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ZAÏRE,

TRAGEDIE.

Représentée, pour la première fois, le 13 augufte 1732.

Théâtre. Tome II.

A

AVERTISSEMENT.

CEUX qui aiment l'histoire littéraire seront

bien aife de favoir comment cette pièce fut faite. Plufieurs dames avaient reproché à l'auteur qu'il n'y avait pas affez d'amour dans fes tragédies; il leur répondit qu'il ne croyait pas que ce fût la véritable place de l'amour ; mais que puifqu'il leur fallait abfolument des héros amoureux, il en ferait tout comme un autre. La pièce fut achevée en vingt-deux jours elle eut un grand fuccès. On l'appelle à Paris tragédie chrétienne, et on l'a jouée fort fouvent à la place de Polyeucte.

A M. FALKENER,

Négociant anglais, depuis ambaffadeur à Conftantinople.

Vous êtes anglais, mon cher ami, et je fuis né

en France; mais ceux qui aiment les arts font tous concitoyens. Les honnêtes gens qui penfent ont à peu près les mêmes principes, et ne composent qu'une république : ainfi, il n'est pas plus étrange de voir aujourd'hui une tragédie française dédiée à un anglais, ou à un italien, que fi un citoyen d'Ephèse ou d'Athènes avait autrefois adreffé fon ouvrage à un grec d'une autre ville. Je vous offre donc cette tragédie comme à mon compatriote dans la littérature, et comme à mon ami intime.

Je jouis en même temps du plaifir de pouvoir dire à ma nation, de quel œil les négocians font regardés chez vous; quelle eftime on fait avoir en Angleterre pour une profeffion qui fait la grandeur de l'Etat; et avec quelle fupériorité quelques-uns d'entre vous représentent leur patrie dans leur parlement, et font au rang des législateurs.

Je fais bien que cette profeffion est méprisée de nos petits - maîtres ; mais vous favez auffi que nos petits-maîtres et les vôtres font l'efpèce la plus ridicule qui rampe avec orgueil fur la furface de la terre.

Une raifon encore qui m'engage à m'entretenir de belles-lettres avec un anglais plutôt qu'avec un

autre, c'eft votre heureuse liberté de penfer; elle en communique à mon efprit; mes idées fe trouvent plus hardies avec vous.

Quiconque avec moi s'entretient,
Semble difpofer de mon ame:
S'il fent vivement, il m'enflamme;
Et s'il eft fort, il me foutient.
Un courtisan pétri de feinte,
Fait dans moi triftement paffer
Sa défiance et fa contrainte;
Mais un efprit libre et fans crainte
M'enhardit et me fait penser.

Mon feu s'échauffe à sa lumière,
Ainfi qu'un jeune peintre, inftruit
Sous le Moine et fous Largillière,
De ces maîtres qui l'ont conduit,
Se rend la touche familière;
Il prend malgré lui leur manière,
Et compofe avec leur efprit.
C'eft pourquoi Virgile se fit
Un devoir d'admirer Homère;
Il le fuivit dans fa carrière,
Et fon émule il fe rendit,
Sans fe rendre fon plagiaire.

Ne craignez pas qu'en vous envoyant ma pièce, je vous en faffe une longue apologie : je pourrais vous dire pourquoi je n'ai pas donné à Zire une vocation plus déterminée au chriftianifme, avant qu'elle reconnût fon père, et pourquoi elle cache fon fecret à fon amant, &c.; mais les efprits fages

!

qui aiment à rendre justice, verront bien mes raisons fans que je les indique: pour les critiques déterminés, qui font difpofés à ne me pas croire, ce ferait peine perdue que de les leur dire.

Je me vanterai feulement avec vous d'avoir fait une pièce affez fimple, qualité dont on doit faire cas de toutes façons.

Cette heureufe fimplicité

de carnages,

Fut un des plus dignes partages
De la favante antiquité.
Anglais, que cette nouveauté
S'introduife dans vos ufages.
Sur votre théâtre infecté
D'horreurs, de gibets,
Mettez donc plus de vérité,
Avec de plus nobles images.
Addiffon l'a déjà tenté;
C'était le poëte des fages,
Mais il était trop concerté;
Et dans fon Caton fi vantė,
Ses deux filles, en vérité,
Sont d'infipides personnages.
Imitez du grand Addiffon
Seulement ce qu'il a de bon;
Poliffez la rude action.
De vos Melpomènes fauvages,
Travaillez pour les connaiffeurs
De tous les temps, de tous les âges;
Et répandez dans vos ouvrages
La fimplicité de vos mœurs.

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