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même; on ne fait ni on ne foutient de fiége, fans 1764. quelques dépenfes et quelques fecours préalables.

J'ajoute encore qu'on peut prendre et fauver des villes et des provinces, et faire de très-grandes fautes. Vous en reprochez d'importantes à M. Dupleix, qui en a reproché à M. de la Bourdonnaie, lequel en a reproché à d'autres. Le fieur Amat eft accufé de ne s'être pas oublié à Madrass, et le fieur Amat a accusé plufieurs perfonnes de ne s'être pas oubliées ailleurs. Enfin, votre général eft à la bastille; c'eft donc vous, bien plus que moi, qui vous plaignez de brigandages.

Il y en a donc eu; les lois divines et humaines permettent donc de le dire. Ces brigandages ne peuvent avoir été commis que dans l'Inde où vos nababs donnent des exemples peu chrétiens, et où les jefuites font des lettres de change.

Il résulte de tout cela que l'administration dans l'Inde a été extrêmement malheureuse, et je pense que notre malheur vient en partie de ce qu'une compagnie de commerce dans l'Inde doit être néceffairement une compagnie guerrière. C'est ainsi que les Européans y ont fait le commerce depuis les Albuquerque. Les Hollandais n'y ont été puiffans que parce qu'ils ont été conquérans. Les Anglais, en dernier lieu, ont gagné, les armes à la main, des fommes immenfes que nous avons perdues; et j'ai peur qu'on ne foit malheureufement réduit à être oppreffeur ou opprimé. Une des caufes principales de nos défaftres, eft encore d'être venus les derniers en tout, à l'occident comme à l'orient, dans le commerce comme dans les arts; de n'avoir jamais fait les chofes qu'à demi. Nous avons perdu nos

poffeffions et notre argent dans les deux Indes, précifément de la même manière dont nous perdîmes 1764. autrefois Milan et Naples.

Nous avons été toujours infortunés au dehors. On nous a pris Pondichéri deux fois, Québec quatre; et je ne crois pas que de long-temps nous puiffions tenir tête, en Afie et en Amérique, aux nations nos rivales.

Je ne fais, Monfieur, comment l'éditeur du livre dont vous me faites l'honneur de me parler, a mis huit lieues au lieu de vingt-huit, pour marquer la distance de Pondichéri à Madrafs. Pour moi, je voudrais qu'il y en eût deux cents, nous ferions plus loin des Anglais.

Je vous avoue, Monfieur, que je n'ai jamais conçu comment la compagnie d'occident avait prêté réellement cent millions au roi, en 1717. Il faudrait qu'elle eût trouvé la pierre philofophale. Je fais qu'elle donna du papier; et je vous avoue que j'ai toujours regardé l'affignation de neuf millions, que le roi nous donne par an, comme un bienfait. Je ne fuis pas directeur, mais je fuis intéreffé à la chose, et je dois au roi ma part de la reconnaissance.

Je fuis fâché que nous ayons eu quatre cents cinquante canons à Pondichéri, puifqu'on nous les a pris. Les Hollandais en ont davantage, et on ne les leur prend point, et ils profpèrent, et leurs actionnaires font payés fur le gain réel de la compagnie. Je fouhaite que nous en faffions beaucoup, que nous dépenfions moins, et que nous ne nous mêlions de faire des nababs que quand nous aurons affez de troupes pour conquérir l'Inde.

Au refte, Monfieur, ne vous comparez point aux

1764.

Juifs. On peut faire des complimens à un honnête et eftimable juif, fans être extrêmement attaché à la femence d'Abraham; mais, quand je vous dirai que je fuis très-attaché à votre perfonne, et que je regarde tous les directeurs de notre compagnie comme des hommes dignes de la plus grande confidération, je ne vous ferai pas un vain compliment.

Je fais qu'on travaille actuellement à des recherches hiftoriques affez curieuses. On doit y inférer un chapitre fur la compagnie des Indes. On m'affure que vous en ferez content; et, fi vous voulez avoir la bonté de fournir quelques mémoires curieux à la même perfonne à qui vous avez bien voulu envoyer votre paquet, on ne manquera pas d'en faire usage. Celui qui y travaille n'a pour objet que la vérité et fon plaifir; il vous aura double obligation.

J'ai l'honneur d'être avec tous les fentimens que je vous dois, &c.

LETTRE CCXCVIII.

A

M.

DAMILA VILLE.

ES

31 de décembre.

Les gens de bien, et furtout mon cher frère,
LES
doivent favoir que Jean-Jacques a fait un gros libelle
contre la parvuliffime république de Genève, dans
l'intention de foulever le peuple contre les magistrats
Le confeil de Genève eft occupé à examiner le livre,
et à voir quel parti il convient de prendre.

Dans ce libelle, J. J., fâché qu'on ait brûlé Emile, m'accufe d'être l'auteur du Sermon des cinquante. Ce 1764. procédé n'eft pas assurément d'un philosophe ni d'un honnête homme. Je voudrais bien favoir ce qu'en penfe M. Diderot, et s'il ne fe repent pas un peu des louanges prodiguées à Jean-Jacques dans l'Encyclopédie. Vous remarquerez que, pendant que J. J. fefait cette belle manoeuvre à Genève, il fefait imprimer le Sermon des cinquante, et d'autres brochures, par fon libraire d'Amfterdam, Marc-Michel Rey, fous le titre de Collection complète des œuvres de M. de V. Cela peut être adroit, mais cela n'est pas honnête.

Mon cher frère avait bien raifon de me dire, quand Jean-Jacques maltraita fi fort les philofophes dans fon roman d'Emile, que cet homme était l'opprobre du parti. Je prie mon cher frère de me mander s'il a reçu le paquet du médecin anglais. Ce médecin aurait dû faire l'opération de la transfufion à J. J., et lui mettre d'autre fang dans les veines; celui qu'il a eft un compofé de vitriol et d'arfenic. Je le crois un des plus malheureux hommes qui foient au monde, parce qu'il eft un des plus méchans.

Omer travaille à un réquifitoire pour le Dictionnaire philofophique. On continue toujours à m'attribuer cet ouvrage auquel je n'ai point de part. Je crois que mon neveu, qui eft confeiller au parlement, l'empêchera de me défigner.

Voilà, mon cher frère, toutes les nouvelles que je fais. La philofophie eft comme l'ancienne Eglife, il faut qu'elle fache fouffrir pour s'affermir et pour

s'étendre.

Je crois qu'on commence aujourd'hui l'édition de
1764. la Deftruction. C'eft un livre qui ne fera point brûlé,
mais qui fera autant de bien que s'il l'avait été.

J'embraffe tendrement mon cher frère, et je me
recommande à fes prières, dans les tribulations où
les méchans m'ont mis. Les orages font venus des
quatre coins du monde, et ont fondu fur ma petite
barque que j'ai bien de la peine à fauver.

Fin du Tome feptième.

TABLE

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