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Il ne faut point imputer à notre nation une groffièreté fi honteuse, dont les peuples les moins civilifés rougiraient. Les magiftrats qui veillent parmi nous fur les mœurs, et qui font continuellement occupés à réprimer le scandale, furent furpris alors; mais le mépris et l'horreur du public pour l'auteur connu de cette indignité, font une nouvelle preuve de la politeffe des Français.

Les vertus qui forment le caractère d'un peuple font fouvent démenties par les vices d'un particulier. Il y a eu quelques hommes voluptueux à Lacédémone. Il y a eu des efprits légers et bas en Angleterre. Il y a eu dans Athènes des hommes fans goût, impolis et groffiers; et on en trouve dans Paris.

Oublions-les, comme ils font oubliés du public; et recevez ce second hommage: je le dois d'autant plus à un anglais, que cette tragédie vient d'être embellie à Londres. Elle y a été traduite et jouée avec tant de fuccès, on a parlé de moi fur votre théâtre avec tant de politeffe et de bonté, que j'en dois ici un remercîment public à votre nation.

Je ne peux mieux faire, je crois, pour l'honneur des lettres, que d'apprendre ici à mes compatriotes les fingularités de la traduction et de la représentation de Zaïre fur le théâtre de Londres.

Monfieur Hill, homme de lettres, qui paraît connaître le théâtre mieux qu'aucun auteur anglais,

cette indignité, et le public la fiffla. C'eft ce même Héraut à qui M. de Voltaire difait un jour: Monfieur, que fait-on à ceux qui fabriquent de fauffes lettres de cachet? - On les pend. - C'est toujours bien fait, en attendant qu'on traite de même ceux qui en fignent de vraies.

me

me fit l'honneur de traduire ma pièce, dans le deffein d'introduire fur votre fcène quelques nouveautés, et pour la manière d'écrire les tragédies, et pour celle de les réciter. Je parlerai d'abord de la représentation.

L'art de déclamer était chez vous un peu hors de la nature; la plupart de vos acteurs tragiques s'exprimaient fouvent plus en poëtes faifis d'enthoufiafme, qu'en hommes que la paffion inspire. Beaucoup de comédiens avaient encore outré ce défaut ; ils déclamaient des vers ampoulés, avec une fureur et une impétuofité, qui eft au beau naturel ce que les convulfions font à l'égard d'une démarche noble et aifée.

Cet air d'empreffement femblait étranger à votre nation; car elle eft naturellement fage, et cette fageffe eft quelquefois prife pour de la froideur par les étrangers. Vos prédicateurs ne se permettent jamais un ton de déclamateur. On rirait chez vous d'un avocat qui s'échaufferait dans fon plaidoyer. Les feuls comédiens étaient outrés. Nos acteurs et fur-tout nos actrices de Paris, avaient ce défaut, il y a quelques années ce fut mademoiselle le Couvreur qui les en corrigea. Voyez ce qu'en dit un auteur italien de beaucoup d'efprit et de fens.

"La legiadra Couvreur fola non trotta
" Per quella ftrada dove i fuoi compagni
" Van di galoppo tutti quanti in frotta,
"Se avvien ch'ella pianga, o che si lagni
"Senfa quegli urli spaventofi loro,

"Tu muove fi che in pianger l'accompagni.
Théâtre. Tome II.

B

Ce même changement que mademoiselle le Couvreur avait fait fur notre fcène, mademoiselle Cibber vient de l'introduire fur le théâtre anglais, dans le rôle de Zaïre. Chofe étrange, que dans tous les arts ce ne foit qu'après bien du temps qu'on vienne enfin au naturel et au fimple!

Une nouveauté qui va paraître plus fingulière aux Français, c'est qu'un gentilhomme de votre pays, qui a de la fortune et de la confidération, n'a pas dédaigné de jouer fur votre théâtre le rôle d'Orofmane. C'était un fpectacle affez intéressant de voir les deux principaux perfonnages remplis, l'un par un homme de condition, et l'autre par une jeune actrice de dix-huit ans, qui n'avait pas encore récité un vers en fa vie.

Cet exemple d'un citoyen qui a fait ufage de fon talent pour la déclamation, n'eft pas le premier parmi vous. Tout ce qu'il y a de furprenant en cela, c'eft que nous nous en étonnions.

Nous devrions faire réflexion que toutes les chofes de ce monde dépendent de l'ufage et de l'opinion. La cour de France a danfé fur le théâtre avec les acteurs de l'opéra, et on n'a rien trouvé en cela d'étrange, finon que la mode de ces divertiffemens ait fini. Pourquoi fera-t-il plus étonnant de réciter que de danfer en public? Y a-t-il d'autre différence entre ces deux arts, finon que l'un eft autant au-deffus de l'autre, que les talens où l'efprit a quelque part font au-deffus de ceux du corps? Je le répète encore, et je le dirai toujours aucun des beaux arts n'est méprisable;

et il n'eft véritablement honteux que d'attacher de la honte aux talens.

Venons à présent à la traduction de Zaïre, et au changement qui vient de fe faire chez vous dans l'art dramatique.

Vous aviez une coutume à laquelle M. Addiffon, le plus fage de vos écrivains, s'eft affervi lui-même : tant l'ufage tient lieu de raifon et de loi! Cette coutume peu raifonnable était de finir chaque acte par des vers d'un goût différent du refte de la pièce, et ces vers devaient néceffairement renfermer une comparaison. Phedre, en fortant du théâtre, fe comparait poëtiquement à une biche, Caton à un rocher, Cléopâtre à des enfans qui pleurent jusqu'à ce qu'ils foient endormis.

Le traducteur de Zaïre eft le premier qui ait ofé maintenir les droits de la nature contre un goût fi éloigné d'elle. Il a profcrit cet ufage; il a fenti que la paffion doit parler un langage vrai, et que le poëte doit fe cacher toujours pour ne laiffer paraître que le héros.

C'eft fur ce principe qu'il a traduit, avec naïveté et fans aucune enflure, tous les vers fimples de la pièce, que l'on gâterait fi on voulait les rendre beaux.

On ne peut défirer ce qu'on ne connaît pas.

***

J'euffe été près du Gange efclave des faux dieux,
Chrétienne dans Paris, Mufulmane en ces lieux.

***

Mais Orofmane m'aime, et j'ai tout oublié.

** *

Non, la reconnaissance est un faible retour,

Un tribut offenfant, trop peu fait

** *

fait pour

l'amour.

Je me croirais haï d'être aimé faiblement.

** *

Je veux avec excès vous aimer et vous plaire.

***

L'art n'eft pas fait pour toi, tu n'en as pas befoin.

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L'art le plus innocent tient de la perfidie.

Tous les vers qui font dans ce goût fimple et vrai, font rendus mot à mot dans l'anglais. Il eût été aisé de les orner, mais le traducteur a jugé autrement que quelques-uns de mes compatriotes: il a aimé, et il a rendu toute la naïveté de ces vers. En effet, le style doit être conforme au fujet. Alzire, Brutus et Zaïre demandaient, par exemple, trois fortes de verfifications différentes.

Si Bérénice fe plaignait de Titus, et Ariane de Théfée, dans le ftyle de Cinna; Bérénice et Ariane ne toucheraient point.

Jamais on ne parlera bien d'amour, fi l'on cherche d'autres ornemens que la fimplicité et la vérité.

Il n'eft pas question ici d'examiner s'il eft bien de mettre tant d'amour dans les pièces de théâtre. Je veux que ce foit une faute, elle eft et fera univerfelle; et je ne fais quel nom donner aux fautes qui font le charme du genre humain.

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