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conduite m'attira; on ne pouvoit se lasser d'admirer qu'une jeune personne jolie et au milieu du monde eût le courage de soutenir un habillement si modeste; il l'étoit en effet, et n'avoit rien de bas ni de rebutant; si la qualité de l'étoffe était simple, l'habit étoit bien assorti et fort ample, le linge étoit blanc et fin, rien ne sentoit la mesquinerie '. Je paroissois plus avec cela que si j'avois eu un habit de soie décolorée, comme en ont la plupart des pauvres demoiselles qui veulent approcher de la mode, et qui n'ont pas de quoi pour en faire la dépense.

« Je soutins aussi avec une fermeté inviolable la générosité de ne recevoir aucun présent; j'étois tellement connue de ce caractère que jamais aucun homme ne s'avisa de m'en offrir, sinon un, qui étoit un sot. Je ne sais à quel dessein il fit ce que je vais vous dire : j'avois un éventail d'ambre, fort joli, je le posai un moment sur la table; cet homme, soit en badinant, soit à dessein, prit mon éventail et le rompit en deux. J'en fus surprise et choquée; j'y eus, dans le fond, un grand regret, car j'aimois fort cet éventail. Le lendemain cet homme m'envoya une douzaine d'éventails pareils à celui qu'il m'avoit cassé. Je lui fis dire que ce n'étoit pas la peine de casser le mien pour m'en envoyer douze autres, que j'en aurois autant aimé treize que douze, et je les lui renvoyai et demeurai

1 On trouve des détails semblables dans les Mémoires de Mlle d'Aumale.

sans éventail. Je le tournai en ridicule, dans les compagnies, de ce qu'il m'avoit offert un présent. Jamais, depuis, aucun homme ne s'avisa de m'en offrir. Vous ne sauriez croire la réputation que ce procédé me donna; aussi en étois-je si jalouse, que j'aimois mieux me passer de tout que d'agir autrement. Cet amour de la réputation, quoiqu'il soit mêlé d'orgueil et de fierté, et que par conséquent la piété doive le corriger, est cependant d'une grande utilité aux jeunes personnes; c'est le supplément de la piété pour les préserver des plus grands désordres'. C'est pourquoi je ne conseillerois jamais de l'étouffer dans le cœur de la jeunesse, et quoiqu'il ne faille pas le proposer tout seul pour motif de leur conduite, il ne faut aussi l'attaquer ni le détruire quand on le trouve en elles; il est seulement bon de leur imposer des motifs de piété quand on les en voit susceptibles; mais si elles ont le malheur de ne se pas prendre par la crainte d'offenser Dieu, il est bon, du moins, qu'elles craignent la perte de leur réputation, et qu'elles soient jalouses de la conserver, comme je l'étois de la mienne. La piété rectifie ensuite ce qu'il y a de défectueux dans ce motif, et c'est toujours avoir gagné que d'avoir par là évité de faire parler de soi. Voilà ce qu'il y a à dire sur ce désir de la parure pour le rendre moins vif. Au reste, rien ne sied moins qu'une coiffure avec des frisures, des diamants ou des rubans, assortis d'un habit d'étamine ou d'une étoffe de soie commune ou

Voir les Entretiens sur l'éducation, p. 128 et suiv.

passée, cela rend ridicule, et il suffit d'avoir un peu de bon sens et de bon goût pour ne pas tomber dans cet inconvénient. Pour moi, quand j'ai voulu que vous plussiez dans vos jeux aux personnes de la cour, devant qui vous devez représenter quelques tragédies, j'ai toujours tenu bon que vous n'eussiez ni frisure, ni touffe de rubans, mais seulement du linge blanc, un bonnet simple, mais bien fait, une simple petite touffe de cheveux sans frisure et sans aucun autre ruban que celui de la coiffure ordinaire. Cet habillement vous sied beaucoup mieux que de vous voir avec un bonnet rehaussé d'épingles qui n'accompagne pas le visage, et une fafée de cheveux qui vous donne un air rude et sauvage,

