FABLE S CHOISIES, MISES EN VERS PAR M. DE LA FONTAINE. LIVRE HUITIEME. FABLE PREMIERE. La Mort & le Mourant. LA Mort ne furprend point le sage: Il est toujours prêt à partir : Du temps où l'on fe doit réfoudre à ce paffage Ce temps, hélas ! embraffe tous les temps: Qu'on le partage en jours, en heures, en mo mens, Il n'en eft point qu'il ne comprenne Dans le fatal tribut: tous font de fon demaine Un jour le monde entier accroîtra fa richeffe. Un mourant qui comptoit plus de cent ans de vie Se plaignit à la Mort que précipitamment Sans l'avertir au moins. Eft-il jufte qu'on meure Vieillard, lui dit la Mort, je ne t'ai point furpris. Tu te plains fans raifon de mon impatience. Je devois, ce dis-tu, te donner quelque avis J'aurois trouvé ton teftament tout fait, Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait. Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause Du marcher & du mouvement, Quand les efprits, le fentiment, Quand tout faillit en toi? Plus de goût, plus d'ouïe : Toute chose pour toi femble être évanouie; Pour toi l'aftre du jour prend des foins fuperflus: Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus. Je t'ai fait voir tes camarades, Ou morts, ou mourans, ou malades. Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertiffement? Allons, vieillard, & fans replique : Il n'importe à la République Que tu faffes ton teftament. La Mort avoit raison: Je voudrois qu'à cet âge On fortît de la vie ainfi que d'un banquet, Remerciant fon hôte, & qu'on fft fon paquet ; Car de combien peut-on retarder le voyage? Tu murmures, vieillard, vois ces jeunes mourir, Vois-les marcher, vois-les courir A des morts, il est vrai, glorieufes & belles ; FABLE II. Le Savetier & le Financier. UN Savetier chantoit du matin jufqu'au foir: C'étoit merveille de le voir, Merveille de l'ouir : il faifoit des paffages Plus content qu'aucun des fept Sages. Si fur le point du jour par fois il fommeilloit Que les foins de la Providence En fon hôtel il fait venir Le chanteur, & lui dit : Or çà, Sire Grégoire, |