qui nous vivons.

Comment?

HENRIETTE.

ALEXANDRINE.

En ne les blessant jamais et en entrant dans tout ce qu'ils veulent, et en ne contrariant ni ce qu'on dit ni ce qu'on fait.

HENRIETTE.

Quoi! je ne dirois pas mon sentiment, et je me rendrois toujours à celui des autres!

FAUSTINE.

On peut disputer pour animer la conversation, mais il ne faut pas l'aigrir.

VICTOIRE.

Si les autres l'aigrissent, est-ce ma faute?

ALEXANDRINE.

Oui, si vous avez dit quelque chose d'aigre, ou de rude, ou de grossier.

HENRIETTE.

Je commence à comprendre la louange d'être

sociable, car il faut presque toutes sortes de bonnes qualités.

FAUSTINE.

Il est vrai; et quand vous voyez une personne désirée partout et dont on s'accommode longtemps, vous pouvez conclure qu'elle n'est pas sans mérite.

VICTOIRE.

Je vous demande le portrait d'une personne propre à la société.

ALEXANDRINE.

Elle a de l'esprit jusqu'à un certain point; elle est douce et complaisante; elle veut tout ce qu'on veut, jouer au jeu que les autres proposent quand il ne serait pas de son goût, se promener, demeurer dans la chambre, parler, se taire, travailler; elle écoute avec attention ce qu'on lui dit; elle n'abuse point de l'attention des autres en se faisant écouter trop longtemps; elle n'est point curieuse, elle ne veut savoir que ce qu'on veut lui dire, elle ne pénètre point dans les choses dont elle n'est point chargée; elle ne se fâche jamais; elle laisse tomber tout ce qui pourroit fâcher une autre; elle loue ce qui est bon; elle se tait sur ce qui est blåmable dans les personnes; elle entend dire ce qu'elle savoit sans montrer qu'elle le sait, aimant mieux ce petit ennui que d'ôter le plaisir de celle qui veut apprendre une nouvelle. Je n'en finirois point si je parcourois tout ce qui fait une personne propre à la société.

HENRIETTE.

Je voudrois bien le portrait de la grossière.

ALEXANDRINE.

Je suis honteuse de tant parler, et je prie Me Faustine de le faire.

FAUSTINE.

Il est facile, car c'est le contraire de ce que vous venez de dire: elle est occupée d'elle et oublie les autres; elle prend la bonne place; elle se jette à table sur ce qui est le meilleur; elle parle d'elle; elle se fâche aisément; elle épie ce qu'on fait, elle en juge, elle est attachée à son opinion; elle veut dominer, elle se vante; elle ne peut souffrir la moindre opposition, elle voudroit que sa volonté fùt toujours suivie.

HENRIETTE.

En voilà assez pour comprendre que cette personne-là ne peut être désirée; elle me fait peur.

VICTOIRE.

Nous sommes bien obligées à ces demoiselles de nous avoir développé des choses qui nous peuvent être utiles.

ALEXANDRINE.

C'est que vous n'y avez pas encore fait réflexion, car vous avez déjà assez d'expérience pour voir que les personnes que vous désirez ou que vous craignez ont quelque chose des portraits que nous venons de faire.

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