« Quant à ce que vous croyez que les religieuses sèchent de chagrin quand elles voient des personnes ajustées et qu'elles pensent qu'elles ne peuvent jamais l'être, il faut que vous sachiez qu'il n'y a que les mauvaises religieuses en qui ces sentiments peuvent se trouver. Quand on a de bonne foi quitté le monde pour se donner à Dieu, on a sacrifié bien d'autres choses plus capables d'attacher que cette parure. Il ne faut qu'avoir l'esprit un peu solide et aimer la réputation pour se mettre, dans le monde même, au-dessus de cette foiblesse par raison et encore plus par piété,

«Seroit-ce outrer la morale, dit la maîtresse à Madame, que de représenter à une fille, qui auroit ces sentiments que je vous ai exposés, que cette seule affection aux pompes du monde est criminelle, parce qu'elle est incompatible avec la fidé

lité aux vœux du baptême? Sans doute, repartit Madame, qu'elles ne peuvent avoir l'amour de la parure et de l'ajustement sans pécher contre la promesse qu'elles ont faite au baptême de renoncer au monde. Il ne leur est pas plus permis d'aimer le monde, auquel elles ont renoncé et que JésusChrist déclare son ennemi, que de se joindre au diable, puisqu'elles ont également renoncé, par les vœux du baptême, à l'un et à l'autre. Vous ne pouvez même leur prêcher une morale plus solide que celle qui est fondée sur les promesses de leur baptême; il n'y a ni état ni condition qui les en puisse dispenser. C'est la meilleure manière de combattre ce goût de l'ajustement que de leur montrer qu'elles ne peuvent s'y livrer volontairement sans violer le vœu par lequel elles ont renoncé au monde et à ses pompes. >>

28. INSTRUCTION AUX DEMOISELLES DES DEUX GRANDES CLASSES1,

SUR LE PLAISIR DE SE FAIRE AIMER.

1710.

Madame, ayant envoyé quérir la première bande2 des bleues, leur dit : « Mes chers enfants, je vous

1 Recueil d'instructions, p. 448,

2 Chaque classe était partagée en plusieurs bandes de dix à douze demoiselles. Quand Mme de Maintenon était indisposée, elle faisait venir l'une de ces bandes dans sa chambre pour lui donner quelque instruction.

vois à toutes de l'ouvrage, cela me fait grand plaisir, cela est fort bien. Rendez-vous toujours utiles partout où vous irez; tâchez de vous rendre accommodantes, entrez dans les fantaisies des autres, pourvu qu'il n'y ait point de péché; servez-les en tout ce que vous faites. Par exemple, vous allez dans quelque communauté : quoique vous payiez pension, ne laissez pas de rendre tous les services dont vous serez capables; faites votre possible pour vous rendre une humeur égale, contraignez-vous pendant que vous êtes ici. Je vous rapporte toujours l'exemple de Mile de La Borde'. Pourquoi pensez-vous que nous la gardons ici, si ce n'est à cause de son mérite et de sa bonne volonté, qui est toujours prête à tout? c'est une fille admirable; elle se contraint depuis le matin jusqu'au soir; il n'y a point de récréation pour elle; elle s'offre continuellement pour suppléer, afin de faire plaisir; elle se donne à tout ce qu'elle fait avec un cœur merveilleux; elle mène la vie du monde la plus triste; elle n'a point les douceurs des communautés; elle est comme une religieuse: il n'y a que la vocation qui lui manque. Je parlois l'autre jour à Mme de Dangeau de quelques demoiselles de Saint-Cyr, car elle les aime fort, et nous cherchions ensemble quelle pouvoit être la cause de leur malheur, et nous vîmes que leur misère ne venoit souvent que de leurs propres défauts, de leur humeur peu égale et de ce qu'elles ne vouloient pas se contraindre. Nous voyons tous

1 Demoiselle séculière qui suppléait les Dames dans les classes.

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