Page images
PDF
EPUB

La rareté du fait donnoit lieu à la chofe. L'Oiseau, par le Chaffeur, humblement présenté, Si ce conte n'eft apocrife,.

Va tout droit imprimer fa griffe

Sur le nez de fa majesté.

Quoi, fur le nez du Roi? Du Roi même en perfonne.

Il n'avoit donc alors ni Sceptre ni Couronne?
Quand il en auroit eu, ç'auroit été tout un.
Le nez Royal fut pris comme un nez du com-

mun.

Dire des Courtifans les clameurs & la peine,
Seroit fe confumer en efforts impuiffans.
Le Roi n'éclara point : les cris font indécens
A la Majesté fouveraine.

1

L'Oiseau garda fon pofte. On ne put feulement Håter fon départ d'un moment.

Son Maître le rappelle, & crie & fe tourmente,
Lui préfente le feurre, & le poing, mais en vain.
On crut que jufqu'au lendemain

Le maudit animal à la ferre infolente,
Nicheroit là malgré le bruit,

Et fur le nez facré voudroit paffer la nuit :
Tâcher d'en tirer irritoit fon caprice.
I quitre enfin le Roi, qui dit : Laiffez aller
Ce Milan, & celui qui m'a cru régaler.
Ils se font acquittés tous deux de leur office,
L'un en Milan, & l'autre en citoyen des bois.
Pour moi qui fais comment doivent agir les
Rois,

1

Je les affranchis du fupplice,
Et la Cour d'admirer. Les Courtifans ravis
Elevent de tels faits, par eux fi mal fuivis.
même des Rois, prendroient un tel

Bien peu,

modele,

Et le Veneur l'échappa belle,

Coupable feulement, tant lui que l'animal,
D'ignorer le danger, d'approcher trop du Maître.
Ils n'avoient appris à connoître

Que les hôtes des bois : Etoit-ce un fi grand mal?
Pilpay fait, près du Gange, arriver l'aventure.
Là nulle humaine créature

Ne touche aux animaux pour leur fang épancher:
Le Roi même feroit fcrupule d'y toucher.
Savons-nous, disent-ils, fi cet Oiseau de proie
N'étoit point au siége de Troie ?

Peut être y tint il lieu d'un Prince ou d'un
Héros.

Des plus hupés & des plus hauts.

Ce qu'il fut autrefois, il pourra l'être encore.
Nous croyons, après Pithagore,
Qu'avec les animaux de forme nous changeons,
Tantôt Milans, tantôt Pigeons,

Tantôt Humains, puis Volatilles,
Ayans dans les airs leurs familles.

Comme l'on conte en deux façons L'accident du Chaffeur, voici l'autre maniere. Un certain Fauconnier ayant pris, ce dit-on,

A la chaffe un Milan ( ce qui n'arrive guere ), En voulut au Roi faire un don,

Comme de chose finguliere.

Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans,
C'est le non plus ultrà de la Fauconnerie.
Ce Chaffeur perce donc un gros de Courtisans
Plein de zele, échauffé s'il le fut de fa vie.
Par ce parangon des préfens,
Il croyoit fa fortune faite,
Quand l'animal porte-fonnette,
Sauvage encor & tout groffier
Avec les ongles tout d'acier,

Prend le nez du Chaffeur, hape le pauvre Sire.
Lui de crier, chacun de rire,

Monarque & Courtisans. Qui n'eût ri? Quant à

moi

Je n'en euffe quitté ma part pour un Empire.
Qu'un Pape rie, en bonne foi,

Je n'ofe l'affurer, mais je tiendrois un Roi
Bien malheureux s'il n'ofoit rire :

C'eft le plaifir des Dieux. Malgré fon noir fouci,
Jupiter & le Peuple Immortel rit auffi.

Il en fit des éclats, à ce que dit l'Histoire, Quand Vulcain, clopinant, vint lui donner à

boire.

Que le Peuple Immortel fe montrât fage ou non, J'ai changé mon fujet avec jufte raison,

Car, puifqu'il s'agit de morale,

Que nous eût du Chaffeur l'aventure fatale

Enfeigné

Enfeigné de nouveau? L'on a vu de tout temps Plus de fots Fauconniers, que de Rois indulgens.

FABLE XIII

Le Renard,les Mouches,& le Hériffon. Aux traces de fon fang, un vieux hôte des

bois,

Renard fin, fubtil & matois,

Bleffé par des Chaffeurs, & tombé dans la fange, Autrefois attira ce Parafite aîlé

Que nous avons Mouche appellé.

Il accufoit les Dieux, & trouvoit fort étrange
Que le Sort à tel point le voulût affliger,
Et le fît aux Mouches manger.

Quoi fe jetter fur moi, fur moi le plus habile
De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les Renards font-ils un fi bon mets?
Et que me fert ma queue? Eft-ce un poids inu-

tile ?

Va, le Ciel te confonde, animal importun:

Que ne vis-tu fur le commun!

Un Hérisson du voisinage,

Dans mes Vers nouveau perfonnage,

Voulut le délivrer de l'importunité

Tome II.

R

Du peuple plein d'avidité.

Je les vais de mes dards enfiler par centaines, Voifin Renard, dit-il, & terminer tes peines. Garde-t'en bien, dit l'autre ami, ne le fais pas, Laiffe-les, je te prie, achever leur repas.

Ces animaux font fouls: une troupe nouvelle Viendroit fondre fur moi, plus âpre & plus cruelle.

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas: Ceux-ci font Courti fans; ceux-là sont Magistrats. Ariftote appliquoit cet Apologue aux Hommes. Les exemples en font communs,

Sur-tout au pays où nous fommes.

Plus telles gens font pleins, moins ils font importuns,

FABLE XIV.

L'Amour & la Folie.

TOUT

OUT eft myftere dans l'Amour;

Ses fleches, fon carquois, fon flambeau, fon

enfance.

Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour,

Que d'épuifer cette Science.

« PreviousContinue »