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était de voyager en Italie avec cet argent. Il nous avoua qu'il avait cru que mademoiselle Corneille était 1763. élevée dans notre maifon comme une perfonne qu'on a prise par charité. Il lui parla comme Arnolphe, à cela près qu'Arnolphe aimait, et que le futur n'aimait point. Il fut un peu furpris de voir que mademoifelle Corneille était élevée, et mife, et confidérée chez nous, comme le ferait une fille de la première diftinction qu'on nous aurait confiée. Nous rectifiâmes, madame Denis et moi, les idées de notre homme. Cependant, l'affaire s'ébruitait, comme je vous l'ai mandé; il fallait prendre un parti. M. de C*** nous apprit lui-même que fes parens n'étaient ni si vieux, fi ni fi riches qu'on nous l'avait dit; mais il attendait toujours le confentement. M. Micault nous affurait qu'il était honnête homme, quoiqu'un peu dur, entier et bizarre. Il devait avoir un jour cinq mille livres de rente; mais, en attendant, il n'avait rien du tout. Dans cette perplexité, et furtout dans l'idée que vous vouliez bien vous intéreffer à sa perfonne, nous crûmes ne pouvoir mieux faire que de tâcher de lui procurer, par votre protection, la place que vous favez. Cet emploi était précisément à notre porte; les terres de fon père font affez voifines des nôtres; rien ne nous paraiffait plus convenable pour notre fituation. Nous favions que cette place dépend abfolument de votre ami, qu'on la donne à qui l'on veut, que ce n'est point d'ordinaire une récompense de fecrétaire d'ambaffade, puifque ni le préfent titulaire (qu'on aurait pu placer ailleurs), ni Champo fon prédéceffeur, ni Clofure, ni aucun de ceux qui ont eu cet emploi, n'ont été fecrétaires d'ambaffade.

1763.

Nous vous repréfentons tout cela, non pas pour défapprouver les arrangemens que M. le duc de Praflin a pris, et que nous trouvons très-juftes, mais feulement pour juftifier notre démarche auprès de vous; démarche qui n'a été fondée que fur la perfuafion où nous devions être par les difcours du prétendu, et par la copie de mes lettres dont il était armé, que vous fouhaitiez ce mariage. La feule manière d'y parvenir était d'obtenir la place que nous demandions; car le père ne voulant abfolument rien. donner, le fils n'ayant que des dettes, et n'ayant précisément pas de quoi vivre à la réforme de fa compagnie, quel autre moyen pouvions-nous imaginer? Nous n'avons pas laiffé d'avoir quelque peine à faire partir ce jeune homme qui, fans avoir le moindre goût pour mademoiselle Corneille, voulait abfolument refter chez nous, uniquement pour avoir un afile. Toute cette aventure a été affez trifte. Il est vraisemblable que M. de C*** a toujours caché à M de Valbelle et à mademoiselle Clairon l'état de fes affaires, fans quoi nous ferions en droit de penser que ni l'un ni l'autre n'ont eu pour nous beaucoup d'égards. Nous ferions d'autant plus autorifés dans nos foupçons, que mademoiselle Clairon ayant dit qu'elle allait marier mademoiselle Corneille, le Kain nous écrivit qu'elle épouferait un comédien, et nous en félicitait. J'eftime les comédiens quand ils font bons, et je veux qu'ils ne foient ni infames dans ce monde, ni damnés dans l'autre ; mais l'idée de donner la coufine de M. de la Tour-du-Pin à un comédien, eft un peu révoltante, et cela paraissait tout fimple à le Kain. En ⚫ voilà beaucoup, mes anges, fur cette trifte aventure:

nous

nous nous en fommes tirés très-honorablement; et la conduite de mademoiselle Corneille n'a donné 1763. aucune prife à la malignité des Genevois ni des français qui font à Genève; car il y a des malins par-tout.

Mais eft-il vrai que le fou de Verberie qu'on a pendu était un jefuite? aurez-vous la bonté de me faire lire le difcours du fou au mortier ? M. de la Salle, ce M. de la Salle, confeiller de Toulouse, qui était fi perfuadé de l'innocence des Calas, et qui les a fait rouer en se récufant, eft-il à Paris? eft-il venu chez vous?

