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Coupe les nœuds du lacs: on peut penfer la joie. Le Chaffeur vient, & dit: Qui m'a ravi ma proie?

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Rongemailie, à ces mots, fe retire en un trou
Le Corbeau fur un arbre, en un bois la Gazelle :
Et le Chaffeur à demi-fou

De n'en avoir nulle nouvelle,

Apperçoit la Tortue, & retient (on courroux.
D'où vient, dit-il, que je m'effraie?

Je veux qu'à mon fouper celle-ci me défraie.
Il la mit dans fon fac. Elle eût payé pour tous,
Si le Corbeau n'en eût averti la Chevrette.
Celle-ci quittant fa retraite,

Contrefait la boiteufe, & vient fe préfenter.
L'homme de fuivre, & de jetter

Tout ce qui lui pefoit, fi bien que Rongemaille,
Autour des noeuds du fac, tant opere & travaille,
Qu'il délivre encor l'autre fœur,

Sur qui s'étoit fondé le foupé du Chaffeur.
Pilpay conte qu'ainsi la chose s'eft paffée.
Pour peu que je vouluffe invoquer Apollon,
J'en ferois, pour vous plaire, un ouvrage auffi
long

Que l'Iliade ou l'Odyffée.
Rongemaille feroit le principal Héros,

Quoi qu'à vrai dire ici chacun foit néceffaire.
Porte-maifon l'infante y tient de tels propos,
Que Monfieur du Corbeau va faire
Office d'Efpion, & puis de Messager.

La Gazelle a d'ailleurs l'adreffe d'engager
Le Chaffeur à donner du temps à Rongemaille.
Ainfi, chacan en fon endroit

S'entremet, agit & travaille.

A qui donner le prix? Au cœur, fi l'on m'en croit.

Que n'ofe & que ne peut l'amitié violente !
Cet autre fentiment que l'on appelle Amour,
Mérite moins d'honneur: cependant chaque jour
Je le célebre & je le chante.

Hélas! il n'en rend pas mon ame plus contente.
Vous protégez fa fœur, il fuffit; & mes Vers
Vont s'engager pour elle à des tons tous divers.
Mon maître étoit l'Amour, j'en vais fervir un

autre ;

Et porter par tout l'Univers
Sa gloire auffi-bien que la vôtre.

FABLE XVI.

La Forêt & le Bucheron.
UN Bucheron venoit de rompre ou d'égarer

Le bois dont il avoit emmanché fa coignée.
Cette perte ne peut fi-tôt le réparer

Que la Forêt n'en fût quelque temps épargnée.

L'homme enfin la prie humblement
De lui laiffer tout doucement
Emporter une unique branche

Afin de faire un autre manche.

Il iroit employer ailleurs fon gagne-pain :
Il laifferoit debout maint Chêne & maint Sapin
Dont chacun respectoit la vieilleffe & les charmes.
L'innocente Forêt lui fournit d'autres armes.
Elle en eut du regret. Il emmanche fon fer.
Le miférable ne s'en fert
Qu'à dépouiller fa bienfaitrice
De fes principaux ornemens.
Elle gémit à tous momens.

Son propre don fait fon fupplice.

Voilà le train du monde, & de fes Sectateurs: On s'y fert du bienfait contre les bienfaiteurs. Je fuis las d'en parler: mais que de doux ombrages

Soient exposés à ces outrages,

Qui ne fe plaindroit là-deffus!

Hélas! J'ai beau crier, & me rendre incommodes L'ingratitude & les abus

N'en feront pas moins à la mode,

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Le Renard, le Loup & le Cheval.

UN Renard jeune encor, quoique des plus ma→

drés,

Vit le premier Cheval qu'il eût vu de fa vie.
Il dit à certain Loup, franc novice: Accourez,
Un animal paît dans nos prez,

Beau, grand, j'en ai la vue encor toute ravie.
Eft-il plus fort que nous? dit le Loup en riant:
Fais-moi fon portrait, je te prie.

Si j'étois quelque Peintre, ou quelque Etudiant, Repartit le Renard, j'avancerois la joie

Que vous aurez en le voyant.

Mais venez: Que fait-on ? Peut-être eft-ce une proie

Que la fortune nous envoie.

Ils vont ; & le Cheval qu'à l'herbe on avoit mis, Affez peu curieux de femblables amis,

Fut prefque fur le point d'enfiler la venelle. Seigneur, dit le Renard, vos humbles ferviteurs Apprendroient volontiers comment on vous ap

pelle.

Le Cheval qui n'étoit dépourvu de cervelle, Leur dit: Lifez mon nom, vous le pouvez Meffieurs :

Mon Cordonnier l'a mis autour de ma feinelle.
Le Renard s'excufa fur fon peu de favoir.
Mes parens, reprit - il, ne m'ont point fait
inftruire.

Ils font pauvres,

tout avoir.

& n'ont qu'un trou pour

Ceux du Loup, gros Meffieurs, l'ont fait apprendre à lire.

Le Loup, par ce difcours flatté,

S'approcha, mais sa vanité

Lui coûta quatre dents. Le Cheval lui defferre Un coup; & haut le pied. Voilà mon Loup par

terre,

Mal en point, fanglant & gâté. Frere, dit le Renard, ceci nous juftifie

Ce que m'ont dit des gens d'esprit ; Cet animal vous a fur la machoire écrit Que de tout inconnu le Sage se méfie.

FABLE XVIII

Le Renard & les Poulets d'Inde.

CONTRE

ONTRE les affauts d'un Renard

Un arbre à des Dindons fervoit de citadelle. Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,

Et

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