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JE

FABLE X I.

Rien de trop.

E ne vois point de créature
Se comporter modérément.
Il eft certain tempérament
Que le Maître de la Nature

Veut que l'on garde en tout. Le fait-on? NuL

lement.

Soit en bien, foit en mal, cela n'arrive guere.
Le bled, riche préfent de la blonde Cérès,
Trop touffu bien fouvent épuise les guérets s
En fuperfuités s'épandant d'ordinaire,

Et pouffant trop abondamment

Il ôte à fon fruit l'aliment.

L'arbre n'en fait pas moins, tant le luxe fait plaire.

Pour corriger le bled, Dieu permit aux Mou

tons

De retrancher l'excès des prodigues moissons.
Tout au travers ils se jetterent,

Gâterent tout, & tout brouterent,
Tant que le Ciel permit aux Loups

D'en croquer quelques-uns: ils les croquerent

tous.

S'ils ne le firent pas, du moins ils y tâcherent.

Puis le Ciel permit aux humains

De punir ces derniers: les humains abuferent
A leur tour des ordres divins.

De tous les animaux l'homme a le plus de pente A fe porter dedans l'excès.

Il faudroit faire le procès

Aux petits comme aux grands. Il n'eft ame vi-,

vante

Qui ne peche en ceci. Rien de trop, c'eft un

point

Dont on parle fans ceffe, & qu'on n'obferve point.

FABLE XII

Le Cierge.

C'EST du féjour des Dieux que les Abeilles

viennent.:

Les premieres, dit-on, s'en allerent loger
Au mont Hymette, & fe gorger

Des tréfors qu'en ce lieu, les Zéphirs entretien

nent.

Quand on eut des palais de ces filles du Ciel

Enlevé l'ambroifie en leurs chambres enclose,

Ou, pour dire en François la chofe,
Après que les ruches fans miel
N'eurent plus que la cire, on fit mainte bougie:
Maint Cierge auffi fut façonné.

Un d'eux voyant la terre en brique au feu durcie,
Vaincre l'effort des ans, il eut la même envie ;
Et nouvel Empédocle aux flammes condamné
Par fa propre & pure folic,

Il fe lança dedans. Ce fut mal raisonné:
Ce Cierge ne favoit grain de Philofophie.
Tout en tout eft divers : ôtez-vous de l'efprit
Qu'aucun être ait été compofé fur le vôtre.
L'Empedocle de cire au brafier fe fondit :
Il n'étoit pas plus fou que l'autre.

FABLE XIII.

Jupiter & le Paffage.

Combien le péril enrichiroit les Dieux,
Si nous nous fouvenions des voeux qu'il nous
fait faire !

Mais le péril paffé, l'on ne fe fouvient guere
De ce qu'on a promis aux Cieux :

On compte feulement ce qu'on doit à la terre.
Jupiter, dit l'impie, eft un bon créancier ;

A

Il ne fe fert jamais d'Huiffier.
Eh qu'eft-ce donc que le tonnerre,
Comment appellez-vous ces avertiffemens ?

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Il n'en avoit pas un vouer cent Eléphans
N'auroit pas coûté davantage.

Il brûla quelques os quand il fut au rivage.
Au nez de Jupiter la fumée en monta.
Sire Jupin, dit-il, prends mon vœu, le voilà:
C'eft un parfum de Bœuf que ta grandeur respire.'
La fumée eft ta part: je ne te dois plus rien.
Jupiter fit femblant de rire :

Mais après quelques jours le Dieu l'attrapa bien,
Envoyant un fonge lui dire

Qu'un tel tréfor étoit en tel lieu. L'homme au

vœu

Courut au tréfor comme au feu.

Il trouva des voleurs ; & n'ayant dans sa boursa
Qu'un écu pour toute reffource,
Il leur promit cent talens d'or,
Bien comptés & d'un tel tréfor:

On l'avoit enterré dedans telle Bourgade.
L'endroit parut suspect aux voleurs, de façon
Qu'à notre prometteur l'un dit : Mon camarade
Tu te moques de nous, meurs, & va chez Pluton
Porter tes cent talens en don,

LE

FABLE XIV.

Le Chat & le Renard.

Chat & le Renard, comme beaux petits
Saints,

S'en alloient en pélerinage.

C'étoient deux vrais Tartufs,deux Archipatelins;
Deux francs Pate-pelus, qui des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, efcroquant maint
fromage,

S'indemnifoient à qui mieux mieux.
Le chemin étant long, & partant ennuyeux,
Pour l'accourcir ils difputerent.

La difpute eft d'un grand fecours:
Sans elle on dormiroit toujours.
Nos Pélerins s'égofillerent.

Ayant bien difputé l'on parla du prochain.
Le Renard au Chat dit enfin :

Tu prétends être fort habile,

En fais-tu tant que moi? J'ai cent rufes au fac. Non, dit l'autre, je n'ai qu'un tour dans mon biffac

Mais je foutiens qu'il en vaut mille.

Eux de recommencer la dispute à l'envi.
Sur le que-fi que-non, tous deux étant ainsi,

Une

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