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la paroisse en soulevant les autres, ou en quelque autre manière que ce soit.

« Mais revenons à l'aumône: il me semble que je ne vous en ai pas dit assez sur cet article, et je crains que vous n'en soyez pas suffisamment instruites, quoique je sache bien que vous y paroissez toutes portées présentement, et que vous ne parlez des pauvres qu'en compassion, et avec un vrai désir, à ce qui semble, de les pouvoir soulager. Mais peut-être changerez-vous bien de dispositions et de sentiments quand il faudra donner de ce qui vous appartiendra, et retrancher un peu de vos commodités pour vous acquitter de ce devoir de notre religion; le croyezvous d'une obligation absolue, dites-le franchement, Chabot? — Oui, Madame, dit la demoiselle, je crois que l'aumône est de nécessité de vertu, et qu'il faut faire comme le père de Tobie disoit à son fils: donner beaucoup si on a beaucoup, et peu si on a peu, mais qu'il faut toujours donner. Votre réponse me ravit, ma chère fille, répondit Mme de Maintenon, il n'y a rien à y ajouter: pratiquez ce que vous savez et vous serez sauvée. Que celles d'entre vous qui seront pauvres elles-mêmes ne se croient pas pour cela dispensées de faire l'aumône selon leur petit pouvoir; qu'elles donnent peu à la fois, mais qu'elles ne laissent pas de donner; je vous assure que Dieu leur saura plus de gré de ce peu qu'elles donneront, et qu'elles prendront peut-être sur leur nécessaire, qu'aux riches de leurs plus abondantes aumônes, car il ne regarde pas tant à la grandeur de nos actions qu'aux intentions avec lesquelles nous les fai

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sons. Donnez-moi un exemple de cette vérité tirée de l'Évangile, Dormoy?-Madame, dit la demoiselle, Jésus-Christ promit qu'un verre d'eau donné à un pauvre pour l'amour de lui ne sera point sans récompense, et il eut plus agréable l'obole de la pauvre veuve que les grandes aumônes des riches.

Et pourquoi cela? reprit Mme de Maintenon. — A cause, dit la demoiselle, de sa bonne volonté, et qu'apparemment elle auroit voulu donner davantage. C'est non-seulement pour cela, reprit Mme de Maintenon, mais parce qu'elle avoit donné de son nécessaire, et que tous les autres n'avoient donné que de leur superflu. Y a-t-il rien de plus consolant que cela, mes chers enfants, pour tous ceux qui ne sont pas en état de pouvoir donner beaucoup? en effet, si Dieu récompense si magnifiquement les aumônes des riches, et si comme Daniel disoit à Nabuchodonosor qui était un si méchant prince qu'il pouvoit racheter ses péchés par l'aumône, quelles grâces ne vous fera-t-il pas quand, pour son amour et pour obéir à sa loi qui nous oblige d'assister notre prochain dans ses besoins, vous le ferez de ce que vous aurez retranché de vos propres besoins? ou sur vos commodités et vos plaisirs, épargnant, par exemple, quelques aunes de ruban, tantôt quelques paires de gants, quelques dentelles, quelques douceurs ou agréments que vous pourriez vous procurer? tout cela sera écrit au livre de vie et vous en recevrez le centuple peut-être même dès cette vie. >>

101. A UNE DEMOISELLE DE SAINT-CYR,

NOUVELLEMENT MARIÉE.

Marly, 1699.

Je vous accorde de tout mon cœur ce que vous me demandez pour votre enfant, et je le nomme Louis-François si c'est un garçon, et FrançoiseAdélaïde si c'est une fille. Si vous me marquez une personne que je puisse prier de le tenir pour moi, je le ferai, mais je ne sais à qui m'adresser. Je suis très-contente de votre longue lettre, et du compte que vous me rendez de la situation de votre famille et que vous serviez Dieu; si cela est, je vous trouve très-heureuse je ne puis croire que la grandeur, l'abondance, les richesses et les plaisirs fassent le bonheur; vos mauvais repas, vos vieux habits, me paroissent préférables à tout ce que je vois ici. Je ne doute point du mérite et des services de M. de G...3, mais vous savez le grand nombre d'officiers dans le même cas; le Roi, tout grand qu'il est, ne peut satisfaire tout le monde, il n'y a que Dieu qui soit assez puissant pour nous contenter. Je suis ravie de trouver un moment pour vous écrire et vous assurer de la continuation de mon amitié. Souvenez-vous de votre éducation; édifiez tout ce qui peut vous ap

Lettres édifiantes, t. IV, 1. 97.

