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qu'il fallait que les frères Cramer lui envoyassent deux cents exemplaires, pour lefquels le roi a foufcrit; 1763. qu'il les payerait en papiers royaux, à quarante francs l'exemplaire, tandis qu'on les paye, argent comptant, quarante-huit livres. Si ce ministre fait toujours d'auffi bonnes affaires pour le roi, fa Majefté fera très à fon aise.

Philibert Cramer, très-beau garçon, quoiqu'un peuboffu, devait folliciter les payemens à Paris; mais c'est un seigneur auffi pareffeux qu'aimable, et plus attaché à l'hôtel de la Rochefoucauld qu'aux vers de Corneille. Il a de l'efprit, du goût; il n'aime ni Heraclius ni Rodogune, et a renoncé à la dignité de libraire. Leurs facrées Majeftés, l'empereur et l'impératrice, ont foufcrit pour deux cents exemplaires, et la caiffe impériale n'a pas donné un denier. J'ai preffé les Cramer d'agir; mais il n'y a eu de foufcriptions que celles que j'ai procurées. Cependant, je fue fang et eau depuis un an; je facrifie tout mon temps. Il me faut commenter trente-trois pièces, traduire de l'espagnol et de l'anglais, rechercher des anecdotes, revoir et corriger toutes les feuilles, finir l'Hiftoire générale et celle du czar Pierre, travailler pour les Calas, faire des tragédies, en retoucher, planter et bâtir, recevoir cent étrangers, le tout avec une santé déplorable. Vous m'avouerez que je n'ai guère le temps d'écrire à des foufcripteurs, que c'eft aux Cramer à s'en charger. Je leur ai donné des modèles d'avertiffement; ils ne s'en font pas encore fervis: il faut prendre patience.

3o. J'ai toujours bien entendu qu'on ferait, fur le produit, une penfion au père et à la mère, et cette

penfion fera plus ou moins forte, felon la recette. Si 1763. mademoiselle Corneille a quarante mille francs de cette affaire, il faudra remercier fa deftinée; fi la fomme eft plus forte, il faudra bénir DIEU encore davantage. Nous avons déjà donné foixante louis au père et à la mère. Les frais font grands, la recette médiocre. Les Cramer nous donneront un compte en règle.

Je baise bien humblement le bout des ailes de mes anges. Je fuis leur créature attachée jufqu'au dernier moment de ma drôle de vie.

LETTRE II.

A M. DAMILA VILLE, à Paris.

J'AI

A Ferney, 2 de janvier.

'AI reçu, mon très-cher frère, le petit chapitre concernant l'Encyclopédie, et j'ai retranché fur le champ le petit article où je combattais les droits du parlement, quoique je fois bien perfuadé que le parlement n'a aucun droit fur les priviléges du fceau; mais je ne veux point compromettre mes frères. Je fais fort bien que, quand on s'avise de prendre le parti de l'autorité royale contre meffieurs, meffieurs vous brûlent, et le roi en rit. D'ailleurs, dans le petit chapitre des billets de confeffion, et des querelles parlementaires et épiscopales, j'ai dit affez rondement la vérité. J'ai peint les uns et les autres tout auffi ridicules qu'ils étaient, fans pourtant y mettre de caricature.

J'ai une envie extrême de lire un mémoire que M. Loyseau fit, il y a quelques années, pour made- 1763. moifelle Alliot de Lorraine. J'ai connu cette demoifelle à Lunéville; et le ftyle de M. Loyfeau augmente ma curiofité. Je demande en grâce à mon frère de m'obtenir cette grâce de M. Loyfeau.

J'attends la Population de M. de Beaumont. Ce livre fera, fans doute, ma condamnation. Je n'ai point peuplé, et j'en demande pardon à DIEU. Mais auffi la vie eft-elle toujours quelque chofe de fi plaifant, qu'il faille fe repentir de ne l'avoir pas donnée à d'autres?

Nous touchons, je crois, à la décifion du conseil fur l'affaire des Calas. Eft-il vrai qu'il faudra préalablement faire venir les pièces de Toulouse? ne fera-ce pas plutôt après la révision ordonnée que le parlement de Toulouse fera obligé d'envoyer la procédure?

Au refte, mes frères, gardez-vous bien de m'imputer le petit livret fur la tolérance, quand il paraîtra. Il ne fera point de moi, et ne doit point en être. Il eft de quelque bonne ame qui aime la perfécution comme la colique.

Si l'Hiftoire du Languedoc arrive à temps, elle pourra fervir aux Calas, en fourniffant un petit réfumé des horreurs vifigothes-languedochiennes.

Frère Thiriot fe tue à écrire; dites-lui qu'il fe ménage. Cependant, raillerie à part, je lui pardonne s'il mange bien, s'il dort bien, et furtout fi fon frère m'écrit.

J'embraffe tous les frères. Ma fanté est pitoyable. Ecr. l'inf.

P. S. Il y a un petit mémoire incendié d'un pré1763. fident au mortier ou à mortier, frère peu sensé de l'infenfé d'Argens. Je ne hais pas à voir les claffes du parlement fe brûler les unes les autres en cérémonie; cela me paraît fort plaifant, et digne de notre profonde nation: mais vous me feriez furtout un plaifir extrême de m'envoyer, par la première pofte, le mémoire du préfident au mortier.

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Je fuis ravi, mon cher rabbi, de l'intérêt que vous prenez à la chose. Je fens bien que je marche fur des charbons ardens: il faut toucher le cœur, il faut rendre l'intolérance abfurde, ridicule et horrible; mais il faut refpecter les préjugés.

Il eft bien difficile, en montrant les fruits amers qu'un arbre a portés, de ne pas donner lieu de penser que l'arbre ne vaut rien; on a beau dire que c'est la faute des jardiniers, bien des gens fentent que c'eft à l'arbre qu'il faut s'en prendre.

Au refte, il y a, dans le Contrains-les d'entrer de Bayle, des chofes beaucoup plus hardies. A peine s'en eft-on aperçu, parce que l'ouvrage eft long et abftrus. Ceci eft court et à la portée de tout le monde; ainfi je dois être très-circonspect.

J'ai beaucoup ajouté, beaucoup retranché, corrigé,

refondu. La crainte de déplaire eft l'éteignoir de l'imagination. Il faudrait que vous vinffiez rallumer 1763. la mienne avec votre ami; nous tiendrions ensemble un petit conciliabule de tolérance. Je voudrais qu'en infpirant la modération l'ouvrage fût modéré. Gardez-moi un profond fecret, mes frères. Il ne faut pas que mon nom paraiffe; je n'ai bruit.

pas bon

Tenez, voilà un petit chapitre pour vous amufer: renvoyez-le, ou plutôt rapportez-le, et raisonnons.

J'ai donné, à tout hafard, une lettre pour M. le baron de Breteuil, parce qu'il faut que je faffe tout ce que vous m'ordonnez. Il y a environ trente ans que je ne l'ai vu, mais cela n'y fait rien on eft impudent avec bienféance, quand il s'agit de rendre fervice et de vous obéir.

La Lettre à Chriftophe me donne la pepie. Je ne dormirai point que je n'aye vu la Lettre à Chriftophe : avez-vous lu la Lettre à Chriftophe? pouvez-vous me faire avoir la Lettre à Chriftophe ? où trouve-t-on la Lettre à Chriftophe?

Bonsoir, mon cher philofophe; mes respects à Arius.

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