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Hantoient, l'un les forêts, & l'autre la cuisine.
Ils avoient eu d'abord chacun un autre nom :
Mais la diverfe nourriture

Fortifiant en l'un cette heureuse nature,
Et l'autre l'altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon.

Son frere ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint Cerf aux abois, maint Sanglier abattu.
Fut le premier Céfar que la gent chienne ait eu.
On cut foin d'empêcher qu'une indigne maî-
treffe

Ne fit en fes enfans dégénérer fon fang:
Laridon négligé témoignoit fa tendreffe
A l'objet le premier passant.

Il peupla tout de fon engeance:

Tourne broches par lui rendus communs en France

Y font un corps à part, gens fuyant les hafards, Peuple antipode des Céfars.

On ne fuit pas toujours fes aïeux ni fon pere:
Le peu de foin, le temps, tout fait qu'on dégé.

nere ;

Faute de cultiver la nature & fes dons,

O combien de Céfars deviendront Laridons !

FABLE XXV.

Les deux Chiens & l'Ane mort.
LES Vertus devroient être fœurs,

Ainfi que les vices font freres :

Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file, il ne s'en manque gueresi
J'entens de ceux qui n'étant pas contraires,
Peuvent loger fous même toît.

A l'égard des Vertus, rarement on les voit
Toutes en un fujet éminemment placées,
Se tenir par la main fans être difperfées.
L'un eft vaillant, mais prompt: l'autre eft pru-
mais froid.

dent,

Parmi les animaux, le Chien fe pique d'être
Soigneux & fidele à fon maître :

Mais il eft fot, il eft gourmand;

Témoin ces deux Mâtins, qui dans l'éloigne

ment,

Virent un Ane mort qui flottoit fur les ondes. Le vent de plus en plus l'éloignoit de nos Chiens. Ami, dit l'un, tes yeux font meilleurs que les miens.

Porte un peu tes regards fur ces plaines profondes.

J'y crois voir quelque chofe : Eft - ce un Bœuf, un Cheval?

Hé qu'importe quel animal?

Dit l'un de ces Mâtins; voilà toujours curée.
Le point eft de l'avoir, car le trajet eft grand;
Et de plus il nous faut nager contre le vent.
Buvons toute cette eau: notre gorge altérée
En viendra bien à bout: ce corps demeurera
Bientôt à fec, & ce fera

Provision pour la femaine.

Voilà mes Chiens à boire, ils perdirent l'haleine, Et puis la vie : ils firent tant

Qu'on les vit créver à l'inftant.

L'homme eft ainfi bâti. Quand un fujet l'enflamme,

L'impoffibilité difparoît à son ame.

Combien fait-il de vœux? combien perd il de

pas

S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire?
Si j'arrondiffois mes Etats!

Si je pouvois remplir mes coffres de ducats!
Si j'apprenois l'Hébreu, les Sciences, l'Histoire !
Tout cela c'est la mer à boire.

Mais rien à l'homme ne fuffit:

Pour fournir aux projets que forme un feul efprit,

Il faudroit quatre corps, encor loin d'y fuffire, A mi-chemin je crois que tous demeureroient : Quatre Mathufalem bout à bout ne pourroient Mettre à fin ce qu'un feul défire.

FABLE XXVI.

Démocrite & les Abdéritains.

Que j'ai toujours haï les penfers du Vulgaire !

UE

Qu'il me femble profane, injufte & téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chofe & lui,
Et mefurant par foi ce qu'il voit en autrui !
Le Maître d'Epicure en fit l'apprentiffage.

Son

pays le crut fou: Petits efprits! Mais quoi?
Aucun n'eft prophete chez foi.

Ces gens étoient les foux, Démocrite le fage.
L'erreur alla fi loin, qu'Abdere députa
Vers Hippocrate, & l'invita

Par lettres & par ambassade,

A venir rétablir la raifon du malade.
Notre concitoyen, difoient-ils en pleurant,
Perd l'efprit: la lecture a gâté Démocrite.
Nous l'eftimerions plus s'il étoit ignorant :
Aucun nombre, dit-il, les Mondes ne limite :
Peut-être même ils font remplis

De Démocrites infinis.

Non content de ce fonge, il y joint les atômes,
Enfans d'un cerveau creux, invifibles fantômes;
Et mefurant les Cieux, fans bouger d'ici-bas,
Il connoît l'Univers, & ne fe connoît pas.
Un temps fut qu'il favoit accorder les débats:

Maintenant il parle à lui-même.

Venez, divin mortel, fa folie eft extrême. Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens: Cependant il partit : Et voyez, je vous prie, Quelles rencontres dans la vie

Le Sort cause. Hippocrate arriva dans le temps Que celui qu'on difoit n'avoir raifon ni fens, Cherchoit dans l'homme & dans la bête Quel fiége a la raison, soit le cœur, foit la tête. Sous un ombrage épais, affis près d'un ruiffeau, Les labyrinthes d'un cerveau

L'occupoient. Il avoit à fes pieds maint volume, Et ne vit prefque pas fon ami s'avancer,

Attaché felon fa coutume.

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Leur compliment fut court ainfi qu'on peut penfer.

Le Sage eft ménager du temps & des paroles. Ayant donc mis à part les entretiens frivoles, Et beaucoup raifonné fur l'homme & fur l'efprit, Ils tomberent fur la morale.

Il n'eft pas besoin que j'étale

Tout ce que l'un & l'autre dit.

Le récit précédent fuffit

Pour montrer que le Peuple eft juge récusable.
En quel fens eft donc véritable

Ce que j'ai lu dans certain lieu
Que fa voix eft la voix de Dieu ?

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