2 Louis était le nom du Roi, Françoise celui de Mme de Maintenon, Adélaïde celui de la duchesse de Bourgogne.

3 Mari d nuscrit.

la demoiselle. Le nom est en blanc dans le ma

procher, attirez à la piété tout ce qui vous environne, employez tous vos talents pour Dieu, faites-les valoir au soixantième et au centième, et votre état sera aussi digne d'envie que celui des mondains est digne de pitié! Avez-vous un bon confesseur?

11.- INSTRUCTION A LA CLASSE JAUNE',

Sur la liberté des femmes lorsqu'elles SONT DANS LE Monde.

1700.

« Vous êtes de vrais enfants quand vous dites que vous serez libres au sortir d'ici; il faut pardonner ces discours à votre grande jeunesse ; et je suis moins surprise que vous les teniez que les bleues, qui sont plus âgées que vous. Que vous dirai-je sur cela? J'ai mis toute ma science dans mes proverbes; je n'en sais pas davantage que ce que je fais dire à Marie « mais qu'est-ce donc que cette liberté dont vous parlez tant? Je ne comprends point ce que vous voulez dire. Est-ce que vous êtes en prison??» Voilà ce qu'il y auroit à répondre à celles qui se font des idées de liberté. Vous n'en aurez jamais, à moins que vous ne soyez tout à fait abandonnées. Si vous n'avez ni père, ni mère, ni frère, ni sœur, ni un confesseur, en un mot, personne qui se soucie tant soit peu de vous, je conviens que vous

1 Recueil d'instructions, p. 15.

2 Voir le Proverbe : Entre deux vertes une múre.

aurez de la liberté; mais en quoi consistera-t-elle? à courir les champs et les rues, à vous déshonorer et à vous perdre. Pour peu que vous ayez une personne qui s'intéresse à ce qui vous touche, elle ne vous en laissera point. Un frère aîné, par exemple, ne le souffrira pas; un cadet, s'il est honnête homme, fera de même'. Quand vous n'aurez qu'un confesseur, pour peu que vous ayez de confiance en lui, et qu'il vous connoisse, il ne vous laissera pas à votre volonté; il commencera par vous demander qui vous êtes, où vous demeurez, de qui vous dépendez; après, il vous donnera ses avis sur votre conduite; s'il voit que vous ne voulez pas les suivre, il vous laissera là. M. Tiberge 2 fait le personnage dont je vous parle; il a ramassé six ou sept demoiselles de Saint-Cyr qui ne savoient où donner de la tête, parce qu'elles sont sorties avant le don du Roi 3, et s'en est chargé; il a commencé par leur ôter la liberté d'aller où elles voudroient, les a mises dans

1 Les instructions de Mme de Maintenon sont remplies de traits qui ont une certaine importance pour l'étude des mœurs et de la societé de son temps. Ainsi dans la phrase qu'on vient de lire, on voit que le fils aîné, à défaut du père, était le chef de la famille, en avait l'autorité, et ne souffrait pas qu'aucune atteinte fût portée à son honneur. Quant au cadet, abandonné à lui-même et occupé de chercher fortune, il n'avait pas les mêmes obligations que l'aîné, et ne faisait comme lui que s'il était honnéte homme.

2 L'un des confesseurs extraordinaires de la inaison. Voir Lellres historiques et édifiantes, t. I, p. 54.

3 On donnait à chaque demoiselle, lorsqu'elle sortait de SaintCyr, une somme de 3,000 livres. Le fonds de cette dotation ne fut fait par Louis XIV qu'en 1698.

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