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1763.

l'Hiftoire générale jufqu'à cette paix dont nous avions tant befoin. Vous fentez bien que je n'entre pas dans le détail des opérations militaires ; je n'ai jamais pu fupporter ces minuties de carnage. Toutes les guerres fe reffemblent à peu près : c'est comme fi on fesait l'hiftoire de la chaffe, et que l'on fupputât le nombre des chiens mangés par les loups. J'aime bien mieux vos lettres militaires, où il s'agit des principes de l'art. Cet art eft, à la vérité, fort vilain, mais il eft néceffaire. Le prince Louis de Virtemberg, que vous avez vu à Berlin, a renoncé à cet art comme au roi de Pruffe, et eft venu s'établir dans mon voifinage. Nous avons des neiges, j'en conviens; mais nous ne manquons pas de bois. On a des théâtres chez foi, fi on en manque à Genève; on fait bonne chère, on eft le maître de fon château, on ne paye de tribut à perfonne; cela ne laiffe pas de faire une position assez agréable. Vous qui aimez à courir, je voudrais que vous allaffiez de Pise à Gènes, de Gènes à Turin, et de Turin dans mon hermitage: mais je ne fuis pas affez heureux pour m'en flatter.

Buona notte, caro cigno di Pifa.

LETTRE IX.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

A Ferney, 20 de janvier.

J'ENVOIE à mes anges la copie d'une lettre d'une

brave et honnête religieufe de Toulouse. Cette lettre me paraît bien favorable pour nos pauvres Calas; et, quoique la religieufe avoue que mademoiselle Calas fera damnée dans l'autre monde, elle avoue qu'elle et toute fa famille méritent beaucoup de protection dans celui-ci.

Il y a long-temps que mes anges ne m'ont parlé de cette importante affaire; j'ose espérer que la révifion fera inceffamment accordée. Si mes anges veulent avoir la bonté de m'envoyer les chanfons du roi David, traduites par ce Laugeois, ci-devant directeur des fermes, je lirai avec componction les pfaumes pénitentiaux, attendu que je fuis malade.

Je ne fais point de nouvelles du tripot; j'ignore s'il y a des tragédies, des comédies nouvelles mes anges m'abandonnent. Peut-être aurai-je demain la confolation de recevoir une de leurs lettres. En attendant, je baise le bout de leurs ailes avec toute l'humilité poffible, et j'ai toujours pour eux le culte de dulie. Savez-vous ce que c'est que le culte de dulie, mes anges

?

1763.

1763.

LETTRE X.

A M. ELIE DE BEAUMONT.

A Ferney, le 21 de janvier.

NOTRE ami commun, M. Damilaville, m'avait

envoyé, Monfieur, votre très-beau et très-folide dif cours, et je ne croyais pas l'avoir. Le titre m'avait trompé; je viens enfin de m'apercevoir de mon erreur. J'ai vu votre nom à la trente-cinquième page, et je vous ai lu avec un plaifir extrême. Tout célibataire que je fuis, j'avoue que vous faites très-bien de prêcher le mariage: je fuis auffi fort de votre avis fur les défrichemens. Je me fuis avifé de défricher, ne m'étant pas avifé de peupler mais voici comme je m'y fuis pris. J'ai affemblé les propriétaires des terres abandonnées, et je leur ai dit: Mes amis, je vais défricher à mes frais, et quand la terre fera en valeur, nous partagerons.

Je n'ai point fait de citoyens, mais j'ai fait de la

terre.

Je me flatte, Monfieur, que vous ferez célèbre pour avoir fait une bien meilleure action, pour avoir fait rendre juftice à l'innocence opprimée et rouée. Vous avez vu, fans doute, la lettre de la religieufe de Toulouse; elle me paraît importante; et je vois avec plaifir que les fœurs de la Vifitation n'ont pas le cœur fi dur que meffieurs. J'espère que le conseil penfera comme la dame de la Vifitation.

Si vous voyez M. de Cideville, je vous prie de lui

dire combien je l'aime. C'eft un fentiment que vos ouvrages m'infpirent pour vous, qui fe joint bien 1763. naturellement à l'eftime infinie avec laquelle j'ai l'honneur d'être, &c.

LETTRE X I.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

DIVI

23 de janvier.

IVINS anges, vous peignez les feigneurs genevois du pinceau de Rigault : nous verrons fi le prince fera donner de bons ordres pour les foufcriptions.

:

Je me hâte de juftifier mademoiselle Corneille, que vous accufez avec toutes les apparences de raison. Or vous favez qu'il ne faut pas toujours condamner les filles fur les apparences. Il eft vrai qu'elle a fait plus de progrès dans la comète et le trictrac que dans l'orthographe, et qu'elle met la comète pour neuf plus aifément qu'elle n'écrit une lettre mais le fait eft qu'à l'aide de madame Denis, qui lui fert en tout de mère, elle eft venue à bout d'écrire à fon père, à sa mère et à mesdemoiselles Felix et de Vilgenou. Nous avons chargé du paquet, il y a longtemps, un citoyen de Genève; c'eft M. Miqueli, breveté de colonel fuiffe, qui s'en allait à Paris à petites journées. Elle ne fait point la demeure de fon père; je crois auffi que mefdemoiselles Felix et de Vilgenou ont changé d'habitation: en un mot, on a écrit, cela eft certain.

1763.

A préfent disons un petit mot du tripot.

Des préfaces à Zulime, vous en aurez, mes anges, et c'est à mon grand regret; car, fans me flatter, Zulime eft un Bajazet tout pur, fans qu'il y ait un Acomat. Je fuis plus difficile que vous ne penfez. Figurez-vous que, quand j'envoyai Olimpie pour être jouée à Manheim, je fefais correction fur correction, changement fur changement, carton fur carton, vers fur vers, précisément comme autrefois j'allais donner à mademoiselle Defmares des corrections par le trou de la ferrure.

Donnez-moi quelques jours de délai encore; car je n'ai pas le temps de me reconnaître je vous l'ai déjà dit; vous ne me plaignez point. Je fuis vieux comme le temps, faible comme un roseau, accablé d'une douzaine de fardeaux. Figurez-vous un ver à foie, qui s'enterre dans fa coque en filant; voilà mon état un peu de pitié, je vous prie.

Voilà un bien digne homme que M. le duc de Praflin! je fuis à fes pieds; je vois que fon bon efprit a été convaincu par les raisons des avocats, et que fon cœur a été touché. Mais, quoi! cette affaire fera donc portée à tout le confeil, après avoir été jugée au bureau de M. d'Agueffeau? Je n'entends rien aux rubriques du confeil. A propos de confeil, favez-vous que je crois le mémoire de Mariette le meilleur de tous pour inftruire les juges? Les autres ont plus d'itos et de pathos, mais celui-là va au fait plus judiciairement en un mot, tous les trois font fort bons. Il y en a encore un quatrième que je n'ai pas vu.

Voici bien autre chose. Je marie mademoiselle

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