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Il vint à s'ennuyer de cette trifte vie.
Pendant qu'il fe livroit à la mélancolie,
Non loin de-là certain vieillard
S'ennuyoit auffi de fa part.

Il aimoit les Jardins, étoit Prêtre de Flore,
Il l'étoit de Promone encore :

Ces deux emplois font beaux: mais je voudroia parmi

Quelque doux & difcret ami.

Les Jardins parlent peu, fi ce n'eft dans mon Livre ;

De façon que laffé de vivre

Avec des gens muets, notre homme un beau matin

Va chercher compagnie, & fe met en campagne.
L'Ours porté d'un même dessein,
Venoit de quitter sa montagne :
Tous deux, par un cas furprenant,

Se rencontrent en un tournant.

L'homme eut peur : mais comment efquiver, &. que faire ?

Se tirer en Gafcon d'une femblable affaire
Eft le mieux : il fut donc diffimuler fa peur.

L'Ours, très-mauvais complimenteur,
Lui dit : Viens-t'en me voir. L'autre reprit
Seigneur,

Vous voyez mon logis; fi vous vouliez me faire Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre

repas,

J'ai des fruits, j'ai du lait. Ce n'eft peut-être pas

De Noffeigneurs les Ours le manger ordinaire, Mais j'offre ce que j'ai. L'Ours l'accepte; & d'aller.

Les voilà bons amis avant que d'arriver.

Artivés, les voilà, fe trouvant bien ensemble ;

Et bien qu'on foit, à ce qu'il semble, Beaucoup mieux feul qu'avec des fots, Comme l'Ours en un jour ne difoit pas deux

mots,

L'homme pouvoit fans bruit vaquer à fon ou

vrage.

L'Ours alloit à la chaffe, apportoit du gibier,
Faifoit fon principal métier

D'être bon émoucheur, écartoit du visage
De fon ami dormant ce parafite aîlé

Que nous avons Mouche appellé.

Un jour que le vieillard dormoit d'un profond fomme

Sur le bout de fon nez une allant fe placer,
Mit l'Ours au défefpoir, il cut beau la chaffer.
Je t'attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Auffi-tôt fait que dit, le fidele émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Caffe la tête à l'homme en écrasant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Roide mort étendu fur la place il le couche.

Rien n'eft fi dangereux qu'un ignorant ami:
Mieux vaudroit un fage ennemi.

FABLE X I.

Les deux Amis.

DEUX vrais Amis vivoient au Monomotapa : L'un ne poffédoit rien qui n'appartînt à l'autre Les amis de ce pays-là

Valent bien, dit-on ceux du nôtre.

Une nuit que chacun s'occupoit au fommeil,
Et mettoit à profit l'absence du foleil,
Un de nos deux amis fort du lit en alarme :
Il court chez fon intime, éveille les valets :
Morphée avoit touché le feuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne, il prend la bourse, il

s'arme,

Vient trouver l'autre, & dit: Il vous arrive peu De courir quand on dort: vous me paroiffiez

homme

A mieux ufer du temps deftiné pour le fomme: N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?

En voici s'il vous eft venu quelque querelle, J'ai mon épée, allons: Vous ennuyez-vous point De coucher toujours feul? Une efclave affez belle Etoit à mes côtés, voulez-vous qu'on l'appelle? Non, dit l'ami, ce n'eft ni l'un ni l'autre point:

Je vous rends grace de ce zele.

Vous m'êtes, en dormant, un peu trifte apparu ; J'ai craint qu'il ne fût vrai, je fuis vîte accouru. Ce maudit fonge en eft la cause.

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Qui d'eux aimoit le mieux, que t'en semble,
Lecteur ?

Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable eft une douce chofe !
Il cherche vos befoins au fond de votre cœur
Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même.

Un longe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

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Leur divertiffement ne les y portoit pas ;

On s'en alloient les vendre, à ce que dit l'Hif

toire :

Le Charton n'avoit pas deffein

De les mener voir Tabarin.

Dom Pourceau crioit en chemin,

Comme s'il avoit eu cent Bouchers à fes trouffes:

C'étoit une clameur à rendre les gens fourds. Les autres animaux, créatures plus douces Bonnes gens, s'étonnoient qu'il criât au fecours:

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Ils ne voyoient nul mal à craindre. Le Charton dit au Porc: Qu'as-tu tant à te plaindre ?

Tu nous étourdis tous, que ne te tiens-tu coi ?
Ces deux perfonnès-ci, plus honnêtes que toi,
Devroient t'apprendre à vivre, ou du moins à
te taire.

Regarde ce Mouton : a-t-il dit un feul mot?
11 eft fage. Il est un fot,
Repartit le Cochon : s'il favoit fon affaire,
Il crieroit comme moi du haut de fon gofier;
Et cette autre personne honnête,

Crieroit tout du haut de fa tête.

Ils pensent qu'on les veut feulement décharger.
La Chevre de fon lait, le Mouton de fa laine.
Je ne fais pas s'ils ont raison,

Mais quant à moi qui ne suis bon
Qu'à manger, ma mort eft certaine.
Adieu mon toit & ma maison.

Dom Pourceau raisonnoit en fubtil personnage :

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