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Et vu chacun en fentinelle,

S'écria: Quoi, ces gens fe moqueront de moi ! Eux feuls feront exempts de la commune loi ! Non, par tous les Dieux, non. Il accomplit fon

dire.

La Lune alors luifant, fembloit contre le Sire
Vouloir favorifer la Dindonniere gent.
Lui, qui n'étoit novice au métier d'affiégeant,
Eut recours à fon fac de rufes fcélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda fur fes pattes,
Puis contrefit le mort, puis le reffufcité.
Arlequin n'eût exécuté

Tant de différens perfonnages.

Il élevoit fa queue, il la faifoit briller,
Et cent mille autres badinages.

Pendant quoi nul Dindon n'eût ofé fommeiller.
L'ennemi les laffoit en leur tenant la vue
Sur même objet toujours tendue.

Les pauvres gens étant à la longue éblouis,
Toujours il en tomboit quelqu'un : autant de

pris:

Autant de mis à part: près de moitié fuc

combe,

Le compagnon les porte en fon garde-manger.

Le trop d'attention qu'on a pour le danger
Fait le plus fouvent qu'on y tombe.

Tome II.

FABLE XIX.

Le Singe.

IL eft un Singe dans Paris

A qui l'on avoit donné femme:
Singe en effet d'aucuns maris,
Il la battoit. La pauvre Dame
En a tant foupiré qu'enfin elle n'eft plus.
Leur fils fe plaint d'étrange forte,
Il éclate en cris fuperflus:

Le pere en rit, fa femme eft morte,
Il a déja d'autres amours

Que l'on croit qu'il battra toujours.
Il hante la taverne, & fouvent il s'enivre,
N'attendez rien de bon du peuple imitateur,
Qu'il foit Singe, ou qu'il faffe un Livre.
La pire espece c'est l'Auteur.

FABLE X X.

Le Philofophe Scythe, UN Philofophe auftere, & né dans la Scythie,

Se propofant de fuivre une plus douce vie, Voyagea chez les Grecs, & vit en certains lieux

Un Sage affez femblable au Vieillard de Virgile, Homme égalant les Rois, homme approchant des Dieux,

Et, comme ces derniers, fatisfait & tranquille.
Son bonheur confiftoit aux beautés d'un Jardin.
Le Scythe l'y trouva, qui, la ferpe à la main,
De fes arbres à fruits retranchoit l'inutile,
Ebranchoit, éinondoit, ôtoit ceci, cela,
Corrigeant par tout la Nature
Exceffive à payer les foins avec ufurt.
Le Scythe alors lui demanda,
Pourquoi cette ruine: Etoit-il d'homme fage
De mutiler ainfi ces pauvres habitans ?
Quittez-moi votre ferpe, iuftrument de dom-
mage,

Laiffez agir la faux du Temps:

Ils iront affez-tôt border le noir rivage.
J'ôte le fuperfu, dit l'autre ; & l'abattant,
Le reste en profite d'autant.

Le Scythe retourné dans sa trifte demeure, Prend la ferpe à son tour, coupe & taille à toute heure :

Confeille à fes voisins, prescrit à fes amis

Un univerfel abattis.

Il ôte de chez lui les branches les plus belles, Il tronque fon Verger contre toute raison, Sans observer temps ni faifon,

Lunes ni vieilles ni nouvelles.

Tout languit & tout meurt, Ce Scythe exprime

bien

Sij

Un indifcret Stoicien.

Celui-ci retranche de l'ame

Defirs & paffions, le bon & le mauvais,
Jufqu'aux plus innocens fouhaits.
Contre de telles gens, quant à moi je réclame.
Ils ôtent à nos cœurs le principal reffort.
Ils font ceffer de vivre avant que l'on foit mort.

FABLE XXI.

L'Eléphant & le Singe de Jupiter. AUTREFOIS l'Eléphant & le Rhinocéros, En difpute du pas & des droits de l'Empire, Voulurent terminer la querelle en champ clos. Le jour en étoit pris, quand quelqu'un vint leur dire

Que le Singe de Jupiter,

Portant un caducée, avoit paru dans l'air.
Ce Singe avoit nom Gille, à ce que dit l'histoire.
Auffi-tôt l'Eléphant de croire

Qu'en qualité d'Ambaffadeur

Il venoit trouver fa Grandeur.
Tout fier de ce fujet de gloire,

Il attend maître Gille, & le trouve un peu lent

A lui préfenter fa créance.
Maître Gille enfin, en paffant,

Va faluer fon excellence.
L'autre étoit préparé fur la légation;
Mais pas un mot: l'attention

Qu'il croyoit que les Dieux euffent à fa querelle,
N'agitoit pas encor chez eux cette nouvelle.
Qu'importe à ceux du Firmament

Qu'on foit Mouche ou bien Eléphant ? Il fe vit donc réduit à commencer lui-même. Mon coufin Jupiter, dit-il, verra dans peu Un affez beau combat de fon trône fuprême : Toute la Cour verra beau jeu.

Quel combat? dit le Singe, avec un front févere. L'Eléphant repartit: quoi, vous ne favez pas Que le Rhinocéros me difpute le pas ? Qu'Eléphantide a guerre avecque Rhinocere? Vous connoiffez ces lieux ils ont quelque

renom.

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Vraiment je fuis ravi d'en apprendre le nom, Repartit maître Gille; on ne s'entretient guere De femblables sujets dans nos vaftes lambris. L'Eléphant honteux & furpris,

Lui dit, & parmi nous, que venez - vous donc

faire ?

Partager un brin d'herbe entre quelques fourmis. Nous avons foin de tout : & quant à votre af

faire,

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