Le beau Cramer, qui fait par ouï-dire qu'il imprime le Corneille, eft - il venu s'entretenir avec vous des intérêts des princes? favez-vous à présent à quoi vous en tenir fur les fouscriptions? favez-vous que ni madame de Pompadour, ni prince, ni feigneur, n'ont donné un écu? n'êtes-vous pas fatigué de mes longues lettres ? ne pardonnez-vous pas à votre créature V. ?

VOYEZ,

LETTRE VI I.

AU MEME.

17 de janvier.

OYEZ, mes anges, fi ceci vous amufera, et s'il amufera M. le duc de Praflin. Les laquais des français et des anglais, ou bien des anglais et des français, qui font à Genève, ont voulu donner un bal aux filles en l'honneur de la paix. Les maîtres ont prodigué Tome VII.

Correfp. générale.

B

l'argent; on a fait des habits magnifiques, des car1763. touches aux armes de France et d'Angleterre, des fufées, des confitures; on a fait venir des gélinotes et des violons de vingt lieues à la ronde, des rubans, des nœuds d'épaules; et vive MM. le duc de Praflin et de Bedfort, deffinés dans l'illumination d'un beau feu d'artifice. Les perruques carrées de Genève ont trouvé cela mauvais; elles ont dit que Calvin défendait le bal expreffément; qu'ils favaient mieux l'Ecriture que M. le duc de Praflin; que d'ailleurs, pendant la guerre, ils vendaient plus cher leurs marchandifes de contrebande: en un mot, toutes les dépenfes étant faites, ils ont empêché la cérémonie.

Alors la bande joyeuse a pris un parti fort fage: vous allez croire que c'eft de mettre le feu à la ville de Genève, point du tout; les deux partis font allés célébrer leur orgie fur le territoire de France (il n'y a pas bien loin). Rien n'a été plus gai, plus fplendide et plus plaifant. Cela ne vous paraîtra peut-être pas fi agréable qu'à nous; mais nous fommes de ces gens férieux que les moindres chofes amufent.

Je me flatte que mes anges ont reçu mon teftament en faveur de mademoiselle d'Epinay, par lequel je lui donne et lègue les rôles d'Acante et de Nanine. Si elle veut encore celui de Life, dans l'Enfant prodigue, je le lui donne par un codicille, révoquant à cet effet tous les teftamens antérieurs.

Qu'est-ce que c'eft que le vieux Dupuis?

On dit que la pièce eft de Collé. Si cela eft, elle doit être extrêmement gaie, comme toute honnête comédie doit être; car, pour les comédies où il n'y a pas le mot pour rire, c'eft une infamie que je ne

pardonnerai jamais à cette folle de Quinault, qui mit à la mode ce monftre fi oppofé à fon caractère. Dieu vous ait, mes bons anges, en fa fainte et digne garde!

Refpect et tendresse.

LETTRE VIII.

A M. LE COMTE ALGAROTTI.

A Ferney, 17 de janvier.

Mon cher cygne de Padoue, fi le climat de

Bologne eft auffi dur et auffi froid que le mien pendant l'hiver, vous avez très-bien fait de le quitter pour aller je ne fais où car je n'ai pas pu lire l'endroit d'où vous datez, et je vous écris à Venife, ne doutant pas que la lettre ne vous foit rendue où vous êtes. Pour moi, je refte dans mon lit, comme Charles XII, en attendant le printemps. Je ne suis pas étonné que vous ayez des lauriers dans la campagne où vous êtes; vous en feriez naître à Pétersbourg.

En relifant votre lettre, et en tâchant de la déchiffrer, je vois que vous êtes à Pise, ou du moins je crois le voir. C'eft donc un beau pays que Pife? Je voudrais bien vous y aller trouver; mais j'ai bâti et planté en Laponie; je me fuis fait lapon, et je mourrai lapon.

Je vous enverrai inceffamment le deuxième tome de czar Pierre. Je me fuis d'ailleurs amufé à pouffer

1763.

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