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leur place dans les temples à côté des grands poëtes.

Votre Oldfields (b) et fa devancière
Bracegirdle la minaudière,

Pour avoir fu dans leurs beaux jours
Réuffir au grand art de plaire,
Ayant achevé leur carrière,
S'en furent avec le concours
De votre république entière,
Sous un grand poêle de velours,
Dans votre église pour toujours,
Loger de fuperbe manière.
Leur ombre en paraît encor fière,
Et s'en vante avec les Amours :
Tandis que le divin Molière,
Bien plus digne d'un tel honneur
A peine obtint le froid bonheur
De dormir dans un cimetière ;
Et que l'aimable le Couvreur,
A qui j'ai fermé la paupière,
N'a pas eu même la faveur
De deux cierges et d'une bière,
Et que monfieur de Laubinière
Porta la nuit par charité

Ce corps autrefois fi vanté,
Dans un vieux fiacre empaqueté,
Vers le bord de notre rivière.

Voyez-vous pas à ce récit
L'Amour irrité qui gémit,

(b) Fameuse actrice mariée à un seigneur d'Angleterre.

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Qui s'envole en brisant fes armes,
Et Melpomène toute en larmes,
Qui m'abandonne, et fe bannit
Des lieux ingrats qu'elle embellit
Si long-temps de fes nobles charmes ?

Tout femble ramener les Français à la barbarie dont Louis XIV et le cardinal de Richelieu les ont tires. Malheur aux politiques qui ne connaiffent pas le prix des beaux arts! La terre eft couverte de nations auffi puiffantes que nous. D'où vient cependant que nous les regardons prefque toutes avec peu d'eftime? c'est par la raison qu'on méprise dans la fociété un homme riche, dont l'efprit eft fans goût et fans culture. Sur-tout ne croyez pas que cet empire de l'efprit, et cet honneur d'être le modèle des autres peuples foit une gloire frivole: ce font les marques infaillibles de la grandeur d'un peuple. C'eft toujours fous les plus grands princes que les arts ont fleuri, et leur décadence eft quelquefois l'époque de celle d'un Etat. L'hiftoire eft pleine de ces exemples; mais ce fujet me mènerait trop loin. Il faut que je finiffe cette lettre déjà trop longue, en vous envoyant un petit ouvrage qui trouve naturellement fa place à la tête de cette tragédie. C'eft une épître en vers à celle qui a joué le rôle de Zaïre je lui devais au moins un compliment pour la façon dont elle s'en eft acquittée :

Car le prophète de la Mecque,
Dans fon férail n'a jamais eu

Si gentille arabesque ou grecque;
Son œil noir, tendre et bien fendu,
Sa voix, et fa grâce intrinsèque,
Ont mon ouvrage défendu
Contre l'auditeur qui rebèque;
Mais quand le lecteur morfondu
L'aura dans fa bibliothèque,
Tout mon honneur fera perdu.

Adieu, mon ami; cultivez toujours les lettres et la philofophie fans oublier d'envoyer des vaiffeaux dans les Echelles du Levant. Je vous embrasse de tout mon cœur.

VOLTAIRE.

EPITRE

A

MADEMOISELLE GAUSSIN,

Jeune actrice, qui a représenté le rôle de Zaïre avec beaucoup de fuccès.

JEUNE

EUNE GAUSSIN, reçois mon tendre hommage;
Reçois mes vers au théâtre applaudis ;
Protége-les: ZAIRE eft ton ouvrage ;
Il est à toi, puifque tu l'embellis.

Ce font tes yeux, ces yeux fi pleins de charmes,
Ta voix touchante, et tes fons enchanteurs,
Qui du critique ont fait tomber les armes.
Ta feule vue adoucit les cenfeurs.
L'illufion, cette reine des cœurs,
Marche à ta fuite, inspire les alarmes,
Le sentiment, les regrets, les douleurs,
Et le plaifir de répandre des larmes.

Le dieu des vers qu'on allait dédaigner, ᎬᏁ par ta voix aujourd'hui sûr de plaire; Le dieu d'amour, à qui tu fus plus chère, Eft par tes yeux bien plus sûr de régner. Entre ces dieux désormais tu vas vivre: Hélas! long-temps je les fervis tous deux; Il en eft un que je n'ose plus fuivre.

Heureux cent fois le mortel amoureux

Qui tous les jours peut te voir et t'entendre, Que tu reçois avec un fouris tendre,

,

Qui voit fon fort écrit dans tes beaux yeux
Qui, pénétré de leur feu qu'il adore,
A tes genoux oubliant l'univers,

Parle d'amour, et t'en reparle encore:
Et malheureux qui n'en parle qu'en vers!

Au même M. FALKENER, alors ambaffadeur à Conftantinople.

Tirée d'une feconde édition de Zaïre. MON cher ami, car votre nouvelle dignité d'ambaffadeur rend feulement notre amitié plus respectable, et ne m'empêche pas de me fervir ici d'un titre plus facré que le titre de miniftre : le nom d'ami eft bien au-deffus de celui d'excellence. )

Je dédie à l'ambassadeur d'un grand roi et d'une nation libre, le même ouvrage que j'ai dédié au fimple citoyen, au négociant anglais. (a)

Ceux qui favent combien le commerce eft honoré dans votre patrie, n'ignorent pas auffi qu'un négociant y eft quelquefois un légiflateur, un bon officier, un miniftre public.

Quelques perfonnes, corrompues par l'indigne ufage de ne rendre hommage qu'à la grandeur, ont effayé de jeter un ridicule fur la nouveauté d'une dédicace faite à un homme qui n'avait alors que du mérite. On a ofé, fur un théâtre confacré au mauvais goût et à la médifance, infulter à. l'auteur de cette dédicace; et à celui qui l'avait reçue; on a ofé lui reprocher d'être (b) un négociant.

(a) Ce que M. de Vollaire avait prévu dans fa dédicace de Zaïre eft arrivé M. Falkener a été un des meilleurs miniftres, et eft devenu un des hommes les plus confidérables de l'Angleterre. C'eft ainfi que les auteurs devraient dédier leurs ouvrages, au lieu d'écrire des lettres d'efclave à des gens dignes de l'être.

(b) On joua une mauvaise farce à la comédie italienne de Paris, dans laquelle on infultait groffièrement plufieurs personnes de mérite, et entr'autres M. Falkener. Le fieur Heraut, lieutenant de police, permit

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