Page images
PDF
EPUB

CÉLESTINE.

Vous êtes donc aussi du sentiment de ceux qui veulent ôter à notre sexe l'avantage d'être savantes; je ne comprends pas quel plaisir il y a d'être avec des personnes qui ne savent ni l'histoire, ni les nouvelles ; des femmes qui sont si appliquées à leur ménage, qu'elles ne savent pas faire la différence qu'il y a entre une élégie, une ode ou un poëme'.

AUGUSTINE.

Que sert-il à une fille ou à une femme de savoir faire ces différences? J'ignore ce que c'est et ne désire point de l'apprendre, pourvu que je contente les personnes de qui je dépends.

CÉLESTINE.

Ah! comment pouvez-vous vous plaire à travailler depuis le matin jusqu'au soir à un métier où on fait toujours la même chose? Quoi! piquer une étoffe, tirer son aiguille, que cela est bas et indigne d'une demoiselle qui est née pour autre chose! Je ne puis m'assujettir à cela.

AGATHE.

Et moi, mademoiselle, je prends beaucoup de plaisir lorsque je suis à mon métier ; je n'ai point l'esprit inquiet des affaires d'autrui ; j'ai le contentement de voir mon ouvage avancer, et la satisfaction, quand il est achevé, d'avoir fait quelque chose ;

1 Célestine joue ici le personnage d'Armande dans les Femmes savantes, et Augustine celui de Henriette. On peut comparer le tablcau de Molière avec le croquis de Mme de Maintenon, et on trouvera l'un et l'autre également sensés.

je ne suis point exposée à des conversations satiriques qui me pourroient faire offenser Dieu; je ne suis point dans une oisiveté qui me causeroit de l'ennui, et lorsque le soir je repasse dans mon esprit ce que j'ai fait, je suis très-contente de n'avoir ni la paresse, ni les discours inutiles à me reprocher; je me couche satisfaite et je dors sans inquiétude. CÉLESTINE.

A ce que je vois, vous aimez les femmes ménagères ?

AGATHE.

Oui, il est vrai que je les estime.

CÉLESTINE.

Je ne sais de quel goût vous êtes; pour moi, je ne puis me résoudre à entrer dans des détails qui ne sont propres qu'à des fermières. Quoi! se lever matin comme des femmes de campagne, qui à peine sont hors du lit qu'elles envoient leurs gens au travail, et entrent dans les plus petits détails du ménage!

AUGUSTINE.

Une personne qui agit de la sorte est véritablement sage elle imite la femme forte dont nous parle Salomon.

CÉLESTINE.

Vous seriez donc d'humeur, si vous étiez chez madame votre mère, à avoir soin des clefs et de tout le ménage?

AUGUSTINE.

Eh! ne vous en moquez pas, mademoiselle, je le ferois, et croirois ne pouvoir rien faire de mieux.

CÉLESTINE.

En vérité, je ne le ferois pour rien du monde; quoi! moi qui ai l'esprit éclairé, je m'abaisserois à ces sortes de choses! Je ne puis me plaire qu'avec des rhétoriciens, des poëtes, des philosophes, et, en un mot, avec de beaux esprits.

AUGUSTINE.

Et moi je n'ai de satisfaction qu'en faisant mon devoir.

CÉLESTINE.

Vous passerez une vie bien malheureuse et vous serez toujours esclave de votre devoir.

AUGUSTINE.

Je suis plus heureuse que vous,

mademoiselle,

car je fais tout ce que je veux, ne voulant que ce que je dois, et vous n'aurez pas toujours des gens choisis pour vous plaire.

CÉLESTINE.

Pourquoi cela, mademoiselle?

AUGUSTINE.

Parce que vous aimez les personnes spirituelles, et qu'il s'en trouve très-peu comme vous les voulez. CÉLESTINE.

Je suis présentement avec des gens qui ne me parlent point de choses communes.

MARIE.

Dites-moi, je vous prie, ces personnes-là ontelles beaucoup de jugement?

CÉLESTINE.

Je me divertis présentement avec des astrologues.

AUGUSTINE.

Faites-vous consister le jugement à savoir l'astrologie? Tel croit se connoître aux astres, et nous en marquer le cours, qui ne sait pas se conduire.

CÉLESTINE.

Je l'avoue, mais vous me pressez trop, et je crois que si je vous écoutois davantage je me rendrois à vos raisons.

AUGUSTINE.

J'en aurois bien de la joie, car vous seriez plus sage et plus heureuse; mais nous ne devons pas nous en tenir à une sagesse humaine, il faut que la nôtre ait Dieu pour principe et pour fin.

CÉLESTINE.

Quoi! vous ne vous contentez pas de me vouloir sage, vous me voulez encore dévote?

AUGUSTINE.

C'est que l'un ne peut aller sans l'autre, et nous serions bien malhabiles si nous nous en tenions à une sagesse humaine qui n'auroit point de récompense.

CONVERSATION III.

SUR LA DÉVOTION.

HORTENSE.

Je suis bien heureuse de vous trouver aujour

d'hui, mademoiselle, car je vous ai cherchée bien des fois; mais on dit toujours à votre porte que Vous êtes chez Mme

......

SOPHIE.

Il est vrai que j'y vais fort souvent.

HORTENSE.

Elle est bien heureuse de jouir du commerce d'une personne comme vous.

MÉLANIE.

me

Je n'aurois jamais cru envier Mm......; cependant m'y voilà parvenue.

HORTENSE.

Je crois que ce n'est pas elle que vous enviez.
MÉLANIE.

Quoi qu'il en soit, j'envie son bonheur.

SOPHIE.

Je crois, mademoiselle, que je serois mieux avec elle que de demeurer plus longtemps avec vous.

HORTENSE.

Si j'étois seule, mademoiselle, je n'oserois vous dire que votre goût me paraît étrange, mais ayant avec moi une aussi bonne compagnie, j'avoue que je ne comprends pas que vous voulussiez la quitter pour aller chez Mme

[ocr errors]

SOPHIE.

Il faut chercher ce qui déplaît, mademoiselle, et quitter ce que l'on trouve agréable'.

AGLAÉ.

Voilà une étrange morale.

1 Mme de Maintenon attaque ici le rigorisme outré et la dévotion sombre des jansénistes.

« PreviousContinue »