Page images
PDF
EPUB

HENRIETTE.

Je doute qu'elle soit du goût de beaucoup de gens.

SOPHIE.

Elle n'en est pas moins bonne, ni moins d'obligation.

HORTENSE.

Quoi! c'est donc tout de bon que vous cherchez ce qui vous déplaît?

SOPHIE.

Et pourquoi donc, mademoiselle, chercherois-je Mme.....?

MÉLANIE.

Nous évitez-vous par le même principe?

SOPHIE.

Assurément, et je suis troublée présentement du plaisir que j'ai de vous entendre.

HORTENSE.

Vous mettez donc la dévotion à n'avoir aucun plaisir ?

SOPHIE.

Oui, mademoiselle, et je n'en connois point

d'autre.

AGLAÉ.

Voilà une dévotion bien mélancolique.

HENRIETTE.

Ce n'est pas assez dire, elle est affreuse.

MÉLANIE.

Mais, mademoiselle, trouvez-vous dans notre conversation quelque chose où Dieu puisse être offensé ?

SOPHIE.

Non, mademoiselle, j'y trouve de la joie et du

plaisir.

HORTENSE.

Si vous trouviez du plaisir à entendre parler de Dieu, vous en priveriez-vous?

Je m'en défierais.

SOPHIE.

MÉLANIE.

Si vos inclinations vous portoient à servir le prochain?

SOPHIE.

Ma charité seroit peu de chose.

AGLAÉ.

Si vous sentiez un attrait particulier pour les hérétiques?

SOPHIE.

Je n'en espérerois pas grande récompense.

MÉLANIE.

Si vous sentiez du goût à vous consacrer à Dieu et à vous faire religieuse?

SOPHIE.

Que seroit-ce qu'une pareille vocation?

AGLAÉ.

En vérité, mademoiselle, vous n'y pensez pas; et vous comptez donc pour un malheur d'avoir de bonnes inclinations?

SOPHIE.

Il n'y a de vertu que dans le combat.

HORTENSE.

Nous avons toujours assez et trop d'occasions de

combattre, car toutes nos inclinations ne nous portent pas également au bien; mais je crois que, bien loin de nous roidir contre celles qui sont bonnes, il faut les suivre pour servir Dieu.

SOPHIE.

Que dites-vous, mademoiselle? Suivre ses inclinations? il ne faut jamais cesser de s'y opposer.

AGLAÉ.

J'aime à plaire à mes maîtresses; je vais donc tâcher de les fâcher.

MÉLANIE.

J'aime à vivre avec douceur; je vais donc tâcher de me mettre en colère.

SOPHIE.

Vous vous raillez, mademoiselle; mais il est pourtant vrai qu'il faut se mortifier depuis le matin jusqu'au soir.

HORTENSE.

Oui, mademoiselle, dans ce qui pourroit offenser Dieu, ou dans un esprit de pénitence, mais non pas pour éviter le plaisir.

SOPHIE.

On ne doit jamais en avoir sans scrupule.

HORTENSE.

N'en trouvez-vous point à servir Dieu?

AGLAÉ.

Ne mangez-vous pas? car il y a du plaisir.

MÉLANIE.

Je n'en crois pas un plus grand que de faire son

devoir, et de n'avoir rien à se reprocher.

HORTENSE.

Le joug de Dieu est suave; un jour passé dans sa maison vaut mieux que mille partout ailleurs; l'amour rend tout agréable quand nous en avons pour lui : non-seulement les plaisirs nous paroissent plaisirs, mais nous en trouvons même dans les croix qu'il lui plaît de nous envoyer.

MÉLANIE.

Que les bien-nés se réjouissent d'avoir reçu des inclinations qui les portent à Dieu!

AGLAÉ.

Quelle douceur approche de celle qu'on goûte avec lui!

HENRIETTE.

On ne le sert point sans éprouver qu'il est délicieux d'être avec lui.

SOPHIE.

Tout ce qui nous plaît est mauvais; il ne faut jamais s'y laisser aller, il faut ramer toute sa vie, trembler quand quelque chose nous contente, et se croire bien quand tout s'oppose à nous.

HORTENSE.

Vous donnez une idée de la piété qui seroit bien dangereuse pour de jeunes personnes; pour moi, je leur en donnerois une bien différente, car je ne trouve rien de si doux que d'aimer Dieu. Je conviens qu'on ne se sauve pas sans se faire violence, mais quand on se la fait pour Dieu, on en est récompensé dès ce monde.

MÉLANIE.

Il faut se faire violence dans ce qui nous porte au

mal, suivre notre pente quand elle nous conduit à accomplir la loi de Dieu, le bénir mille fois de nous éclairer de si bonne heure, et le prier pour celles qui sont privées d'une éducation comme la nôtre.

AGLAÉ.

Je compte de servir Dieu toute ma vie, et de me réjouir de tout ce qui sera innocent.

CONVERSATION IV.

SUR LE SILENCE.

MARIE.

Ne remarquâtes-vous pas, mesdemoiselles, que, jouant une de nos Conversations devant un homme de grand mérite', il nous demanda si nous n'en avions pas sur le silence?

HORTENSE.

Je m'en souviens fort bien, et j'en fus fort choquée, car il parut par ce discours qu'il trouvoit que nous parlions trop.

LOUISE.

Il auroit eu tort, car nous ne parlions que parce qu'on le vouloit.

J'ai dit dans la préface que les Conversations étaient des exercices qui se jouaient souvent devant le Roi, les princes ou d'autres personnes étrangères à la maison.

« PreviousContinue »