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vouloir pas aller le plus loin que nous pouvons dans

toute sorte de bien.

MARCELLE.

J'aurois cru mettre la division entre mes enfants, si je leur avois prêché cette émulation.

SOPHIE.

Je crois que vous y auriez mis ce qu'il y a de meilleur pour la jeunesse.

IRÈNE.

N'y a-t-il pas d'autres moyens de les exciter?

SOPHIE.

Les mauvais naturels se rendent aux châtiments, les médiocres aux récompenses, et les excellents à l'envie de plaire et d'exceller dans ce qu'on leur demande; mais je suis honteuse de tant parler, et si Mile Faustine vouloit entrer en conversation, elle vous parleroit mieux que moi.

FAUSTINE.

Je ne pourrois m'expliquer aussi bien que vous, mais je pense de même.

MARCELLE.

Vous croyez donc aussi, mademoiselle, qu'il faut inspirer l'émulation.

FAUSTINE.

Je le crois par raison, et sur mon expérience j'ai vu des enfants qu'on poussoit à tout ce qu'on vouloit par la moindre louange, ou en leur marquant qu'on étoit content d'eux.

IRÈNE.

Rien ne seroit plus dangereux pour la jeunesse que de les y rendre insensibles1.

MARCELLE.

Mais c'est l'orgueil qui fait aimer les louanges.

FAUSTINE.

L'orgueil veut des louanges sans les mériter, et l'honneur veut mériter des louanges.

IRÈNE.

Vous dites, mademoiselle, que les jeunes personnes y doivent être sensibles; est-ce que la vertu n'est pas la même pour tous les âges?

SOPHIE.

La vertu est sans doute toujours la même, mais il faut y aller par degrés.

MARCELLE.

Pourquoi ne pas aller tout d'un coup où il faut

aller?

SOPHIE.

Parce qu'on ne va guère au haut d'une maison sans ces degrés dont je veux parler.

IRÈNE.

Mais vous convenez bien que pour être vertueuse, il faut d'autres motifs que celui de la louange.

FAUSTINE.

Il en faut d'autres certainement, mais on y conduira beaucoup plus aisément ces cœurs élevés et

1 Voir les Entretiens sur l'éducation, p. 128.

généreux, dont je parle, que ceux qui ne connoissent que la crainte ou l'intérêt.

SOPHIE.

On ne peut rien faire de bon de ceux qui ne se soucient point de contenter les personnes qui les conduisent, et cette indifférence est de mauvais augure pour l'avenir.

MARCELLE.

J'ai bien de la peine à me rendre, et à comprendre qu'il faille inspirer dans un temps ce qu'il faudra détruire dans un autre.

FAUSTINE.

Il est pourtant certain que chaque chose a son temps, et qu'il y a une solidité dans la vieillesse qui ne siéroit pas à la jeunesse,

SOPHIE.

Je persiste à croire que la jeunesse ne peut être trop sensible aux louanges des honnêtes gens, à l'honneur de la réputation, et qu'il n'y a que les courages élevés qui soient capables de tout faire pour y parvenir.

IRÈNE.

Avez-vous des exemples de ce que vous dites?

SOPHIE.

On en voit pour peu que l'on veuille étudier le naturel des jeunes gens; j'en ai connu qui auroient souffert le martyre pour contenter les personnes avec qui elles vivoient; j'en ai vu, et en trop grand nombre, qu'on ne menoit que par la crainte.

MARCELLE.

Et vous croyez que ceux-là sont moins bons?

SOPHIE.

Ils ont le cœur bas, et comment auroient-ils le courage de se contraindre pour la réputation quand ils seront dans le monde? ils n'ont pas celui de faire leur possible pour plaire à ceux dont dépend leur bonheur présent. Ne me parlez point de gens incapables d'émulation, il n'y a rien de bon à en espérer.

CONVERSATION X.

SUR LA BONNE HUMEUR.

SCENE PREMIÈRE.

PLACIDE.

On dit que Mile Victoire est allée à la campagne, et qu'elle mène avec elle Mil Hortense.

VALÉRIE.

Je l'ai ouï dire, et Mile Irène est bien affligée de cette préférence.

PLACIDE.

Elle est surprenante en effet, car je ne vois point de femme plus aimable que M Irène.

VALÉRIE.

Je suis de votre goût, je la trouve charmante; elle est agréable de sa personne, elle a beaucoup d'esprit, elle est adroite à tout, elle est d'une gaieté à en inspirer aux autres, et si j'étois à portée de

faire amitié avec elle, je la préférerois à tout ce que

je connois.

PLACIDE.

Je demeure d'accord de ce que vous en dites, mais avec tout cela elle n'est pas fort aimée.

VALÉRIE.

C'est peut-être qu'on l'envie; il y a des gens qui ne peuvent souffrir le mérite, et qui croient qu'on leur dérobe les louanges qu'on donne aux autres.

PLACIDE.

Voici la bonne amie de Mile Hortense.

SCENE DEUXIÈME.

PLACIDE.

Vous avez perdu pour quelques jours votre compagnie ordinaire, mademoiselle.

CONSTANCE.

Il est vrai, j'en suis dans un ennui que je ne puis dire.

VALÉRIE.

Il faut que Me Hortense ait des qualités cachées qui la rendent aimable, car ce qui paroît n'a, ce me semble, rien d'extraordinaire.

CONSTANCE.

Si vous la connoissiez, vous comprendriez qu'on ne peut se passer d'elle quand on la connoît.

PLACIDE.

Est-ce un grand esprit?

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