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auffi que ce C*** s'est conduit de la manière la plus gauche. Enfin il n'était point aimé, et notre petit 1763. Dupuits l'eft; il n'y a pas à répondre à cela.

Je ne ceffe d'importuner mes anges, et de leur demander pardon de mes importunités; c'est ma deftinée. Mais que M. d'Argental me parle donc de fes yeux! car, comme je fuis en train de perdre les miens, je voudrais favoir en quel état les fiens fe trouvent. Il ne m'en dit jamais mot, cela vaut pourtant la peine qu'on en parle.

LETTRE XVIII.

A M. THIROUX DE CROSNE,

MAITRE DES REQUETES, &c.

A Ferney, le 30 de janvier.

MONSIEUR,

Je m

E me crois autorifé à prendre la liberté de vous écrire; l'amour de la vérité me l'ordonne.

Pierre Calas, accufé d'un fratricide, et qui en ferait indubitablement coupable fi fon père l'eût été, demeure auprès de mes terres je l'ai vu fouvent. Je fus d'abord en défiance; j'ai fait épier, pendant quatre mois, fa conduite et fes paroles; elles font de l'innocence la plus pure, et de la douleur la plus vraie. Il eft prêt d'aller à Paris, ainfi que fa mère qui n'a pu ignorer le crime, fuppofé qu'il ait été

1763.

commis, qui, dans ce cas, en ferait complice, et dont vous connaissez la candeur et la vertu.

Je dois, Monfieur, avoir l'honneur de vous parler d'un fait dont les avocats n'étaient point inftruits; vous jugerez de fon importance.

La fervante catholique, qui a élevé tous les enfans de Calas, eft encore en Languedoc; elle fe confesse et communie tous les huit jours: elle a été témoin que le père, la mère, les enfans et Lavaiffe ne se quittèrent point dans le temps qu'on fuppofe le parricide commis. Si elle a fait un faux ferment en juftice, pour fauver fes maîtres, elle s'en eft accufée dans la confeffion; on lui aurait refufé l'abfolution, elle ne communierait pas. Ce n'eft pas une preuve juridique, mais elle peut fervir à fortifier toutes les autres; et j'ai cru qu'il était de mon devoir de vous en parler.

L'affaire commence à intéreffer toute l'Europe. Ou le fanatifme a rendu une famille entière coupable d'un parricide, ou il a fafciné les yeux des juges, jufqu'à faire rouer un père de famille innocent; il n'y a pas de milieu. Tout le monde s'en rapportera à vos lumières et à votre équité.

J'ai l'honneur d'être avec refpect, &c.

LETTRE XIX.

A M. DA MILA VILLE.

1763.

I de février.

J'AI pris la liberté, mon cher frère, d'écrire à

M. d'Agueffeau et à M. de Crofne la lettre dont je vous envoie copie. Je ne fais fi MM. de Beaumont, Mariette et Loyfeau ne feraient pas bien de préfenter requête contre l'infolence du préfidial de Montpellier, qui a fait faifir leurs factums. Il me femble que c'est outrager à la fois le confeil à qui on les a préfentés, et les avocats qui les ont faits. Si les avocats n'ont pas le droit de plaider, il n'y aura donc plus ni droit ni loi en France. Je m'imagine que ces trois meffieurs ne fouffriront pas un tel outrage. Il n'appartient qu'aux juges devant qui l'on plaide, de fupprimer un factum, en le déclarant injurieux et abufif; mais ce n'est pas affurément aux parties à fe faire juftice elles-mêmes. J'efpère furtout que cette démarche du préfidial de Montpellier, commandée par le parlement de Toulouse, fera une excellente pièce en faveur des Calas. On ne doit plus regarder les juges du Languedoc que comme des criminels qui cherchent à écarter les preuves de leur crime des yeux de leur province.

Je ferais bien fâché, mon cher frère, que le libraire Cramer eût apporté un exemplaire de l'Effai fur les mœurs à Paris, s'il l'avait dépofé en d'autres mains que les vôtres; non-feulement il y manque les cartons

néceffaires pour les fautes d'impreffion, mais pour 1763. les miennes. Nous étions convenus, malgré la loi

de l'hiftoire, de fupprimer des vérités, et furtout celles dont vous me parlez; les corrections font faites, mais elles ne font pas placées dans les quatre tomes qui font entre vos mains. Donnez-vous, à votre loifir, mon cher frère, le plaifir ou le dégoût de les parcourir; et, fi vous y trouvez quelque vérité qu'il faille encore immoler aux convenances, ayez la

bonté de m'en avertir.

Que cette édition foit munie ou non d'une permiffion, qu'elle entre ou non dans le royaume, c'est l'affaire des Cramer, et non la mienne; je leur ai fait préfent du manufcrit: ils entendent affez bien leurs intérêts pour débiter leur marchandise.

Catherine s'immortalife par fa lettre, et frère d'Alembert par les refus. Ainfi donc, on avertit de mille lieues notre ministère, que nous avons dans notre patrie des hommes d'un génie supérieur.

C'est une aventure affez comique que celle que j'ai eue avec Pindare-le-Brun, en vous envoyant un paquet pour lui, dans le temps que vous me dépêchiez fes rabâchages contre moi. Je lui fais part, dans ce paquet, du mariage de mademoiselle Corneille, qui eft le fruit de fa belle ode; je lui envoie des lettres pour mesdemoiselles de Vilgenou et Félix, nièces de M. du Tillet, qui, les premières, tirèrent mademoiselle Corneille de fon état malheureux, et auxquelles elle doit une reconnaiffance éternelle. Je l'accable de politeffes qui doivent lui tenir lieu de châtiment.

Je vous embraffe bien cordialement, mon cher frère. Ecr. l'inf.

Je r'ouvre ma lettre pour fupplier mon frère de faire parvenir mon certificat de vie à M. de Laleu, notaire; car enfin je fuis en vie encore, et c'est affurément pour vous aimer.

LETTRE X X.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

A Ferney, 6 de février.

Nous commençons par dire que nos anges font

toujours auffi injuftes qu'adorables. Ils ont condamné Marie Corneille pour n'avoir point écrit depuis longtemps à père et mère, à mesdemoiselles de Vilgenou et de Félix, et même à l'étonnant le Brun; et cependant Marie avait rempli tous fes devoirs, fans oublier même ce le Brun.

Nos anges gardiens condamnent ladite Marie pour n'avoir point demandé le confentement de père et mère, à son mariage; et nos anges doivent avoir entre leurs mains la lettre de Marie à père et mère, accompagnée de la mienne.

Nos anges ont condamné M. Dupuits pour n'avoir point écrit au beau-père et à la belle-mère futurs ; et la lettre de M. Dupuits doit avoir été adreffée à nos anges mêmes M. Dupuits m'affure qu'il a pris cette liberté.

Il ne nous manque que de favoir la demeure du père Corneille; car, jufqu'à ce que nous foyons inftruits, nous ne pouvons mettre qu'à monfieur, monfieur Corneille, dans les rues.

1763.

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